Présent conclusif plus qu’imparfait


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Le confinement est terminé, il est temps d’arrêter cette chronique quotidienne.

Quand je rentre d’un pays lointain, j’attends toujours quelques articles pour trouver la conclusion du récit , en décrivant, durant quelques jours, le retour à la vie normale. Avec cette fin de confinement, on n’y est pas encore vraiment, dans la vie normale. Le temps, sans repère précis, continue de s’étirer…

Je roule à nouveau, j’ai sorti la grosse Italienne du garage pour aller sillonner quelques routes d’arrière-pays. Après avoir instantanément retrouvé cette  incomparable sensation du vent fouettant mon visage, j’ai senti comme un léger sentiment de gène m’envahir peu à peu…J’étais comme tous les autres, tout ceux qui se goinfraient du plaisir puéril de faire rugir leurs moteurs à travers les campagnes et brisaient la trêve accordée aux oiseaux …Quel dilemme ; ces dernières semaines, du haut des arbres, je m’émerveillais pourtant chaque jour du retour des fanfares printanières. Mais que faire ? La moto, c’est comme le dessin, si je suis ce que je suis, c’est par l’accomplissement de ces deux rêves de gosse… Alors je me dis que ce confinement ; c’était un peu comme une répétition, et que quand plus personne ne roulera, j’aurai déjà été initiés aux plaisirs simples de proximité… en attendant , j’assume ce dilemme…

Le moment venu, je demanderai un délai supplémentaire à ma conscience, un report en quelque sorte ; car j’ai toujours une moto à récupérer, là-bas…

On m’y attend toujours, au Chukotka…

Présent suspensif


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Pendant deux mois, tout fut donc suspendu… mais sans doute à des hauteurs différentes.

Quand j’appelle mon pote mécano, dont le doigt écrabouillé, confiné dans la montagne, a eu le temps de se reconstituer plus ou moins, il me dit qu’il a repris le boulot là où il l’avait   arrêté, exactement comme s’il avait appuyé sur une touche pause ; il a repris la clé de douze posée sur l’établi, huit semaines plus tôt, pour continuer la vidange de la vieille brêle pourrie, posée là pour un entretien, qui aura eu  largement le temps de laisser se vider le carter jusqu’à la dernière goutte. Dans son cas, c’est un vrai temps suspendu. Ces deux mois, vu de son atelier, c’est comme s’ils n’avaient pas existé… et si on faisait pareil pour tout ? Les charges, les loyers, les prélèvements divers et innombrables dont les échéances nous guettent sournoisement ?

On ferait comme si rien ne s’était passé. Ce serait simple, non ? L’état n’aurait pas à emprunter quelques milliards de milliards puisque cette parenthèse serait devenue une illusion.

Mais non ; il paraît qu’en réalité, ce n’est justement pas aussi simple. Qu’il y a des processus qu’on ne peut pas mettre sur pause aussi naïvement, qu’il y a une inertie de la machine sociétale…comme un immense cargo qui dérive…avant, bien sûr, de s’échouer bientôt…

 Futur Présentement actif


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Il paraît que la vie d’avant a repris ses droits ; en tout cas, elle tente; poussée par l’exécutif obsédé par la croissance. Il pleut sur toute le pays pour confirmer le retour à la norme. Le confinement était-il juste une illusion météorologique de vacance forcée et violemment printanière ? Pour bien vérifier si tout ça n’était pas un drôle de rêve, je regarde les pins élagués titiller les nuages bas. Quand reviendront les fortes chaleurs, je serai un peu plus à l’abri des feux de forêt. Personne ne sait s’il y aura un retour du virus et un nouveau confinement, mais, force est de constater qu’avec le retour des embouteillages, la parenthèse climatique se referme déjà…alors la nature en colère face à notre stupidité de bestiole fébrile va peut-être nous envoyer un second coup de semonce. On l’aura bien cherché, puisqu’on a toujours rien compris…

Futur moins un


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Aujourd’hui, il fait gris et il pleut, la terre sent bon la terre, je suis allé faire un tour à moto. Je me suis baladé en périphérie, dans ces quartiers des glorieuses fifties, édifiés quand l’insouciance et la confiance dans l’avenir berçait d’illusion une population enivrée de petits espoirs tout simples et à crédit, quand les petits pavillons avec jardin, s’appelaient « mon rêve » ou « sam suffit ». D’y rouler, comme ça, le nez au vent humide, me donnait l’impression de divaguer entre les époques dans une vague faille temporelle. Entre le temps où les rues étaient vides parce qu’il n’y avait pas trop de bagnoles et celui où elles le sont parce qu’on est assignés à résidence… D’y rouler comme ça sans attestation dérogatoire, donnait à cette microscopique virée un tout petit parfum d’aventure… Arriverais-je à m’en contenter, si les frontières lointaines restent fermées à jamais?

