Chap 18 : Au secours ! Mes enfants ont le permis moto !

– Papa, maintenant que je gagne des sous, j’vais m’offrir une bécane ! Lâcha un jour mon fiston Guillaume, tout droit fiérot au beau milieu d’un repas dominical.

– Et mézigue, c’est idem, ajouta un peu plus tard son jumeau Jéremy, son livret A ayant enfin atteint l’épaisseur du matelas de la Reine-Mère.

– C’est bien fait pour toi, mon fils, m’asséna par mail Mémée Geek, décidément trop à l’aise sur le web avec sa tablette. Les petits-enfants, c’est la vengeance des grands-parents! Tu vas enfin comprendre ce que tu me fais subir depuis un tiers de siècle. Tu ne serais pas déjà si dégarni que j’aurais bien ri de voir un beau matin tes cheveux blanchis par les frasques motocyclistes de tes z’enfants chéris.

Mais quel péché très capital, quel blasphème trop infernal avais-je pu commettre pour mériter un tel divin châtiment? Et si les dieux n’y étaient pour rien, où donc, moi le doué Tarmokeuf, le poète pouét pouét, le philosophe pas beauf, le blogueur du coeur, l’écrivaillon de l’horizon, le plus grand chéri d’amour de SylvieLaPlusJolie, le trop génial papa quinqua du Chat en route pour Helsinki et de ses frères que j’aime pareil avais-je commis l’erreur fatale? Moi, qui n’aime rien tant que lancer mes phrases dans tous les sens, moi qui pense à contre-pied, qui encense les double sens et danse avec les insensés, quelle bifurcation avais-je donc manqué pour à ce point me ramasser? L’arrêt de bus n’est-il pas toujours planté devant la porte d’entrée? L’ex super R5 du papi n’est-elle pas toujours assurée à leurs 2 prénoms? Mes amis tarmos les plus fêlés et moi-même n’avions-nous pas eu tous les accidents qu’il fallait pour bien montrer la stupidité de ce projet? Alors quoi, pourquoi me faire ça à moi? Quel a été mon crime pour que ma bêtise soit à ce point héréditaire et mes conneries à l’infini reproductibles?

SylvieChérieJolieQuiConnaitBienLaVie me regarde avec ses grands yeux couleur d’automne. Elle écarte les bras, déjà résignée, quoique pas plus emballée que moi par leur pas bonne idée. Dans son regard, il n’y a pas de reproche, juste un petit rien de fatalité. C’est tout muet mais ça me parle. C’est comme si elle me disait : Tu veux pas qu’on s’étonne que tu sois ce que tu es, alors t’étonne pas que tes mômes soient ce qu’ils sont, et ce qu’ils sont, c’est pas tout toi, c’est pas tout moi, c’est un peu de toi, un peu de moi, et beaucoup de qu’à eux, alors forcément, un mélange pareil, tu peux faire ce que tu veux, tu ne sauras jamais jusqu’où ça peut aller où ça veut. T’aurais pu juste te douter et au cas où, sur tes exploits, mettre un peu de sourdine, ô mon fanfaron mari, parce qu’à présent, mon adoré, les histoires de bande de peur, de virage en glisse, de genou par terre et de roue avant en l’air, je ne serai plus la seule que ça fera frémir, toi aussi à les écouter se vanter, je te garantis que tu vas blêmir.

Et malheureusement, comme nos z’enfants sont bien parfaits, les mots de leur décision se sont mués en suite d’actions et quelques semaines plus tard, l’embourgeoisée Miss The XJR dut partager son couchage avec une effrontée Little Fazer, donnant à mon garage un petit air de concession de la marque aux trois diapasons. Evidemment, depuis lors, quand le parking se vide, nos tripes se nouent et nous ne dormons plus. Mais en vérité, c’est depuis qu’ils sont nés que nos ventres agonisent et que le sommeil nous fuit. La vie est ainsi faite, on croit leur donner le jour et à peine arrivés, les goulus nous piquent aussi nos nuits. Bah ! On aura bien le temps de dormir et de soigner nos ulcères quand on sera au Paradis.

Et puis le temps passe doucement et je dois reconnaître qu’ils s’en sortent à merveille. Oh! bien sûr, je n’ai pas pu m’empêcher de m’en mêler un peu, de leur expliquer quelques-uns de mes trucs de vieux : Comment monter leur joli joujou sur la béquille centrale sans passer par la case hernie discale, comment démarrer quand il fait froid sans tuer la batterie, comment ne pas se faire surprendre par le verglas d’été quand il fait chaud ou par les feuilles sur lesquelles à l’automne on se ramasse de bonnes pelles, toutes ces choses vitales qu’on n’apprend pas dans les écoles et qui évitent bien des cabrioles à ceux qui les savent.

