Dans le murmure du silence


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Entre la mairie-dispensaire-poste-commissariat, temple du wifi, et le garage sans outils, il y a un petit kilomètre à pied dans le silence feutré de la neige. Parfois le passage d’un véhicule ou l’aboiement des chiens vient rompre cette ambiance ouatée. Seules les motoneiges et leurs puissants moteurs à deux temps viennent gâcher tout ça.

Le bruits des motos; ce débat éminemment motard et d’un autre âge, viendrait-il troubler aussi la quiétude d’ici ?

Si en France, quand j’étais petit, le débat du déplacement motorisé c’était de savoir qui préférait le hurlement enfumé des moteurs deux temps au rugissement des quatre temps débridés, ici, on devait causer traineaux à chien. Réduire les aboiements, accorder les grelots. C’était vraiment une autre époque dans les rue d’Omolon…

J’y vais donc d’un bon pas crissant, la fraicheur m’envahit les narines avec cette sensation étrange d’odeur de rien qui remplit puissamment les sinus. Peut-être que c’est ça, l’effet covid, mais je dois dire qu’ici, cette épidémie est loin d’être une préoccupation.

C’est d’ailleurs étrange, tout ça.

Depuis le départ, j’ai l’impression, même dans les avions, que plus on va vers l’Est, plus tout le monde s’en fout. Dans l’avion Air France, celui qui me vit partir, la psychose était à son comble, les hôtesses sans visages surveillaient plus l’ajustement des élastiques que celui des ceintures de sécurité. Passé sur Air Serbia, il n’y avait plus que les hôtesses à se voiler la face et sur Aéroflot, enfin, le retour temps d’avant et ça fait du bien.

Encore une fois, je commence la journée sans savoir de quoi elle sera faite ; c’est sans doute le lot de tout le monde, mais dans mon cas précis, ça semble plus prégnant. Il va falloir trouver un camion et en attendant, peut-être un endroit plus abrité où pouvoir minutieusement démonter mes robinets. Dans le garage de Ruslan, ce n’est pas la minutie qui est à l’honneur.

Hier soir, mon pote le docteur a tenu à me convier à nouveau à sa soirée Samogon. Impossible de décliner une seconde fois…Coincé entre une sorte de BFM TV martial et un docteur de plus en plus remonté, je me suis dit que je ne survivrait pas à cette soirée. Heureusement, une alerte médicale m’a sauvé pour cette fois; le docteur a dû partir en urgence, un camion qui avait loupé un pont, ça c’est de l’urgence. La petite ambulance m’a déposé chez moi avant de partir dans la nuit glacée.

J’aurai survécu à cette soirée… le chauffeur du camion, non…

De la maison au garage…


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Au dessus de la mairie, il y a donc cet appartement dont j’ignore la fonction initiale.

Le matin, Vania vient me chercher pour boire le thé en famille. Il y a juste sa mère et lui, le papa est reparti bosser à l’élevage de rennes ; j’aurais bien été y faire un tour, mais c’est à deux cents bornes et il n’y a pas de route. On y va, si j’ai bien compris les échanges rudimentaires que j’ai toujours ici, qu’avec un « tank »… Je suppose qu’il s’agit de ces chenillards que j’ai parfois vus au bord des routes.La mairie, c’est aussi la poste et le commissariat, où j’avais mes habitudes la dernière fois. C’est donc le seul endroit, avec le collège juste en face, où on peut avoir du réseau pour communiquer. C’est toujours un peu mon obsession le réseau.

Mon autre obsession du jour, c’est tenter de redémarrer la moto après son séjour dans le permafrost…

J’ai d’abord retrouvé ma tenue de randonneur des grands froids en parfait état, voilà qui me permet d’envisager, en extérieur, une remise en état approximative de la moto sans attraper une pneumonie. Mais du côté des doigts, ça reste LA problématique. Impossible de manipuler les cosses électriques ou les vis de carbus avec des moufles…alors, je fais régulièrement des va et vient entre moto et cabane pour réchauffer mes bouts de doigt. Et comme ça, petit à petit, j’arrive à reconstruire le puzzle. Gonfler les pneus, remettre la batterie , nettoyer les carbus… vers cinq heures, le soleil commence à frôler la cime des mélèzes et il est vite temps de remballer les outils, ici, franchement, à l’ombre, on y marche pas en slip.