Futur toujours présent


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Ce compte à rebours que tout le monde a dans sa tête et qui doit ne déboucher que sur presque rien, sinon à peu près la même chose, a quelque-chose de déroutant ; sans doute parce qu’il est très attendu.

C’est la première fois qu’un tel nombre de gens se retrouvent en attente fébrile de rien.

Après demain sera comme hier…le temps a définitivement disparu…

Futur présent


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Il y’en qui se préparent à fond  la caisse pour dans quelques jours. Mais il ne faudrait pas oublier que l’assouplissement des règles en vigueur ne va pas nous précipiter vers un retour à la vie d’avant. Les comptes à rebours qui fleurissent un peu partout laissent à penser que beaucoup se voient déjà extatiques dans les rues enfiévrées par la fête… et pourtant…

En attendant, des chercheurs belges auraient, me dit-on dans la très sérieuse rubrique scientifique de France Culture, trouvé une molécule miracle chez le lama.  Non, pas le Dalaï, juste l’espèce de mouton à port de cheval qui caracole sur les hauts plateaux andins. Incroyable, non ?  Serait-ce la dernière blague belge à la mode ?

Pa si sûr… après tout, les belges avaient déjà envoyé leur plus célèbre reporter faire des prélèvement sur site il y a déjà une cinquantaine d’années.

Conjugaison des déclinaisons


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Cinq déclinaisons d’infos nous inondent depuis bientôt deux mois, un peu toujours les mêmes. Le style Tf1-BFM se marie volontiers aux  infos du Net ou aux flux de Facebook  mais pas vraiment à celui  de France culture.

Les cinq déclinaisons s’interchangent au gré des médias qui passent… la première nous propose l’option politique avec l’incurie du gouvernement, la mauvaise gestion, les élections reportées ou les manifs futures. L’option scientifique, la seconde, parfois en accord, mais pas systématiquement, avec la précédente, nous submerge depuis le début de statistiques alarmantes, de délais de fabrication des remèdes, des vaccins, des masques ou des respirateurs, là on commence à stresser. Vient ensuite la déclinaison économique ; qui va payer ? Comment ?  Quelle seront les répercussions sur l’emploi, sur la croissance, la décroissance, le commerce, le tourisme de masse, le monde d’avant… c’est à ce stade que se pointe l’anxiogenéité  ;  le confiné commence à boire, se droguer ou à frapper son entourage. La déclinaison écologique pourrait rassurer un peu avec son bilan si positif pour la pureté de l’air et la vie animale, mais, comme d’habitude, elle passe au second plan, y compris auprès des responsables politiques qui oublient un peu trop que c’est la base du problème. Il y a enfin, après tout ça, la déclinaison philosophique. La mutation de nos habitudes, la déliquescence de notre appréhension du temps qui passe, des rapports aux ainés, au travail à la vacance ou à la vie…

On devrait plus souvent écouter les philosophes, mais tout le monde s’en fout parce que ce n’est pas eux qui ont le pouvoir de rouvrir les bistrots…

Nature Rebelle


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Le confinage arrive à la fin de sa seconde période, mon élagage aussi.

Avec ce partenaire providentiel que m’avait amené, après la première quinzaine, la restructuration des confinements,  nous étions prêts à attaquer le grand pin du fond, le point d’orgue de ces semaines d’escalade. Après avoir glorieusement taillé les quatre premiers conifères, vaincu par les tendinites, j’avais donc passé le relais à la génération suivante et m’étais, volontairement et volontiers, rétrogradé au poste d’assistant zélé.

Youssef a donc commencé cet ultime escalade mais à peine installé sur la grosse fourche armé de sa tronçonneuse, il a dû battre en retraite après avoir, héroïquement terminé de   tomber cette belle branche morte dans laquelle nichait une redoutable colonie de fourmis à têtes rouges. Avec une totale maitrise de combattant du Hezbollah, il a consciencieusement descendu le matériel avant de se diriger vers la douche avec un flegme de guerrier.

Quand j’ai ausculté l’intérieur de ses vêtements avec mon objectif macro, j’ai découvert ce qu’il avait affronté avec un sang froid qui ne peut que forcer l’admiration…

Futur de proximité sociologique


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Donc voilà… plus on avance dans le mois de mai, trop chaud d’ailleurs, mais c’est un autre sujet…plus on avance dans le mois de mai, donc, plus on avance vers les risques de canicule… ah non, je suis encore hors sujet… en réalité, c’est vers le déconfinement qu’on s’avance ; la canicule, les incendies, la sécheresse, c’est pour après la déconfination. Il faut d’abord que les vieux ne soient plus en réanimation post Covid, ensuite on pourra sortir la canicule pour finir le projet de rajeunissement de la population ; mais les deux en même temps, ça le fait pas, le gouvernement y perdrait encore plus les pédales !

Attention,nous dit-on, les « gestes barrières » resteront plus que jamais en vigueur.

