La fin du chemin…


ptiluc1

Le dernier jour, celui des adieux, des « au revoir », des « à bientôt »… La Russie, cette extension infinie de l’Europe,  fait vite oublier au voyageur distrait qu’il est immensément loin de chez lui. On passe un dernière soirée dans un bar rock en parlant Anglais ou français, la musique de fond n’a rien du kazatchok ou d’Ivan Rebroff…les Kinks, Radiohead  ou les Stones, comment se souvenirs de tous ces kilomètres, comment admettre subitement  qu’on ne se reverra pas tout de suite, ni demain, ni plus tard… mais pas jamais, car la moto déposée quelque part dans la ville servira toujours de fil rouge d’alibi, de corde de rappel, pour revenir boire des cocktails en parlant des blessures de  la vie pour ne pas parler de celles du départ. Partir, revenir, quitter, retrouver, ici, là-bas, il faudrait disposer d’innombrables vies pour ne pas que les effleurer toutes. Mais c’est sans doute le vieux motard qui continue à se poser des questions sur le temps qu’il n’a plus pour croire qu’on a mille vies à bouffer à pleines dents.                                                                                  Au petit matin, dans la brume des collines, Val Samuraï est venu me chercher pour m’amener à l’aéroport, soixante bornes au nord. Dans sa bagnole, il écoute du rock, toujours ; Suzy Quattro : comment ne pas perdre ses repères géographiques et temporels, je n’avais pas écouté Suzy Quattro depuis le juke box du bistrot de la sortie du lycée. Il y avait aussi Gary Glitter et David Bowie, depuis David Bowie est mort… et moi, toujours vivant, comme dirait l’autre, je retourne dans l’autre vie semer les graines du retour. 

petit saut dans le ciel


ptiluc1

Le séjour touche vraiment à sa fin…le jour où je dépose la moto dans un garage est toujours symboliquement troublant. On range le cheval à l’écurie, on met la grande traversée en mode pause. J’étais donc dans cet état nébuleux, au téléphone, en train d’organiser une ultime conférence avant le départ, quand Val Samuraï, m’a appelé pour me proposer une virée avec sa bande vers les collines avoisinantes.

Nous sommes donc passés prendre mon interlocutrice qui ne s’attendait pas à cette proposition incongrue, et nous voilà tous partis, cent kilomètres plus loin, sur un aéroport de brousse, pour faire quelques ronds dans le ciel, au dessus des forêts d’automnes. Tout s’est ensuite passé très vite…au milieu des embouteillages de fin de weekend, on est retourné en ville, j’ai déposé la moto dans le garage d’une grosse villa, entre une Triumph Rocket3 et une Ducati Diavel, visiblement, on est pas chez des prolos. Je ne sais pas chez qui je débarque, un ami, d’ami, d’ami, je ne sais plus où s’arrête cette chaîne qui n’existe qu’en Russie. Elle sera bien à l’abri, je ne la laisse pas chez n’importe qui, c’est sûr, mais je ne sais pas chez qui !

Il me ramène à l’appartement et après avoir chargé dans le coffre de son énorme bagnole les bagages que je laisse toujours avec la moto, je me retrouve un peu éteint, dans un silence  bienvenu mais un peu vertigineux…

On repasse le pont : https://youtu.be/FNkeqXwcbfo

Et on fait un tour en avion https://youtu.be/gCFZs43td1A

Russkiy Island


ptiluc1

Journée culturelle, ça change de la veille. Je fais de la télé le matin et de la conférence l’après midi, pour finalement y raconter un peu la même chose, mais c’est très différent des clubs de motards où je ne raconte rien…De l’autre côté des deux grands ponts, il y a une île, on l’appelle Russkiy Island… Ce fut durant très longtemps une zone militaire ; ça l’est toujours, mais on y a aussi construit la nouvelle université, la Far Eastern University…c’est écrit en Anglais sur le fronton, la suprématie de l’anglais s’affiche même sur les universités russes; vu d’ici, je trouve ça un peu décalé. Je me souviens qu’en France, sur l’île du Levant, en face de Toulon, on avait créé, il y a bien longtemps, le premier centre naturiste à côté de la base militaire qui recouvrait presque toute l’île ; c’est sans doute, dans un cas comme dans l’autre, une astuce perverse pour déployer une sorte de bouclier humain… C’est bien la France ça ; mettre des nudistes, là où la Russie expose ses élites futures !

