le retour…


ptiluc1

Se faire rapatrier, c’est comme pour les poilus des tranchées en quatorze ; il faut avoir la bonne blessure. Elle doit être suffisamment grave pour être admis mais pas trop pour pas finir sa vie en fauteuil.  En quatorze pour une jambe cassée, on te renvoyait chez toi, mais si les officiers  découvraient une quelconque tricherie, c’était direct le peloton d’exécution.  Les sociétés d’Assistance ne fusillent plus les tire-au-flanc, mais elles vérifient quand même si on ne cherche pas à les embobiner. Dans mon cas, avec le gros plâtre à l’ancienne, les radios et quelques échanges téléphoniques entre docteurs, j’ai brillamment réussi l’exam du petit éclopé  qu’on va ramener à sa maison.

Après, évidemment, c’est royal. Un taxi vient chercher le pauvre voyageur handicapé, même dans un club de motards au fond d’une impasse gelée, pour l’amener à l’aéroport. Il aura droit à tous les égards; dans son fauteuil roulant, on viendra le chercher à la sortie de l’avion, il passera devant tout le monde aux interminables contrôles et entre les vols, bonjour les petits fours dans les salles d’attente réservées aux privilégiés du cac40… Dans l’avion, le grand blessé rentre le premier et les hôtesses le couvent d’un regard maternel et compatissant ; enfin surtout la grosse qui ressemble à Jacqueline Maillan. L’autre, celle qui ressemble à la Ornella Mutti d’il y a quinze ans, elle en a rien à foutre. Elle préfère chouchouter  les jeunes startupeurs en baskets de luxe, il y en a peut-être un qui voudra l’épouser. Jacqueline a passé l’âge, elle ne s’attarde pas sur mes jean’s pourraves et mes pataugas trouées. Son instinct maternel a pris le dessus et elle recharge allégrement mon verre de vin dès que le niveau baisse… C’est pas de bol, le vin de la bizness class d’Air France est bien meilleur que sur Aeroflot ; je le sais…souvenir de mon rapatriement d’il y a douze ans…au prochain accident, j’essayerai de choisir la compagnie !

Bien calé dans mon gros fauteuil, je m’endors lentement…je revois défiler la route…

Maintenant, c’est parti pour une longue convalescence…je vais avoir le temps d’organiser mon prochain retour là-bas, tenter de récupérer mes skis, réparer mes chaines et bien choisir ma période pour être sûr d’arriver un jour à Magadan…puis pourquoi pas, tenter de pousser un peu plus loin…Toujours plus loin , sans s’affoler, vers ces routes inconnues, j’en frémis d’avance …