Chap 16 : Les joies de la route à plusieurs… ou la balade sucrée de l’amer salé… (2ème Partie)

(résumé de la première partie, celle d’avant la pause pipi : Tout le monde est arrivé et il n’y a plus qu’à démarrer…)

Un rassemblement de motards ?

J’enclenche donc la première et tourne la poignée. Tout en menant la meute entre les files de voitures pour nous enfuir de la ville et rejoindre notre terrain de jeux, je calcule la distance à parcourir, la moyenne à tenir, je m’essaie à la règle de trois, je commence à me dire que ce sera limite limite, qu’il faudra penser à rappeler le resto en chemin pour prévenir qu’on sera à la bourre, pour demander de ne surtout pas arrêter le four, qu’on est vraiment désolé, qu’on prendra deux apéros et du vin en retour… pour compenser…

La montagne, le royaume des Tarmos

Et les premiers virages surviennent. C’est avant tout pour eux qu’on a choisi de passer par là, et tout en inclinant la moto, tout en contre-braquant, tout en regardant au loin, je jette un coup d’oeil rapide dans le rétroviseur. A l’arrière certains s’aperçoivent de mon oeillade, ils pensent que je les jauge, que je les toise, que je les juge, ils crient à la provocation, ils hurlent à l’hallali, alors ils accélèrent, nous collent carrément au train. Miss The XJR, SylvieJolieChérie et moi, c’est juré, on voulait juste s’assurer que derrière ça se passait bien. Et soudain, en pleine courbe, on traverse une plaque de gravillons, par réflexe, j’appuie plus fort sur le repose-pied extérieur et pousse sur la branche intérieure, je sens ma passagère se raidir un peu et Miss The XJR dandiner du croupion, c’est sa manière à elle de balayer la route, pour pas que cette coquine fasse le ménage de mes copains. De toute façon, aujourd’hui, Sainte-Gamelle est de garde, peut-être apercevrons-nous le diable mais, c’est sûr, nous ne lui toucherons pas la queue, ainsi le programme se déroulera-t-il sans accrocs ni drames.

Attention aux gravillons !

sinon ça se termine comme ça… heureusement sans plus de mal

Un peu plus avant et vraiment en retard, nous nous installons autour de la grande table. Les vannes fumeuses, les blagues graveleuses arrivent en même temps que les Kir pour tout le monde et les pastagas de ceux que le cassis n’attire pas. Ça parle de tout, ça hurle pour rien, ça sourit autant que ça rigole, sans discrétion, avec largesse, c’est normal, les voix sont fortes quand les hommes se sentent forts. Bientôt les hors-d’oeuvre s’étalent dans les assiettes, ça commence alors à se chambrer, à grattouiller certaines susceptibilités, forcément il y en a toujours un qui prend pour deux, le moins méchant généralement, celui qui se laisse faire, celui qui n’en a que faire. Le bouc-émissaire, ça n’est pas nouveau, et il n’y a pas qu’en temps de crise qu’il en faut un, aussi, nous les gentils, remercions les anglais d’avoir inventé le foot et ce faisant de nous avoir épargné quelques bûchers. Une fois le trop de pression évacué, une fois tout le monde bien défoulé, bien désénervé, on baisse le ton, on passe à autre chose, on refait le monde en refaisant le parcours ; des mots à la moto, de la moto aux mots, ça ne semble jamais devoir s’arrêter, d’autant que chacun raconte dix fois les mêmes anecdotes, de celles qui entrant dans notre histoire commune deviendront les souvenirs que l’on pourra se remémorer dès la prochaine sortie et qui renforceront le lien qui fait de chacun le copain de l’autre. On se sent bien. La bouffe est grasse donc elle est bonne. Le cholestérol coule à flots. Je ferai un régime dès mon premier AVC, c’est promis, c’est juré. La température monte. Les joues rougissent en même temps que le vin s’évapore. C’est de la bonne chaleur, de celle qu’est bien humaine, la chaleur de l’échange, la chaleur d’être ensemble autour d’un projet commun.