La distanciation sociale, les masques dans les transports en commun… c’est très important pour les heures de pointe. On va se marrer à 18 heures au métro « La Fourche » pour respecter les distances… Mais les autorités vont veiller ; flics de toutes sortes ou contrôleurs, ça va être une belle pagaille. Bien entendu, grâce à cet apparent début de liberté retrouvée, on va pouvoir revoir ses vieilles connaissances… mais attention, respectons la troisième consigne : ni poignée de main, ni embrassade… ça ne va pas être simple les retrouvailles : on a plus qu’à se toucher la bite…

Futurisme onirique


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Le temps passe immobile… les arbres sont élagués, les motos redémarrées… j’ai remplacé mes migrations annuelles par un immobilisme appliqué , remplacé les horizons lointains par une observation minutieuse du milieu ; passer de l’infiniment grand à l’infiniment petit, de l’horizontal des longues routes infinies au vertical de mes pins élagués… le mois de mai s’avance vers une fin de confinement où personne ne sait vraiment à quoi s’attendre ; en cela, ces deux mois ressemblent un peu à ce que je cherche à l’autre bout du monde…de ces voyages qui se caractérisent, non pas par le road book  mais plutôt par l’errance… n’oublions jamais que le vrai voyage, c’est celui dont on ne connaît pas vraiment la fin.

Si, finalement, le tourisme de masse disparait, le voyage lui aura toujours sa place d’honneur, surtout depuis que je sais qu’on peut en retrouver l’essence en restant chez soi…

Encore faut-il avoir un chez soi qui ne soit pas un placard étriqué. Il faudrait faire un calcul ; si toute l’humanité pouvait bénéficier d’un logement digne de ce nom avec un jardin permettant une contemplation minimum de l’extérieur, combien resterait-il d’espace pour une nature sauvage et préservée ? Il faudrait bien sûr récupérer des terres sur les grands espaces privés d’une aristocratie en ruine et sur ceux d’une agriculture intensive en besoin urgent de reconversion. La terre serait redistribuée. J’ai l’impression que ce n’est pas vraiment une idée nouvelle. Elle demande juste à être réinterprétée.

Futur Motocyclique


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A propos de moteur à explosion, quand se présentent des perspectives d’organisation déconfinatoire, le deux roues revient à l’honneur. Pour désengorger les transports, respecter les distances et un peu prolonger l’état de grâce décarboné, rouler en solitaire sur deux roues devient une idée fulgurante. Deux roues, oui, mais pas de moteur, il ne faut quand même pas exagérer, ce n’est pas en ressortant de nos garages des vieilles mobs ou des Kawa trois cylindres deux temps, qu’on va sauver la planète…pas de chance encore pour les motardsnostalgiques d’une époque lointaine  chargée de brouillard bleu. Pourtant grâce à la maladie de Kawasaki, nouvel avatar du coronavirus, on aurait pu croire à un coup de promo inespéré pour nos engins vrombissants.

J’étais prêt, moi ; j’avais réastiqué mes chromes.  La mienne est à quatre temps, comme une valse. Elle était prête à  se jeter à nouveau dans la danse. Finalement, je me suis emporté, ce sont les pistes cyclables qui sont à l’honneur et ma conscience environnementale ne va pas s’en plaindre. Il ne me reste qu’à  visiter le réparateur du coin pour  utiliser ma prime gouvernementale et changer le dérailleur de mon vieux biclou. J’ai dix jours pour réactiver le mollet afin d’être chaud au moment du déconfinement… à moins qu’il y ait encore des prolongations… tout peut arriver; cette parenthèse, finalement, n’arrange pas que les oiseaux…

Présent potentiel


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Combien de temps peut-on maintenir enfermée toute une population… même si c’est chez elle, on sait très bien qu’une part innombrable de citoyens n’ont un logement que pour y dormir et y brosser leurs dents en se levant le matin. Une joli monde néolibéral a fabriqué une société où le coût du mètre carré de location ne permet à la plupart des travailleurs de ne se louer que la place du plumard. Il fut un temps où les prolos avaient droit à un  petit pavillon avec un jardin. Plus maintenant. Désormais, le prolo qui ne roupille pas dans sa bagnole a droit à un placard.

Du petit déj au repas du soir, il reste à l’extérieur, au snack ou la cafète, pendant que son directeur des ressources inhumaines est au resto, juste en face… Lui, il a un appartement un peu plus grand avec balcon et peut-être une résidence secondaire où il s’est enfui il y a presque deux mois. Le Prolo, donc, comprimé dans son placard, attend le onze mai… et si c’est prolongé, le prolo confiné dans sa cocotte minute, laissera sans doute exploser le couvercle. Pauvres dirigeants qui doivent trouver un  équilibre au milieu de tout ça…il faut avouer que ce n’est  pas le débat le plus simple, mais c’est pour ça qu’on leur a filé le boulot: ils nous représentent, on compte sur eux ; c’est la démocratie représentative… entre l’explosion sociale et l’explosion virale, quel sera donc le choix qu’ils feront en notre nom ?