Le bilan est plutôt positif, on pourrait même croire que la batterie n’est pas morte. Mais pour tester il faudrait que l’essence arrive et la petite surprise de fin de journée, c’est que les robinets sont complètement bouchés. En fait, c’est pas grand chose comme panne, mais dans le garage de Ruslan, on trouve des outils à camion, des clés de trente deux, des massettes de quinze kilos ou des enclumes énormes. Mais un petit étau et du dégrippant, ça, non. Ce sera la mission de demain.

Quand je suis rentré faire une pause de midi, je suis passé au magasin et j’ai ramené à Vania des mandarines qui venaient d’être livrées. Les mandarines, avec les mômes d’ici, ça fait de l’effet. Sa maman m’a proposé de partager la soupe mais comme je m’étais fait quelques courses, j’ai promis de revenir le lendemain. Quand je suis arrivé chez moi, j’ai découvert que le docteur m’avait déposé de la soupe et du ragout de renne dans un sac isotherme posé devant la porte. Décidément, on me gâte à Omolon…

Retour à Omolon


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Finalement, le petit coucou de seize places, bondé comme un taxi brousse, n’était agité qu’au décollage et ensuite, il a tranquillement, (bien que bruyamment), traversé la Taïga pour se poser à Omolon deux bonnes heures plus tard.

Avant le départ, Alex a tenu à rester en ma compagnie jusqu’à l’embarquement… il faut dire qu’il y avait trois petits vols similaires avec départ à la même heure. Il devait craindre que je ne m’embarque distraitement pour une destination tout aussi paumée mais de l’autre côté du Tchoukotka. Dans le genre, il y avait du choix…

A l’arrivée m’attendait mon petit flic préféré, tout content de visionner mon joli propusk et puis le docteur Sergeï et son ambulance. Il m’a emmené dans un étage de la mairie qui abrite déjà une famille Tchoutche dont la maison a brûlé. On m’y a réservé deux pièces rien que pour moi. Après m’avoir convié à manger du ragout de renne, et vérifié que j’étais bien installé, après m’avoir équipé d’un petit réchaud, d’un verrou pour la porte et d’un transistor pour écouter de la musique, le docteur m’a emmené au garage pour sortir la moto de la cabane. Elle était bien là et tous les bagages que j’avais laissés en vrac trois ans plus tôt, bien rangés dans un conteneur. Aujourd’hui, j’ai fait un grand pas dans ma mission de sauvetage de bécane abandonnée. De quoi demain sera fait reste un grand mystère, mais n’est ce pas là le piment indispensable au voyage lointain ? Ne pas connaître la suite… Je n’imagine pas un redémarrage instantané. Je n’imagine rien. On a mis la batterie en charge, c’est un premier pas. Je ne sais même pas si la route est ouverte et si il y a des camions qui doivent y passer… En tout cas, contrairement à la dernière fois, il n’y a pas un seul camion devant le garage de Ruslan…

Le docteur m’a proposé de passer boire un petit Samogon… j’ai poliment décliné en invoquant le coup de fatigue du voyage.