Au rythme de Val Samuraï…


ptiluc1

On  aurait pu croire que cette journée allait encore s’étirer, se déliter, tourner à vide. Il ne faut pas grand chose,  finalement, pour que des choses inattendues pimentent un jour qui s’annonçait un peu terne. La table de la cuisine, dans l’appartement de Val Samuraï, est barrée d’une encoche, d’un léger dénivelé provoqué par la présence d’une rallonge. Le tout est vaguement masqué par une nappe en plastique et il suffit, dans l’inattention du petit matin, de poser son bol de thé brûlant sur cette incision perfide pour  que le bol se vautre sur ce que les poètes appelleront pour l’éternité la bite et les couilles; mon premier accident de voyage.

Val m’a donc amené à la pharmacie et, après une couche de pommade, nous sommes quand même partis faire un tour en ville, parce que faut pas se laisser abattre. Il m’a emmené voir son pote Sasha qui, en écoutant Pink Floyd et les Beatles, dans son échoppe, répare les chaussures de ces dames russes si élégantes. Il a un succès fou avec son air de rien, mais c’est normal, il est le docteur de ces prothèses parfois démesurées qui transforment toutes ces femmes en pinups mondaines. Il faut voir leurs mines réjouies quand il leur restitue leurs précieuses échasses entièrement remises à neuf. On boit le thé en écoutant de la musique, je dessine un peu dans l’échoppe, pendant que Sasha répare mon ceinturon et que Val donne des coups de  téléphone. Je ne sais pas trop quelles sont les activités de mon nouvel ami, il téléphone beaucoup, tout le temps en fait, sauf quand il va à des rendez-vous et puis le soir il m’emmènera passer la soirée dans son moto club…ça se passe exactement comme je l’avais prévu. Des mecs qui parlent beaucoup mais je ne sais pas de quoi…parfois de moi quand j’entends  » Françouski » …il paraît que la tension monte entre l’Europe et le Russie ; mais ici, je ne remarque rien, je fais des caricatures, on trinque et on vide les verres, après quelques shoots on se donne de vigoureuses accolades, enfin c’est surtout eux qui me serrent vigoureusement, avec leurs mains gigantesques et leurs bras puissants. Les journées passent vite avec Val Samuraï, elles sont un peu remplies de vide, de temps qui s’écoule lentement et de vodka qui s’écoule un peu plus vite, le soir au club.  Une fois la nuit arrivée, on me dépose à la maison, je m’applique la pommade et je me dis qu’il faudrait maintenant que j’essaye de dormir…J’aimerais parfois être ailleurs, mais je suis ici, soudé à Vladivostok pour quelques jours encore…

Changement de quartier


ptiluc1

Hier, Val Samuraï est venu me rendre visite, il a su que j’étais ici par Maxim de Barnaoul, depuis là-bas, à mon point de départ. Le Samuraï me propose un appartement sur les hauteurs de la ville à un prix d’ami défiant toute concurrence. J’ai donc déménagé ; c’est bien j’ai  l’impression que le voyage continue un peu. Charger la monture pour aller deux kilomètres plus loin, les étapes sont beaucoup plus courtes que la semaine dernière. J’ai passé quelques jours à  deux, puis trois, dans une chambre de backpakker, je me retrouve tout seul avec trois chambres et la vue sur la baie, au loin, après le grand pont. Finies les expéditions d’un petit snack branchouille à l’autre ; comme tout le monde je vais faire mes courses à la supérette et c’est très bien comme ça, il y aura comme ça deux chapitres à ma semaine vladivostoquienne  et entre les deux, j’ai même fait une petite émission pour une chaîne de  télé, dans le parking, devant l’hôtel. La petite intervieweuse était incroyablement jolie, elle avait au moins un peu plus de douze ans et demi et ne m’a posé que des questions sur l’état des routes du pays…il  paraît que c’est, ici, Le sujet qui passionne !Maintenant, refaisons le tour de mon ancien quartier… https://youtu.be/YpO50Ojcyac                                                                                                Et vite fait, le nouveau…  https://youtu.be/ty5dnbbDiDw

