Bébé chat et motard tchèque sur la route de Khabarovsk


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Un bébé chat, tout roux et tout pelé est venu me faire chier pendant la nuit… C’est con un bébé chat, ça ne bouffe pas de pain, ni de viande fumée, ni même de raisins secs, impossible de le dépanner pour un soir. Le matin, il était encore là, je l’ai laissé vivre sa vie  pourrie de bébé chat,  pour repartir plus loin…mon collègue Tchèque avait eu la bonne idée de faire la manœuvre du demi tour la veille. Alors qu’il repartait déjà, je me suis vautré deux fois en faisant  la manoeuvre dans les ornières…le temps de virer les sacs, de relever, de décharger, il devait déjà être loin… Il aurait attendu deux minutes, il aurait pu m’aider à relever tout mon charroi, mais je peux le comprendre, il a un planning chargé pour les deux semaines à venir.

Quand je suis sorti du sentier, surprise, il était planté là à m’attendre. J’ai moins compris son mode de fonctionnement… Mais il devait fulminer secrètement en se demandant comment il allait se débarrasser de ce boulet en vieille Béhème. Je pensais un peu la même chose… c’est terriblement chiant de rouler à plusieurs, il faut sans cesse surveiller le reste du convoi, pas moyen de s’arrêter pisser quand on veut et puis il faut s’adapter à la moyenne horaire de la moto de tête…pour peu que l’on tombe sur un Tchèque en fin de visa et ça devient l’horreur, plus de place pour la flânerie, seule ne compte plus que la moyenne. Mais qu’en avais-je réellement à foutre de ce motard à la bourre que se fait des saucisses bouillies avec du nescafé chinois au petit déj alors qu’il y a des bistrots tous les cinquante kilomètres?  Je profite de sa pause essence pour lui dire que je prends un peu d’avance, que je m’arrêterai un peu plus loin à une station où il y a aussi un bistrot ! Je peux donc profiter de ma nouvelle position de tête pour imposer le rythme et lui laisser le choix de continuer seul. Ma conscience est sauve…Un quart d’heure plus tard, il me dépasse en me faisant un signe du pied comme un chien qui pisse ; ce petit message codé me laisse  sous  entendre qu’il continue sa route.  En tout cas, ça m’arrange sacrément d’y croire… Je m’arrête donc à un « kafê » de bord de route, un comme je les aime, un peu roots, un peu cowboy, mais pas du tout fast food… Je suis content d’être débarrassé ; quand je roule à côté d’une autre moto sur ces longues étapes, je prends  conscience de la relative vacuité de ces virées aux longs cours, surtout quand on mange des saucisses bouillies au bord de la route. J’ai même l’impression que le destin du bébé chat m’angoisse plus que celui du motard Tchèque. Il va essayer de rejoindre Tchita au plus vite pour tenter de charger sa bécane sur un train, l’autre va tenter de retrouver sa maman avant l’hiver, d’échapper aux renards et aux fouines, de trouver quelque part une petite fille qui le prendra dans ses bras, puis en photo avec son Samsung Galaxy et balancera  son portrait sur Facebook où il ira rejoindre les milliards de photos de bébés chats qui , à elle seules, saturent des centres de big data tout entiers… Combien de centrales nucléaires faudra t’il construire juste pour sauvegarder les images de bébés chats ?