Je dois reconnaître que picoler alors que j’ai encore les bruits des turbines d’avion dans la tête, ce n’est pas une bonne idée… j’espère juste ne pas avoir commis une faute diplomatique impardonnable…

Aéroport encore…


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Encore, certes, mais pour enfin bientôt arriver à Omolon…

Cet après midi, dernière journée… Svetlana, qui voulait hier continuer mon initiation culturelle avait prévu de m’inviter à voir une opérette,  mais j’ai dû décliner puisque nous avions rodéo au programme. Ce matin, après un tour au marché au poisson, elle m’emmène à la bibliothèque pour me présenter, on me promet qu’on va me rappeler pour que je revienne bientôt…. Margarita, qui a de belles dents en or et un prénom bien exotique, m’affirme qu’elle préfère toujours avoir des collaborations avec des gens qui viennent de loin… l’exotisme, aussi, sans doute…et enfin, pour clôturer le séjour, un repas d’adieu chez Nina et Evgeniy, dernier coup de rouge avant  le départ. Je ne sais jamais exactement de quoi on parle, mais c’est incroyable comme on y croit. Le vin de Serbie, sans doute… La nuit tombe, il est temps d’embarquer dans la camionnette d’Alex en direction de l’aéroport. Depuis ce matin, le ciel est gris et le vent souffle un blizzard qui dégage le sable et la poudreuse des trottoirs pour n’y laisser qu’un verglas étincelant. La météo n’est plus du tout celle de ces derniers jours…

Je crois que le vol de demain matin, ça va être du Mermoz …

Technologie et partie de pêche


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Pour pouvoir alimenter mon blog au quotidien, les choses n’ont jamais été simples et déjà du temps des voyages africains, j’emmenais avec moi un téléphone satellite pour pouvoir dicter à un fidèle partenaire au pays ma chronique quotidienne quand le cybercafé se faisait rare dans la savane. Depuis quelques semaines, les communications se sont bien compliquées, c’est parce que la mode est revenue de se taper sur la gueule entre frères. La Face du bouc s’est tue et la plupart des relais informatiques aussi, puisque tout ça c’est rien que de la technologie de ce filou d’Oncle Sam. Alors, il y a le VPN…c’est un truc pas très nerveux à la mise en route mais qui permet de se connecter presque normalement sur tout ce qui était devenu inaccessible Et puis il y a Télegram , idéal pour les textos et messages divers. C’est incroyable, j’ai l’impression de m’être reconverti en vendeur de téléphonie…

Du côté de la vie quotidienne, Vadim , le fils de Nina et Evgeniy, est venu me chercher pour la séance rituelle. Rien n’a changé, la pêche reste toujours l’activité familiale principale et s’il y en a qui rechignent, il y va tout seul avec son skidoo.

Cette fois-ci, on a pris le vieux quatquat’ parce que nous étions trois et Evgeniy a voulu se la jouer cowboy en faisant du rodéo avec les blocs de glace… ça n’a pas duré longtemps, après quelques rebondissements spectaculaires on a explosé un pneu et un roulement de roue.

Nous avons donc continué à pied, car la pêche, ça ne peut pas attendre.

Nous nous sommes donc baladés sur la glace au pied d’une falaise… mais il faut bien l’avouer; mauvaise pioche, ça n’a pas mordu. Vadim est donc aller chercher le scooter pour sortir le Nissan de son encastrement glaciaire puis c’est un voisin avec une caisse encore plus grosse, pleine de cylindres et de multisoupapes qui est venu en renfort …alors voilà, dans cette quiétude de bord de mer enneigé, on a bien foutu la zone et enfumé le territoire. Ah, ça ne va pas être pour tout de suite que les anciens petits garçons arrêtent de jouer à la bagnole…

Retour à Magadan


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J’ai donc retrouvé l’hôtel Vénéra qui a changé de nom, de propriétaire et… de tarif .

Il n’est plus un hôtel collectif, ce qui ne m’arrange pas trop ; ce n’est pas une histoire de prix mais surtout d’efficacité. La petite cuisine collective a disparu. Lieu d’échanges souvent sommaires et parfois bourrus, elle me permettait, grâce aux deux petits supermarchés d’à côté, de jouir d’une autonomie plutôt pratique. Il n’y a pas de Kafé dans le coin, ces petits restaurants populaires où on trouve toujours à se restaurer facilement. Je vais devoir apprendre à me réorganiser.

J’ai commencé par refaire la petite balade pour voir la mer gelée en passant par le quartier des vieilles maisons en bois qui s’écroulent, toujours infestées de ces terribles chiens errants qu’il fait bon ne pas rencontrer la nuit.