Balade à la gare…


ptiluc1

Il faudra que je demande à Dimitri quel est son boulot. Il se lève souvent à six heures du matin, se prépare fébrilement en oubliant qu’on essaye de dormir à trente centimètres  de lui et puis s’en va pour revenir une heure après et se recoucher toute la matinée. Le Gum où se trouve l’hôtel, c’est un ensemble en brique, tendance constructiviste, donc très à la mode. Tout est en travaux ; meuleuses et bétonnières s’activent dès le matin pour repaver tout ça et rénover les vieilles briques. On y croise donc des ouvriers qui bétonnent et des pépettes haut perchées qui viennent boire un café au petit bistrot branché avant d’aller se faire coiffer en face, juste à côté de la boutique souvenir qui vend des t shirts de marin avec écrit dessus « i love Vladivostok » dans toutes les langues mais surtout en Anglais. Je traine un peu, le matin c’est une bonne heure pour dessiner à l’hôtel, peu de monde, bonne lumière. Je me garde les après midi pour mettre le nez dehors, l’air y est beaucoup plus doux pour flâner, on en oublierait presque qu’on est en Sibérie…Mais est-ce donc vraiment la Sibérie, ici ? J’ai trouvé un billet retour et un réparateur de téléphone, j’attends encore pour le garage de la moto et je suis allé visiter la gare. Quand on suit la ligne du trans-sibérien , il semble normal d’aller rendre visite aux gares, surtout celle-ci, qui est le terminus. Comme toutes les gares de la ligne, construites à la fin du dix neuvième, la gare de Vladivostok est dans le plus pur style rococo chantilly, comme le château de Louis deux de Bavière ou le métro de Moscou. Elle a la particularité d’avoir des voies des deux côtés. L’entrée avec la salle d’attente est construite comme un pont levis au dessus des premiers quais et puis derrière, par une simple passerelle, on accède à la gare maritime, comme ça,  pour les acharnés qui voudraient tout de suite se barrer au Japon ou en Corée après dix jours de train et bien c’est possible.  Demain je vais donner une petite conférence à la bibliothèque et je devrais faire une dessin sur le mur de l’hôtel ; il n’y a pas de raison que je ne me mette pas, moi aussi, au « street art », même si ce n’est que le mur de la cuisine !

Et si on refaisait un peu de moto enville?     https://youtu.be/e-Ri-WOfRD8

En ville…


ptiluc1

Ce n’est jamais facile d’arriver dans une ville où il va falloir prendre quelques  repères en prévision d’un retour indéfini. Quand j’étais arrivé à Irkutsk, je m’étais pris un plumard dans une auberge à routards, j’ai donc fait la même chose. Au vingt et unième siècle, on appelle ça « backpaker »; cuisine collective, chambres à plusieurs lits, ça reste une bonne formule pour être dans un centre ville sans se ruiner. Juste en dessous, il y a un bar rock ; certain soir, je fouille mon sac à la recherche des boules Quiès ; elles restent décidément une des plus fidèles alliées du voyageurs qui veut garder intact son précieux système nerveux.  Je partage ma chambre avec Dimitri qui semble loger ici pour plusieurs mois. Il m’a expliqué qu’il venait de Tchita et qu’il travaillait ici, mais je ne sais pas trop ce qu’il fait. Parfois je le croise dans le quartier, il me fait toujours un grand salut puis disparait dans la ville.   Il ne ronfle ni ne pète, mais il envoie beaucoup de textos , à chaque fois ça émet un petit son très énervant… sinon, ne mégottons pas, Dimitri est presque un voisin de chambrée discret. En attendant de trouver l’endroit où laisser ma monture, je me balade en ville. Il y a quelques jolies rues piétonnes, avec des petits bars qu’on appellerait ailleurs « à tapas »…on y sert des petits plats chinois à emporter de très bonne qualité qui ne déchirent pas trop le gosier. Pour les petits déjs, après quelques tentatives foireuses près de l’hôtel, j’ai trouvé un petit rade très bien dans le passage souterrain sous la grande avenue. Le cadre est à pleurer, mais le café et les gâteaux me vont très bien. Quand on s’arrête quelques jours, on prend très vite des repères et des habitudes, on se cherche des bases, on se prépare, il faut bien le reconnaître au retour à une vie normale qui ne nous a, avouons-le, jamais vraiment quitté…       https://youtu.be/QzFhrRsnDek