Et puis un jour, quand ils le sentent, quand je les juge à même, quand SylvieJolieMaman l’accepte, pour la première fois, nous partons tous ensemble, moi devant et eux derrière. C’est mon côté poule, j’aime bien ouvrir la route et sentir mes enfants dans mon sillage, j’aime moins les avoir en point de mire, toujours à imaginer le pire. Dans mon monde, c’est au père d’être en première ligne, c’est au papa de jouer la chair à canon. Et puis c’est ainsi, plus je vieillis, plus j’aime que ma ligne d’horizon soit bien dégagée. C’est là l’unique interdit que SylvieMaman et moi avons fixé à nos enfants. Sur notre route vers le levant, au-delà d’Helsinki, au-delà même de Vladivostok, là-bas tout au bout de la Terre, tout au bout de la Vie, ils peuvent batifoler là où ils veulent mais ils n’auront jamais la permission de nous passer devant.

6 thoughts on “Chap 18 : Au secours ! Mes enfants ont le permis moto !

  1. Toujours un plaisir de lire ta prose, quelques très belles tournures. Et j’envie pas cette crainte de voir partir les gamins sur la route ou dans la vie. Quand mes neveux et nièces en seront là, et ça viendra vite, ce sera dur…

    • Merci, se sentir lu fait très plaisir. J’ai été moi aussi faire un tour sur ton site : Vraiment impressionnant ! Du coup, je le rajoute à mon commentaire ! http://www.zarkass.com
      Y’a des fotos, y’a tout plein de mots, y’a d’bô voyages, bref tout ce qu’il fô pour les tarmos plus sages.

  2. Oui oui oui, et un jour, tu feras comme moi, tu te rendras compte qu’il s’emm….. derrière toi, qu’il est plein de vie, que tu prends de l’age, et….
    Le mien à commencé la moto dès l’age de six ans. Il n’a cessé de monter en puissance, et a eu son Hornet neuve pour ses 21 ans (équipée de PR3!). Et si tu savais comme il est fier quand il m’ouvre la route!…Et pourtant, mes pneux finissent toujours en escaliers.
    Meme si je suis passé par des trouilles pas toujours bien maitrisées, et en sachant que depuis ses 14 ans son bonus a toujours grimpé, je préfère lui faire confiance meme quand il me met un boulevard, car devant moi, j’ai maintenant un véritable technicien. D’autant qu’il est comme moi, la vitesse ne l’intéresse pas. il se régale dans les pif-pafs où il bouffe ses tétines….des fois.
    Un jour la jeunesse te passe devant, il faut l’accepter. Surtout ne pas la brider car le jour où t’es pas là, elle veut compenser, et là,….gare. Fais lui confiance, il t’en aimera que davantage et n’en deviendra que plus prudent.
    Et puis d’avoir peur, ça prouve que tu tiens à lui! Par contre, si lui ressent ta trouille, il se régalera moins et sera un moins bon sur route.
    Bon, c’est vrai, quand il vient me voir, que je l’attends en regardant la télé, qu’il vient de loin, qu’il se fait tard, et qu’il a plus de 10 mn de retard, mon attention s’amenuise avec les minutes qui passent.
    Fait chier ce motard!

    • Quand j’écris que je ne veux pas qu’ils passent devant… il ne faut bien sûr l’entendre qu’au sens métaphorique… le bout de la route… la mort, ce genre de choses ; sous une forme plus abrupte tout aussi absurde : Nous leur avons donc formellement interdit de mourir avant nous, ce qui est probablement la plus grande crainte de tout parent. Amitiés d’un papa motocycliste à un autre.

  3. J’ai 2 enfants qui ont 11 et 9 ans.Le premier me parle de mobylette et moi je peux te dire que je fouette.
    Mon horizon,à moi aussi,plus je vieillis plus je l’aime dégagé.
    Au plaisir de te rerererelire

  4. Bien sûr moi je ne flippe pas à cause de la moto. D’abord j’ai une fille, tu le sais, et, pour le moment, elle aime un …. footeux (c’est incroyable non ?). Mais, décidément les chiens ne faisant pas des Chats (elle te plait celle là de vanne à deux balles ?) je devrais être serein comme le petit moineau … mais non ! Depuis 3 ans j’attends encore jusqu’au petit matin que la clé tourne dans la porte pour trouver le sommeil. Et pas question de lui en faire le reproche. C’est pas sa faute si, elle aussi, elle a un papa poule … mais cool. Allez, Dany, merci pour ta prose et continuons à trembler joyeusement pour notre progéniture 😉

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