Je sais que cette étape va passer vite, je ne suis là que pour trois jours et Evgeniy, celui qui m’avait gardé la moto il y a trois ans, m’a déjà invité pour le weekend à la datcha face à la mer. Le paysage sera sublime mais je risque bien aussi de me les peler avec une séance de pêche à l’éperlan, debout, avec mes pompes pas faites pour, devant un petit trou et un fil de pêche. J’en frémis d’avance.

Svetlana, elle, me concocte des programmes culturels… Hier soir, malgré le décalage, je me suis laissé porter par un spectacle de danse et de chants traditionnels remixés façon moderne… y’a pas à tortiller, si les amerloques coupent les robinets de leur variétoche r n’b pourrie, c’est comme pour les Mac’do, les russes y gagneront au change, parce que qu’est ce que ça balance bien la musique Tchoutche et quel look de folie !

Romance Tchoutche


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Récupérer du décalage horaire par petites étapes, finalement, ce n’est pas un si mauvais système, même si un hôtel standardisé d’aéroport, ce n’est pas ce qu’il y a de plus glamour pour une immersion progressive.

J’ai presque une journée à perdre mais c’est un peu court pour rendre quelques visites… Alors, je passe la matinée à recharger mes batteries passablement ramollies par la journée de la veille. Les escales aéroportuaires sont une drôle de façon de traverser un pays sans rien voir sinon de tristes périphéries.

Hier soir, j’ai déposé mon premier petit colis, c’était la mission du jour… Et le lendemain, celle qui l’avait attendu quelques heures de l’autre côté des barrières administratives m’a envoyé un taxi pour que je change un peu d’air ; celui aseptisé des aéroports, si on peut le fuir quelques heures, il ne faut pas hésiter.

Par la fenêtre, je redécouvre cette périphérie typiquement russe où les forêts de bouleaux et les datchas de bois sont petit à petit mangées par les immeubles modernes et les zones d’acticités, les entrepôts et les centres commerciaux.

J’ai donc retrouvé Aïnana dans le marché couvert d’une petite ville à quelques kilomètres de l’aéroport.

Son histoire est terriblement romanesque. Son papa était venu au Tchoukotka du temps de l’Union Soviétique pour une mission scientifique, il tomba sous le charme de Zoïa et ainsi , quelques mois plus tard, naquit Aïnana. Mais à la fin de sa mission, il retourna vers les pays Baltes et après la fin de l’Union Soviétique, avec ces pays-là redevenus indépendants, il n’a jamais pu revenir chez les Tchoutches.

Quelques années plus tard, Charles, professeur de Russe à Perpignan, décida après avoir pris sa retraite, d’aller découvrir les peuples autochtones des provinces polaires. A son tour, il tomba sous le charme irrésistible de Zoïa et devint le beau père d’Aïnana.

Ensemble ils partirent en croisade pour la reconnaissance de la langue Tchoutche, ce qui ne plu pas à tout le monde… alors, Charles, lui aussi, rentra chez lui quant à Aïnana, elle continua avec fougue ce combat qui l’amena jusque dans les hautes sphères du pouvoir, au niveau du premier cercle où sa fougue tempétueuse séduit d’abord puis gêna ensuite.

C’est avec cette fougue-là qu’elle me raconte tout ça …elle n’en manque pas; ce n’est pas un gringalette, Aïnana, plutôt du genre que si elle te fout une beigne, tu retrouves ta tête dans les pastèques. Puis elle me raconte des légendes de là-bas, de jolies histoires de baleines et de pêcheurs, mais le temps passe, l’heure tourne et celle de mon vol suivant approche. Alors, je saute à nouveau dans un taxi pour l’étape suivante, un vol de nuit de presque huit heures, un de ces vols vers le soleil levant qui font que quand tu arrives, la nuit a disparu.