Vladivostok, tout le monde descend…


ptiluc1

Ce qu’on en dit dans les guides, finalement, ce n’est pas toujours que des conneries… Vladivostok, nichée à l’extrême pointe de la Sibérie orientale, à quelques kilomètres de la Chine et de la Corée, juste en face du Japon, c’est bien, enfin, une ville de Russie qui ressemble à autre chose : il était temps, il n’ y a pas moyen d’aller plus loin. La Russie est quand même étrange, ce n’est pas un pont entre l’Occident et l’Orient, c’est une infinie extension de l’Occident qui va plus loin que l’Orient pour venir se nicher entre ses plus illustres et lointains représentants, tout a bout, au bord du Pacifique. Il y eut ici, avant la révolution, d’innombrables délégations étrangères. Il faut dire que les Anglais et les Français avaient encore des colonies pas très loin et après 1917, tous les russes qui fuyaient la révolution par l’Est, à force de reculer, on finit  au bord de l’océan ; quand trois ans plus tard, les soviets sont arrivés, certains sont partis en Chine, d’autres ont traversés l’Océan pour aller en Amérique, comme le petit Yul Brynner, qui naquit ici avant d’aller faire le cosaque à Hollywood ! A mon arrivée, je suis accueilli par lidia, Alexander et Lisa, les unes travaillent au musée et le second a une petite librairie de comic’s. On me fait la visite culturelle, ça change un peu des relais biker… Les rues piétonnes, les ateliers de street art, le front de mer. Une ville de bord de mer, en Russie, j’avais oublié que ça pouvait exister… 

Arrivée au terminus…


ptiluc1

Quand je suis arrivé à Khabarovsk, j’avais l’impression d’être au terminus, que Vladivostok était juste à côté ; sur la planisphère, on pourrait le croire, un peu plus de sept cents kilomètres, qu’est-ce donc après toute cette traversée ? Mais un sérieux coup de mou m’accompagne, l’impression de ne jamais avancer n’a jamais été aussi forte. Les étapes dans les hôtels de bords de route ont perdu de leur charme, je rame, c’est toujours complet, je me replie dans les petites villes, il est temps de partir… Pourtant je redescends vers le sud, il fait beaucoup moins froid, même si  un petit vent du nord  vicieux me ramène un peu de ce que doit endurer Piotr sur sa Mob. Mais ce vent frisquet qui me pousse vers le Sud, c’est toute la Sibérie qui me dit que j’ai assez roulé, qu’il faut que je me repose, que si je veux, je peux revenir puisque j’en ai pris l’habitude, mais pas tout de suite… Les deux cents derniers kilomètres commencent par une autoroute toute neuve, qui se transforme un peu plus loin en une route à trois voies délabrées, comme  la Nationale 7 du temps des années soixante  et puis à nouveau de l’autoroute. On fait les travaux par petits bouts dispersés dans ce pays, c’est pour que les usagers n’aient pas le temps de s’ennuyer. Je m’arrête encore une fois dans un resto de bord de route, c’est comme si  je ne voulais pas arriver trop tôt, j’ai beau me sentir un peu rétamé par cette longue route, j’ai du mal en imaginer que j’arrive au bout, alors je traîne. Je reprends un borj avec la télé, je retourne pisser dans les chiottes dégueus, on a toujours du mal à abandonner une routine. A  Barnaoul, je désespérais de ne jamais refaire démarrer ma moto, mais quand elle fut prête à reprendre la route, je n’arrivais pas à y aller ; c’est bien crétin, non? Mais là, ça y est ; Vladivostok est devant moi. Un long pont franchit un bras de mer et je me faufile dans une périphérie qui s’étale sur des collines de bord de mer,  je vais me laisser guider par le hasard et les panneaux jusqu’au centre où il faudra bien s’arrêter à un moment donné.

( j’avais  décidé d’illustrer ce passage  par un petit film d’arrivée…mais à peine passé le pont sur le bras de mer, la petite caméra, sans doute mal fixée,  a piqué du nez et s’est contentée de filmer ma roue avant…)      https://youtu.be/AF8WuxgGAnc

Au resto …


ptiluc1

(Khabarovsk :  https://youtu.be/_UWfDzVXJww)

Après un grand pont sur le fleuve, voici enfin Khabarovsk et le premier panneau Vladivostok… Khabarovsk est une grande ville moderne avec quelques belles avenues et de l’autre côté du fleuve, la Chine qui n’accepte pas les voyageurs à moto. Je fais un tour dans le centre ville, évidemment les hôtels y sont chers…alors je me réfugie en banlieue, je ne veux pas aller trop loin, je dois encore faire réparer mon téléphone…

