Retour aux origines du Moto Tour

Me voilà donc seul au bord d’une route déserte, à côté de ma moto blessée. D’autres concurrents passent, ralentissent et hochent de la tête en me voyant, je leur fait signe d’un pouce levé que tout va bien. Cela fait un moment que je n’ai plus vu de moto passer quand découle une Citroën C4 Picasso aux couleurs de l’organisation du Moto Tour. Deux gars pas tout jeunes en descendent et s’enquièrent de ma situation: je découvre cette fameuse voiture-balai dont j’avais déjà entendu parler mais que, pour mon plus grand bien, je n’avais encore jamais vue.

Fred le chauffeur, qui visiblement dirige les opérations, appelle tout de suite la direction de course pour signaler que je suis localisé et pris en charge. Désormais nous allons attendre le camion-balai qui va ramasser la moto. Ça prendra un peu plus de temps car, vu son gabarit, il ne suit pas exactement le parcours du rallye mais reste sur les grands axes. Ce n’est qu’à la demande de la voiture balai qu’il rejoint le point demandé sur le parcours pour ramasser une éventuelle moto.

En attendant, avec Fred nous analysons les circonstances de l’accident: ce n’est pas trop compliqué car la trace blanche du frottement du carter en aluminium sur la route est bien visible. A partir d’un certain point elle se double d’une trace d’huile, à partir du moment où le carter s’est percé!

Fred m’explique que j’ai dû glisser environ 30m avant le début de la trace, le temps que la moto tombe. Il me montre une plaque de bitume fondu, toute lisse et noire brillante parce qu’elle est mouillée: « C’est là que ta roue avant a du glisser, ensuite la moto s’est couchée et rejoint la trace. Tu as suivi derrière »

Il a l’air très sûr de son fait et effectivement c’est bien comme ça que cela s’est passé. J’imagine que je ne suis pas le premier motard qu’il ramasse mais je m’étonne de la rapidité et de l’exactitude de son analyse… On verra que ce n’est pas complètement un hasard!

On vérifie ensuite qu’il n’y a pas d’autres dégâts que ceux déjà constatés et qu’on ne va pas oublier des morceaux sur place, quand le camion arrive enfin, c’est un camion de location du modèle utilisé pour les déménagements. La moto est vite chargée et on repart pour rattraper la course.

J’ai pris place à l’arrière de la voiture balai et je vois que le copilote suit le road-book exactement comme nous mais il dispose d’un GPS programmé avec la bonne trace qui leur signale toute erreur … Et je vois avec satisfaction qu’eux aussi de temps en temps ils « jardinent » un peu!  Le parcours est déjà tortueux et exigeant en moto, alors en voiture ce n’est pas une sinécure. Et il faut suivre le rythme de la course donc je vois que Fred doit quand même cravacher, d’ailleurs il se plaint que la voiture est sous-motorisée. Réflexe professionnel, je travaille au bureau d’études PSA Peugeot-Citroën, je vois tout de suite que c’est la plus petite motorisation 1.6 HDi 100 chevaux, donc surement un peu juste. En tout cas 3500km à ce régime en une semaine, c’est un sacré banc d’essai pour une voiture!

Du coup ces considérations automobiles ouvrent la discussion. Je demande ce qu’ils font dans la vie. Fred m’explique qu’ils sont bénévoles pour le Moto Tour depuis plusieurs années. Et que lui il est retraité de la Gendarmerie, motard de la Gendarmerie bien sûr! Du coup je comprends mieux son expertise de l’analyse des accidents!!

Il m’explique que l’organisation du Moto Tour repose essentiellement sur des bénévoles presque tous issus de la gendarmerie ou de la police: « Si tu enlèves les flics et les gendarmes il n’y aura plus personne! ». Comme je m’étonne de cette situation, il m’explique l’historique de cette course très spéciale:

A l’origine, dans les années 60, la gendarmerie organisait un Tour de France pour former ses motocyclistes. Cette épreuve interne comportait déjà des étapes de navigation, de régularité et de vitesse. Dans les années 70, la Police qui avait dû remarquer l’excellence de la formation des gendarmes motocyclistes a demandé à participer à l’épreuve qui est devenue une sorte de challenge Police/Gendarmerie… Ambiance!