Avec ce genre de vol, il faut trois jours pour récupérer…ça tombe bien, il y a trois jours avant mon prochain vol…

Deuxième étape d’aéroport


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Cédric est un habitué des contrées nordiques, il y a été voyageur, écrivain, diplomate ; une sorte de Romain Gary moderne… il connaît toutes les ficelles.

Quand je lui avais demandé comment il avait fait pour décrocher le propusk, il m’a répondu de contacter Anastasia, une citoyenne Russe du Tchoukotka, mariée avec un français et installée… à vingt bornes de chez moi.

Anastasia m’a mis en contact avec Evgeniy qui a une agence de voyage à Anadyr, capitale du Tchoukotka, puis avec Yves, un mystérieux retraité qui ne cesse de faire des va et vient entre Magadan et Montpellier. Ces va et vient, c’est toute sa vie… lui il connaît l’agence qui me fera le visa qu’il faut bien comme il faut. Serge connaît Svetlana à Magadan, Anastasia a des relais partout au Tchoukotka…C’est la grande chaine de solidarité russe, elle est plus forte que tout ; même à deux pas de chez moi, elle était déjà bien là.

Inversement, de mon côté, j’ai quelques missions à accomplir. Des enveloppes à ramener au gré des escales. J’ai même failli devoir déposer une exposition de peinture à Moscou, mais les russophiles Languedociens rêvent encore un peu trop au monde d’avant. La mairie de Montpellier, elle, suit la ligne, imaginer continuer des jumelages culturels en ces temps agités relève de l’utopie forcenée. La culture, c’est un truc estival, quand les cieux s’assombrissent, ce qui devrait caractériser l’être humain n’existe plus. Il ne reste que la bête qui sommeille toujours en ses tréfonds…

La bête, d’ailleurs, s’est réveillée pas très loin de mon escale moscovite, et à l’arrivée à l’aéroport de Sheremetevo, avec huit heures de retard, le fonctionnaire en uniforme est un peu plus tatillon que d’habitude; je ne suis plus à une heure près.

Nous sommes un petit groupe à devoir patienter, chacun a droit à un entretien. Je dois expliquer ce que je suis venu faire, ce que je pense de la conjoncture. Dans mon anglais approximatif, je parle de toutes mes virées, de mes innombrables amis à travers tous le pays, des clubs de motards. Le motard ne fait pas de politique, il roule, il est born to be ride et ça, ça plait toujours aux fonctionnaires en uniformes.

A une heure du matin, heure locale, je posais enfin mon sac dans une piaule aseptisée de l’Holiday Inn de Sheremetevo.

13 heures


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L’avion pour Moscou aurait dû décoller il y a quatre heures déjà… Je me suis levé à 5h30 pour prendre la navette, j’aurais pu rester au plumard, le monde est mal fait. Après que tous les passagers eussent été embarqués, l’avion s’est immobilisé une heure en bout de piste, puis on a fait descendre tout le monde sur le tarmac. Il y avait des flics tout noirs et tout cagoulés positionnés tout le long de la piste. Personne ne sait vraiment où est le problème. On fouille à nouveau tous les bagages et tous les passagers avant de ramener tout le monde dans une salle de l’aéroport… Personne n’a vraiment l’air de savoir ce qui se passe, je crois que c’est une alerte à la bombe… Il paraît qu’ici, c’est comme un sport national. Loin de la toundra et des virées à moto, l’aventure continue à sa façon… Je maîtrise plutôt bien ce sens de la relativité et de la distance qui permet toujours de laisser couler le temps sans vraiment s’inquiéter… Les voyages sans correspondance ça aide un peu aussi

Le premier pas


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Le chemin détourné peut passer par Belgrade. C’est par là que je me glisse.

Arrivé à l’aéroport, je récupère mon bagage et je sors avec le gros caddy, persuadé que l’Airport Hôtel déniché la veille sur le Net, ne peut, vu son nom, qu’être en face de la sortie « arrival ». Je commence à traverser les zones de bus et de taxi, puis les parkings et les zones de fret. A chaque fois que je me renseigne, on me dit que c’est la bonne direction mais que je ferais mieux de prendre le bus. Moi je fais le fier, j’ai tout l’après midi, il fait doux et un peu de marche me fera du bien.