Un hôtel dans un immeuble soviétique avec un çoupermarket et un resto à côté.  La clientèle est un peu délabrée, mais ça donne à l’ensemble une certaine unité. J’ai commencé par aller voir le resto, c’est l’estomac qui parle. La différence entre les kâfés et les restaurants tient surtout dans le décorum et la note. Dans un kâfé, snack ou pas, on est servi très vite, c’est copieux, pas cher, plutôt bon, le seul problème en fait, c’est la télé. Dans un resto, il y a des beaux verres, il fait toujours presque nuit, dans l’assiette c’est à peu près la même chose que dans les kafés, mais on attend longtemps, c’est pas copieux et dans l’obscurité il faut bien viser avec sa fourchette, sinon on risque de manger sa serviette. Arrivé à la fin, c’est trois fois plus cher. A cause des verres sans doute ; tout ça pour boire du Lipton Yellow, c’est vaguement du gâchis. Le Lipton Yellow est un peu au thé, ce que le nescafé est au café, une espèce d’ersatz dégueulasse dont la seule qualité est d’avoir conquis la planète entière, au même titre que le Coca et le Macdo…mais peut-on parler de qualité pour qualifier ce qui ressemble plutôt à une pandémie ? Il y a un autre point commun entre les deux cantines et ce n’est pas le moins rédhibitoire : la télé. Encore et partout, avec ses programmes pourris, ses pubs incessantes, quand on rentre dans un kafé de bord de route, tous les chauffeurs de camions sont là, seuls à chaque table, à boire leur borj , les yeux scotchés à cette lucarne débile, personne ne parlant à personne ; il n’y a pas un endroit où j’ai pu y échapper…si,  dans ma piaule…je suis donc allé au çoupermarket m’acheter des chips et, enfin au calme, dans ma chambre bien chauffée, j’ai pu lentement décompresser après ces milliers de kilomètres…Le lendemain, après avoir une fois de plus changé le câble de mon téléphone et remis le litre d’huile que ma bécane demande à chaque mille bornes, j’ai repris la route plein sud, il reste sept cent kilomètres jusqu’au terminus du trans-sibérien, je roule tranquillement, le soleil dans les yeux et puis la pluie en fin de journée et puis la nuit avec la pluie. Les tentatives pour trouver où dormir sont parfois infructueuses, mais on finit toujours par y arriver, il suffit d’y croire…

La Sologne


ptiluc1

Vladivostok ; son nom résonne comme un vieux mythe…pourtant depuis Irkutsk, Ulan Ude ou Chita , il n’est jamais indiqué sur les panneaux. La destination la plus lointaine qu’on signale au voyageur de la route 55, c’est Khabarovsk.  Depuis Chita, je suis sa destination avec obstination. Il y était indiqué : Khabarovsk, 2020 kilomètres…Deux mille vingt…ça m’a immédiatement évoqué l’année du même nom, si proche… et plus j’avançais, plus, comme avec les arbres qui reverdissent, j’avais l’impression de remonter le temps. Un peu plus loin c’était deux mille deux, puis dix neuf cent quatre vingt douze, quatre vingt quatre…il n’ y en a pas à chaque kilomètre, ce ne sont pas les bornes de France, mais en voyant ces dates défiler, je ne pouvais que remonter le temps, le lycée, quand j’étais petit, quand j’étais pas né, quand mes parents se sont connus, quand ils étaient petits eux aussi et puis on bascule dans l’histoire, le second empire, Napoléon, les rois de France ; l’effet s’est estompé quand après mille bornes ces chiffres n’évoquaient même plus les livres d’histoire, j’ai arrêté mon décompte aux  périodes sombres du haut moyen âge et j’ai recommencé à regarder les arbres, à compter les bouleaux, combien de centaines de milliards de bouleaux en Russie ? La route, toute neuve et si belle la plupart du temps, devient, deux cent kilomètres avant le kilomètre zéro du décompte vers Khabarovsk, une espèce de petite départementale plutôt étroite, qui traverse à nouveau une zone de marécages et de bosquets, on se croirait en Sologne, quelque part entre Salbris et Romorantin. Être venu si loin pour se retrouver en Sologne ; c’est ça l’infinie mélancolie de la Russie, on roule pendant des heures, des jours et des semaines et on a l’impression lancinante de n’être jamais parti…