Menu de Tarmo

Le gras ça donne le goût

Mais comme tout à une fin, il nous faut repartir, il est temps à présent de payer l’addition. Chacun y va alors de son chéquier, de sa CB, on doit faire la queue, on attend, on s’impatiente, on additionne puis on divise ; celui qui n’a pas pris d’apéritif, celui qui boit trop de vin, celui qui ne mange pas de porc, celui qu’a pas voulu de dessert, celui qui préfère le thé au café, chacun prend sur soi, tout le monde paie pareil ; et puis soudain on suggère de créer un pot commun, pour que la prochaine fois, ça ne traîne pas comme ça, pour que la prochaine fois, la queue on la fasse pas. Moi, dans ces cas-là, je ne réponds rien, je fais le sourd, les caisses communes, je les sens pas bien ; à deux ou trois, je ne dis pas que je le ferais pas, mais au-delà, une tirelire, ça ressemble trop à une banque. Et être banquier, c’est pas mon métier. J’en ai trop vu des groupes exploser en plein vol parce que le trésorier puisait dans la caisse ou que certains étaient contents de l’en soupçonner. L’argent, ça passe de mains en mains, c’est pas trop sain, ça fait des petites taches partout où ça traîne  Alors pour ne pas choper de microbes, pour ne pas attraper de vilaines maladies, pour présenter pattes blanches, faudrait accepter de se les laver dix fois par jour. Tracer l’itinéraire, tout bien préparer, ouvrir la route, tout ça je crois bien que c’est dans mes cordes, mais être banquier comme il se doit, je ne suis pas certain d’aimer à ce point la propreté… Un bon financier, et bon veut dire honnête, depuis toujours, vous pouvez vérifier, c’est ce qu’il y a de plus dur à trouver.

Une fois tout le monde dehors, nous rechaussons nos casques, renfilons nos gants. Nous démarrons les moteurs et d’un coup de rein paresseux débéquillons nos montures, paradoxalement, c’est nous qui avons baffré mais ce sont elles qui ont engraissé… Sur le chemin du retour, les sucs digestifs commencent leur oeuvre et nous plongent dans une sorte de léthargie. Imperceptiblement, le rythme s’apaise et les nerveux virolos du matin se muent en lents méandres. Les kilomètres défilent tandis que les heures s’égrènent.

Le retour…

L’excitation revient un peu quand nous arrivons dans les faubourgs de la ville, quand les feux tricolores se font de plus en plus présents, annonçant la fin du périple. Et comme chaque fois, plus nous approchons de l’issue de cette journée, plus nous sommes pressés d’arriver, aussi personne ne veut-il s’arrêter pour se dire au revoir. C’est ainsi que chemin faisant, un par un, deux par deux, voire par petits paquets, tandis que la ligne d’arrivée approche notre bande se délite peu à peu. Quand on le peut, on monte à hauteur, on se fait un p’tit signe ; pour les plus adroits, tout en roulant, on échange une poignée de main ; pour les autres, un bref appel de phare, un petit coup de klaxon ; voilà comment chacun bifurque, comment tout le monde se sépare. D’une certaine façon, même SylvieJolieQuEstBelleMêmeEndormie ne me suit plus. Je sens de plus en plus souvent son casque venir cogner contre le mien. C’est le signe qu’elle somnole. Avec sa santé vraiment pas bonne, c’est un miracle qu’elle ait tenu jusque-là. Enfin pas vraiment un miracle. Ou plutôt si. Un miracle de sa volonté et de l’amour qu’elle a pour moi, que j’ai pour elle, et qui la pousse à tenir jusqu’au bout. Mais la volonté, l’amour, ça ne décide pas de tout. Aussi s’est-elle endormie plus tôt qu’elle l’aurait voulu.

Et voilà ce chapitre terminé en même temps que s’achève cette belle journée, à peine quelques heures d’une vie. Une vie que l’on parcourt ensemble mais que chacun finira seul, à sa manière.

Alors c’est quand qu’on roule ensemble ?

Des motos au paradis…

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