Puis la Police, institution civile, possède un moto-club affilié à la Fédération Française de Moto, le CMPN (Club Motocycliste de la police Nationale) qui a transformé cette épreuve en une épreuve sportive à part entière ouverte aux civils sous l’égide de la fédération. C’est l’âge d’or du « Tour de France Motocycliste » de 1973 à 1980, quand les plus grands champions français s’affrontaient sur les routes de France comme Hubert Rigal ou le futur ministre Christian Estrosi! En réalité la majorité des concurrents étaient des flics et des pandores.

Alors qu’il me raconte tout cela, tout devient clair: les longues liaisons avec navigation en autonomie, les étranges bases chrono qui simulent en fait une escorte de convoi qu’il soit exceptionnel, présidentiel ou carcéral, les spéciales chronométrées qui simulent l’interception des contrevenants… Bon sang mais c’est bien sûr, c’est l’entraînement du parfait représentant des forces de l’ordre. C’est fou, comme Monsieur Jourdain, sans le savoir  j’aurai au moins une fois dans ma vie joué au flic…mais dans un rôle un peu particulier!

Comme me dit Fred: « quand je suis rentré dans la gendarmerie, J’ai intégré le meilleur Moto Club du monde, et en plus c’est l’Etat qui payait l’essence! ». A l’époque, en dehors du service il s’est mis au side-car de course et il a fait plusieurs fois le Moto Tour en side-car. Il a l’air tranquille au volant de son C4 Picasso, le Fred, mais il doit bien être un peu barge à ses heures pour faire le Moto Tour en side-car. Et il ne doit pas faire semblant parce que j’apprendrai un peu plus tard par ses collègues qu’en course avec son side-car, on le surnomme Zebulon… Tout un programme!

Je questionne son collègue, plus silencieux, qui s’avère être un simple civil. Il est venu dans l’organisation du Moto Tour car il est motard et copain avec Fred. Enfin son boulot, c’est agent de sécurité, on reste dans le domaine!

Au fil de cette discussion passionnante, nous traversons le Cantal et le temps est maintenant au beau fixe. Nous sommes au pas de Peyrol, un magnifique col près du Puy Mary, que je connais très bien. Je l’ai fait avec des copains cet été et c’est justement là qu’avait germé l’idée de faire ce Moto Tour. Quel crève-cœur de faire cette route enfermé dans une bagnole, je ne me pardonne pas mon erreur. Même si elle est l’occasion de découvrir une autre face de cette course que j’ignorais complètement

réduit au rôle de passager, la voiture-balai est pour moi l(occasion d’un voyage dans le temps, aux origines du Moto Tour

On se rapproche du Puy en Velay mais la voiture-balai doit d’abord passer par les deux épreuves spéciales de l’après-midi et attendre le passage de tous les concurrents. On arrivera à l’étape qu’assez tard. Fred me propose donc d’embarquer dans le camion-balai avec ma moto qui lui ira directement au Puy en Velay. Cela me laissera plus de temps pour essayer de réparer la moto pour repartir demain dans la prochaine étape

Pierre et son camion-balai qui trouve que je gâche de la pellicule… Déformation professionnelle d’un homme de l’ombre

On croise donc le camion-balai près de Brioude (il a coupé par les grands axes). Je prends place dans la cabine du camion à côté de Jean Pierre, un ancien de la Police, plus exactement de la prestigieuse CRS n°1 qui assure la sécurité des membres du gouvernement. Pierre le chauffeur est lui un ancien du DPSD, C’est quoi ça? C’est ce que l’on appelle « la sureté militaire », officiellement aujourd’hui le DRSD, qui s’assure qu’il n’y a pas d’infiltration des Forces Armées par des éléments hostiles comme on dit doctement en langage militaire. En clair, c’est du contre-espionnage et des « boeuf-carottes », à l’intérieur de l’Armée!

Il a quitté le service avant la vague de terrorisme actuelle donc c’était plus calme. Mais il me confirme ce que j’ai toujours pensé, que le terrorisme actuel est bien issu de l’intérieur de la société française et l’Armée ne fait pas exception, il y a aussi de la radicalisation dans ses rangs. Donc ses successeurs ont du boulot! Nous poursuivons ces discussions passionnantes et plutôt inattendues vu le lieu.

Finalement vers 18h30, je rejoins enfin le paddock d’arrivée au Puy en Velay avec ma moto. Il me reste la soirée pour tenter de réparer et être prêt au départ demain à 7h30. C’est la journée circuit à Issoire et j’aimerais ne pas la rater

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