Après Mogotcha


ptiluc1

Petit film après Mogatcha :          https://youtu.be/dY2svkfcP6g

Le motel de la dernière étape mériterait d’être oubliable mais c’était  le seul, alors, dans ces cas-là, on n’a pas le choix. Pas de chauffage, pas de douches, les chiottes dehors et  tout ça pour le même prix que chez mes joviales copines de la veille ? Mais ça ne va pas du tout. Heureusement, le cycliste qui s’était juste arrêté pour se restaurer avant de planter sa tente, semble craindre les ours qui ne sont, paraît-il, pas rares et pas craintifs dans ces forêts. Nous négocions donc un tarif pour deux; même sans douche, c’est toujours mieux que de dormir dans les bois au milieu des plantigrades affamés. Je quitte l’Oblatz des Juifs, la morne plaine, pour entrer dans celui de l’Amour. L’Oblatz c’est comme qui dirait le département, la province, le district, la wilaya : un découpage administratif. Celui des juifs fut bien sûr créé par Staline qui aimait beaucoup transférer des populations entières d’un bout à l’autre de son empire. A la fin de l’Union Soviétique, on créa un aéroport avec des vols pour Israël et les marais tristes de l’Oblatz se dépeuplèrent très vite. L’Oblatz de l’Amour a un bien joli nom, c’est celui du grand fleuve Sibérien qui sépare la Chine de la Russie et que seuls les rares derniers tigres peuvent traverser sans visa.

Au pays de l’Amour, les collines boisées sont revenues et leur végétation s’est incroyablement diversifiée; le bouleau a de la concurrence. Il croyait avoir le monopole, l’exclusivité depuis Moscou et ne voit-on pas subitement apparaître d’autres essences ? Des chênes, mais avec des feuilles plus larges, des hêtres mais avec des feuilles  moins lisses et celles des saules sont plus longues, nous les appellerons le chêne de Mandchourie, le hêtre transbaïkalique et les saules de l’Amour. Que voulez-vous, j’aime les arbres, je voue une dévotion infinie aux cathédrales que sont nos dernières allées de platanes centenaires et un certain mépris aux motards qui voudraient les faire abattre. Une allée de platanes se traverse avec respect et humilité, si on veut tirer des bourres, il y a assez de bretelles d’autoroutes… surtout en Russie d’ailleurs et pas beaucoup de radars, ce qui ne gâte rien !

Un pas de plus…


ptiluc1

La route du lendemain quitte la zone forestière pour s’égarer dans une infinie morne plaine marécageuse toute grise. Les stations services y sont rares, les bistrots de bord de route aussi et il fait toujours frais. Les feuilles, pourtant,  réapparaissent sur les arbres qui reverdissent, on pourrait croire à un paradoxe temporel ; je ferais marche arrière, remonterais vers l’été. C’est plutôt la route qui redescend vers le sud. Après une large courbe au nord pour contourner la Mandchourie chinoise, la route de Vladivostok plonge plein sud, ça se voit un peu, ça ne se sent pas du tout. Il y a de la neige  dans les fossés et si j’en crois le cycliste Moscovite que je croiserai au triste motel de l’étape, j’ai dû avoir une sacrée chance. Le jour où, avec Piotr, on se tapait une journée de pluie dégueulasse, lui, pas bien loin, sur la même route, il avait de la poudreuse jusqu’aux chevilles. J’ai emmené mes chaines à neige, c’est vrai, je ne crains rien, mais la simple idée de devoir les chausser au bord de la route ne m’enchante pas du tout et finalement, n’en déplaise aux lecteurs qui voudraient plus d’action, avoir fait presque tout ce voyage au sec, c’est un luxe que je regretterai jamais.