Une demi heure plus loin, tout seul sur une longue ligne droite au milieu de rien, je le fais beaucoup moins, le fier. Tout autour, ce sont des champs tout plats, petits à petits grignotés par les friches et les parkings, de plus en plus informels au fur et à mesure qu’on s’éloigne.

Il y pousse nettement plus de la cannette et du plastique que du maïs et du blé.

J’ai fini par trouver l’hôtel en retrouvant l’agglomération. Cette périphérie est comme toutes ces agglomérations informelles ; mélange de zone commerciale, de constructions neuves et bâtardes, de restos néorustiques et parfois de vestiges de la campagne qui occupait tout l’espace il n’y a pas si longtemps. L’ensemble ne se prête pas à la balade, plutôt au coup de déprime…

Alors, pour éviter de me foutre au plumard à quinze heures, dans un élan de bonne conscience vaguement grotesque, je décide de ramener le caddy à l’aéroport et puis bien sûr, de rentrer une fois de plus à pied, mais en coupant par les champs histoire de m’égarer un peu, de traquer l’aventure entre les tas d’ordures, les labours et les hangars… Le but fut parfaitement atteint, j’ai rallongé plus que raccourci, mais je sais que je vais bien dormir, car il va falloir une fois de plus se lever avant l’ aube…ce retour au Chukotka démarre de façon bizarre… mais bon… je suis reparti, n’est-ce pas là le plus important?

Demain, je passe la douane; je verrai si les petits Fransouss ont toujours autant la cote…

La moto dans la cabane


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Depuis combien de temps est-elle dans sa cabane, ma pauvre monture?

Quand je l’y ai laissée, il y a trois ans déjà, je n’imaginais pas que ce serait pour si longtemps; mais est arrivé le petit virus qui a tout bloqué… En mars d’il y a trois ans, j’étais complètement prêt; visa, bagages, billet d’avion… il manquait juste le fameux Propusk, le permis de circuler au Tchoukotka… et bien sûr , pour une raison pandémique qui a chamboulé toute la planète, j’ai rangé mon sac et j’ai regardé le monde changer.

Très vite , on a tout fait pour que ça redevienne comme avant. Mais c’était du bricolage et on pourrait plutôt croire que revenir en arrière, ça n’allait pas être si simple…

C’est qu’ il s’en passe des choses… surtout dans ce pays immense où je voudrais récupérer la bécane. Mais pourtant, quand je me disais qu’une fois encore, j’allais chausser les pantoufles plutôt que les bottes, on m’a accordé le Propusk.

Chercher des excuses


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A t’on vraiment besoin d’une excuse, d’un prétexte ou d’un alibi pour justifier cette idée farfelue d’aller rechercher une bécane oubliée dans une cabane de l’autre côté de la planète? Faudra t’il que je m’explique longuement?

Tout là-bas, ça fait partie d’une contrée gigantesque dont les habitants commencent à me dire qu’ils ont peur qu’on les oublie si le reste du monde les contraint au repli sur soi. Moi, je ne les oublie pas et avec mon alibi de motard, même si, de plus en plus, les grands voyages semblent condamnés à devenir une facétie d’un autre siècle, je vais retourner trinquer avec eux, aux retrouvailles, aux amitiés qui se foutent de la conjoncture.

Il ne reste plus qu’à chercher les chemins détournés…

Introduction à la neige par l'Espagne…

les pays qui s’ouvrent et se ferment


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L’Histoire avec un grand H ne s’est jamais beaucoup souciée de l’avis des gens normaux, ou alors à l’occasion d’une élection ou l’autre, mais c’est pour faire semblant, après le gens normal retourne à sa routine avec le gasoil à deux euros cinquante. Moi j’ai toujours une moto dans une cabane sur le cercle polaire et j’aimerais bien aller la récupérer, même si ça ne changera pas le cours de l’Histoire…