direction Aldan…dans le vif du sujet sibérien….


ptiluc1

J’ai mal dormi…ça valait la peine de se taper un hôtel plus chic. L’angoisse de la route peut-être ? Qu’en sais-je ? Le résultat est là, j’ai la tête dans le cul au petit matin…il fait tout gris, il neige un peu, je suis dans l’expectative totale. Pour m’occuper, je monte les chaines, tout est verglacé autour de l’hôtel…il n’y a que trois cent mètres pour rejoindre la route dégagée, mais comment faire autrement…je sens qu’à l’hôtel, on apprécie moyennement que je bricole devant l’entrée…quelle idée aussi de ne pas avoir un garage ?  Je papote comme je peux avec les curieux…on me dit, globalement, que je suis fou, qu’il y a de la montagne, de la neige jusqu’aux genoux, des ours et des loups…c’est qu’ils me feraient flipper ces cons-là…je commence à me tâter pour prolonger l’étape. Oleg, mon contact qui bosse toute la journée à la gare, me confirme que ce serait mieux de partir demain…J’ai des doutes, chaque jour nous rapproche de l’hiver un peu plus rude plus le temps passe et plus on s’avance vers le nord…Je fais des tours de pâté de maison, c’est quand même bien efficace, ces chaines, même si ça cliqette bizarrement . Finalement, je me décide à démarrer; on dirait que ça se lève vers le nord. Oleg a envoyé un membre du club pour m’assister quoi qu’il arrive… alors il m’accompagne jusqu’à la sortie de la ville et m’aide à virer les chaines. Me voilà reparti, au début je ricane sous mon casque, les premiers cent bornes s’avalent  sans problème, même si ça grimpe, même si le revêtement est parfois réduit à sa plus simple expression de chemin caillouteux…mais large, balisé, ceinturé dans les virages ; de la piste de luxe en fait.

L’autre versant, c’est le versant nord, tout bascule, je n’arrive plus à identifier le revêtement qui ressemble bien souvent à de la neige tassée saupoudrée de sable noir. La lumière baisse, c’est de plus en plus blanc et glissant, je commence à penser aux loups et aux ours et si on m’avait dit vrai ce matin ? Mais ai-je le choix ? On ne s’arrête pas en pleine forêt enneigée, il faut continuer… A l’instant où un soleil rasant  crève les nuages et illumine les collines, j’arrive dans une petite bourgade vaguement industrielle et plus ou moins en ruine….il y a un bistrot, c’est toujours là que se trouvent les solutions. Deux lascars se tapent des saucisses, la patronne discute un peu…je n’arrive pas à deviner si  rester là me portera chance, l’intuition me manque, la fatigue sans doute… Les lascars me disent que la ville n’est qu’à soixante bornes et que la route est bonne…je tente le coup… avec la neige et la lumière du couchant, on y voit plutôt bien…la route56 a de l’allure à la nuit tombante…mais  elle est de moins en moins déneigée, je trace , accroché au guidon, j’évite les coups de frein et de gaz,  conduite coulée, ça s’appelle…  Impossible d’avoir une idée précise de ce que sont les substances sous mes pneus,  jusqu’à ce qu’une ornière sournoise m’envoie par terre. Deux camions s’arrêtent pour m’aider à  tout relever…on fait ça très vite, la nuit tombe et il y a des camions partout…  ils me disent de me dépêcher, je remonte un peu tremblant, et c’est reparti, mais maintenant je sais que c’est du verglas , j’ai la trouille…  La nuit est tombée, il n’ y a qu’une voie de circulation déneigée, je reste à l’abri entre mes deux camions, c’est mon escorte personnelle… Arrivés à l’entrée de  Aldan , on s’arrête dans un des cafés de l’entrée du bourg, là où il y a les stations, les cafés, les pièces détachées, les pneus… mais plus les motels comme dans  tout le pays…Je m’assieds et j’attends. Cette fois-ci, je laisse faire, je n’irai pas plus loin. Mes potes routiers Yakoutes reprennent la route, il me laisse avec les filles du bistrot et un collègue à eux à qui ils m’ont confié… je range la moto derrière une barrière en taule , à côté d’un gros chien et, en taxi, on ira à l’auberge au centre d’Aldan enneigé. C’est une grande auberge qui ressemble un peu à une caserne avec ses piaules et ses douches collectives puis sa clientèle complètement masculine et plutôt portée sur le treilli kaki que sur le costard Kenzo… comme bien souvent dans les campagnes russes …

La réceptionniste est bien élégante avec sa chevelure blonde abondante et ses bottes d’esquimau. Elle me fait visiter son établissement et l’épicerie qui le jouxte. On peut y accéder par l’intérieur, sans sortir dans la neige, c’est très pratique si  surgit une petite faim nocturne. Elle me montre aussi, affichées au dessus de la réception, les photos de tous les motards qui ont fait étape ici ces dernières années ; j’en reconnais même certains. Comme l’étape fut rude et que je me sens plus en ruines que les kolkhozes soviétiques, je la salue respectueusement, la remercie pour la visite et lui donne rendez-vous pour le lendemain matin…

Mais le lendemain matin, elle n’était plus là, alors je suis reparti…