Aqualand

Le matin suivant, un soleil frisquet balaie les crêtes  saupoudrées des montagnes autour de la plaine. Je reprends la route, elle est redevenue lisse, goudronnée, toute neuve et m’emmène tranquillement jusqu’à la prochaine ville, Khovd, où je croise un troupeau d’Australien en Royal Enfield, avec guide, accompagnement, toute la logistique du voyage organisé… Je les frime juste ce qu’il faut, en solitaire avec mon vieux canasson, et puis je me trouve le resto d’hôtel un peu chic, indispensable pour assurer ma rubrique quotidienne et l’équilibre de ma nutrition. Après je reprends la route, je surfe entre les ornières, les deux motards de la veille m’avait parlé de la complexité de ce tronçon dont je me joue allègrement, fort de ma vieille expérience. Je comptais bien rattraper l’escouade d’Australien pour les frimer d’un crissement de pneu mais en leur laissant deux heures d’avance,  j’avais peut-être mis la barre un peu haut… Quand je me suis retrouvé devant un passage à gué très agité, profond et caillouteux, j’ai compris que je ne rattraperais personne, mais bon, si ils étaient tous passés, il n’ y avait pas de raison que je reste planté là. Et pourtant si, il y en avait quelques-unes de raisons, le poids de ma moto, le fait d’être tout seul  et surtout, ce foutu embrayage en céramique, arme absolue dans le sable mais  calamité totale quand le niveau de l’eau atteint le milieu du moteur. Tous seul, planté dans le torrent, après le passage de vingt touristes, il en prenait un sacré coup, mon amour propre. J’ai mis un certain temps à bloquer la moto avec des cailloux pour qu’elle ne se couche pas dans l’eau, puis à ranger tous les bagages de l’autre côté de la rivière. Je me suis assis au soleil avec un bouquin en attendant que quelqu’un passe. Après une heure, je commençais à m’inquiéter…alors je suis parti en quête de bras supplémentaires… j’avais repéré deux yourtes à quelques centaines de mètres de là…La première n’était habitée que par deux dames d’un âge respectable dont une handicapée… Elle m’ont tout se suite envoyé à la seconde où un petit gars édenté m’a emmené sur sa pétrolette, après que sa femme, âpre au gain et flairant l’aubaine, ait discuté fermement le prix du sauvetage. Je crois que ça les valait bien les dix mille tigrigs, parce que ce ne fut pas une mince affaire de sortir la moto de ce piège fluvial. Après avoir appelé mon pote François pour une consultation mécanique, il n’y avait plus qu’à se lancer dans la remise en état. Vider l’eau des carburateurs, des cylindres, du filtre à air et du moteur, sécher les bougies et puis tenter de redémarrer…la dernière fois que ce genre de plan m’est arrivé, j’ai terminé le voyage en camion, mais là, grâce aux conseils du spécialiste, j’ai pu repartir tranquille et peinard… mon sauveteur Mongol agréé m’a indiqué la route qui menait à un autre passage… Tu parles d’un passage : un pont tout neuf, juste un kilomètre à droite du gué, mais ce n’était indiqué nulle part ! Finalement mon amour propre était sauvé, ils étaient évidemment passés par là, les Australiens.  C’est quelque chose de terrible, l’amour propre, on a un mal fou, à cause de lui, à assumer certains caprices de la destinée, avec la vie, avec les filles, surtout avec les filles… mais là pour une fois, j’en repartais guilleret, si ça pouvait être toujours aussi simple.Sur la route, plus loin, j’ai rencontré Fredérico, un motocycliste argentin solitaire…on a improvisé un bout de route en duo et après qu’il se soit vautré dans une mare de boue, on a décidé de faire équipe et nous avons dressé le campement ensemble.  Nous nous sommes douchés dans la rivière glacée, puis nous avons ramassé du petit bois pour allumer un feu de bouses de vache où nous allions ensuite  pouvoir nous préparer une petite soupe chaude.J’ai proposé à mon collègue quelques fromages mongols, il m’a offert en retour quelques sardines à l’huile, son plat préféré.  J’ai horreur de ça ; dès demain, il faut que je reprenne ma route en solitaire !

One thought on “Aqualand

  1. Hello.

    Super blog, je m’éclate à le lire et c’est tellement bien de ne pas aller dans le sens de notre société. Félicitations et bonne route.
    Fabio.

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