Poor lonesome…


ptiluc1

Piotr a encore du mal a se réveiller, pourtant il a dormi d’un sommeil de plomb dés neuf heures et demi. Ses ronflements couvraient presque les musiques infâmes de boite de nuit. Ses fringues ne sont pas sèches, la météo annonce de la neige sur la route du nord après l’embranchement ou nos chemins vont se séparer. Il décide de rester un jour de plus… Moi je repars… un peu plus tard à l’embranchement il y a un motel de bord de route avec des camions qui ont un peu de neige sur le toit. L’auberge a l’air beaucoup mieux que ce que nous avons subi la veille ça méritait un dernier petit coup de téléphone ;  ce seront là nos ultimes échanges, c’est l’implacable loi du voyage en solitaire, il ne faut que des rencontres furtives, des échanges superficiels sinon on repart triste et ce n’est pas drôle. Une timide réapparition du soleil, des bouleaux et quelques motos sur la route me donnent presque l’impression que l’été des femmes va revenir et je me sens mieux. Je m’arrêtai quatre cents kilomètres plus loin, dans une auberge de bord de route ou je me trouve un coin tranquille pour dessiner, l’équipe de femmes vigoureuses et joviales qui gère tout ça m’a très vite adopté mais je continue à me demander comment Piotr et son petit engin poussif arriveront à Magadan ou c’est vraiment déjà l’hiver… je lui ai pourtant bien dit que l’étape qu’on s’était fixée comme ultime est, dans un voyage,  ce qui a le moins d’importance, mais il n’en démordra pas ; ce sont ces obsessions de petits garçons qui veulent pisser plus loin que les autres qui entraînent plus tard des motards solitaires sur des routes improbables et je me demande toujours, avec mon lointain projet de remonter un jour, là bas, tout en haut, si j’ai dépassé ce stade, moi qui n’ai jamais été celui qui pisse le plus loin…

Au delà de Magotcha…


ptiluc1

Au petit matin, trois degrés, petite pluie fine, pas loin de la neige fondue… Je me rends subitement compte que c’est mon premier jour de temps maussade,   premier jour de presqu’hiver ; un entre deux, un temps suspendu, voire deux, le météorologique qui hésite encore à plonger dans le froid et puis l’autre, celui des heures qui s’écoulent, des fuseaux horaires qui changent ; sans repère sous un ciel plombé, ce temps-là est lui aussi en suspens. Piotr aurait bien voulu partir à l’aube, mais l’aube a disparu et il est un peu ramolli par les quelques coups de vodka qu’il a tenu à boire avec moi la veille. Les polonais n’ont vraiment rien à envier aux russes dans le domaine très pointu de la pente du gosier.

Les collines défilent, noyées dans le brouillard,  à chaque tranche de cent bornes, je prends une soupe, ces petites pauses permettent aux écarts qui séparent le petit Giléra de ma grosse Béheme de légèrement s’atténuer… L’après midi ça se durcit, la pluie devient vigoureuse mais je suis bien équipé…j’arrive à Skorovodino en fin d’après midi, c’est une autre petite bourgade informe ; j’ai juste le temps de trouver un hôtel et d’envoyer le message habituel à Piotr qui arrivera une heure plus tard, confirmant sa moyenne de cinquante à l’heure et l’étanchéité pas terrible de ses équipements. Mauvaise pioche, ça paraissait tranquille, un peu à l’écart, mais c’est aussi la boite de nuit du village et nous sommes samedi soir…me voilà bon pour les boules Quies…Piotr roupille comme un bloc de granit, il y en a qui ont des talents surprenants…demain, nos routes se séparent…

Juste rester au plumard…


ptiluc1

Rouler avec Piotr m’aura finalement appris que voyager lentement ne change rien à l’affaire…on arrivait toujours aux mêmes endroits,  je faisais juste des pauses plus longues… Sur son petit scooter, il rencontre les mêmes gens, il s’arrête aux mêmes endroits, il est juste dans une autre dimension temporelle. Pour l’espace, nous sommes plutôt raccord… Si, sur une piste défoncée, dompter une moto est plus gratifiant que pousser une mobylette, il faut bien reconnaître que sur les longues routes goudronnées, la seule différence c’est le sens de la durée…On finit donc ,trois jours de suite, aux mêmes endroits…A Mogosha, Piotr essaye de trouver pourquoi sa mob est si fatiguée et moi, je ne cherche pas à comprendre pourquoi je suis  si fatigué…je me repose, c’est tout,  je reste au lit à dessiner, il n’ y a rien à visiter ici ; le soir les mecs bourrés surgissent de nulle part comme des zombis, si tu les croises, t’es foutu…la chambre est bien chauffée, les douches aussi, pourquoi ne pas en profiter  pour ne pas mettre le nez dehors?

Mogotcha est en exclusivité sur :  https://youtu.be/NtPWWAIO4I8