Aller retour intense à la case départ


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Ce matin là, le ciel était parfaitement bleu, il n’y avait pas de vent et je débordais d’énergie. Je me suis dit, c’est maintenant qu’il faut y aller.
Dès 10 heures, je me suis rendu au garage, j’ai rassemblé les bagages et je suis parti chercher de l’essence. C’est déjà tout un programme en soi. En me glissant entre les immeubles colorés, histoire de m’entraîner un peu, je suis tombé sur mon petit flic, toujours en séjour à Bilibino. Il promenait son chien. Il m’a donc dit de patienter quelques instants, qu’il ramenait le clébard et qu’il allait m’emmener au dépôt de carburant. J’ai donc attendu et là-dessus, je me suis chopé une patrouille. Heureusement, mon petit flic qui a une notion du temps d’attente plus en accord avec la norme occidentale, est revenu… Il leur a expliqué qui j’étais, montré des photos sur son téléphone et ils m’ont tous escorté à la pompe. Il faut bien le reconnaître, je n’aurais jamais trouvé tout seul, le dépôt est bien caché dans une de ces zones à containers que je connais maintenant si bien. Retour ensuite au garage pour quelques inévitables salutations d’adieu et une dernière soupe à la viande.


Et me voilà parti par la route qu’on m’avait indiquée. Un léger doute m’assaille, je me renseigne et, de fait, ce n’est pas du tout la bonne direction. Alors je fais demi-tour et je me plante dans un tas de neige ; les skis sur Moto, ça ne s’enseigne pas aux épreuves du permis, je manque un peu de pratique pour les demi-tour. Alors des gens vont chercher des gens et on finit par l’extirper… Je remercie tout le monde et je retourne au garage.

Inutile d’essayer de me faire expliquer pourquoi on m’a envoyé dans n’importe quelle direction. Il y a toujours dans les villes, des gens qui ne la quittent jamais. Les directions lointaines sont pour eux une abstraction, alors on se dit que tous les chemins y mènent … C’est comme ça; alors plutôt que de tergiverser, j’appelle mon taxi habituel et je lui demande de me mettre sur la bonne route. Les taxis ça connaît les routes. Une fois arrivé sur la bonne voie parfaitement déneigée, je me rends bien compte que, sur les cailloux, avec les skis, ça risque de poser quelques problèmes. Alors je démonte et je vire la chaîne neige de la roue avant pendant que le taxi disparaît dans un nuage de poussière. Il revient quelques minutes plus tard pour m’assister dans mes démontages et puis, il me dit bravo, bonne chance et ne me demande rien pour la course… C’est pas un taxi parisien qui ferait ça… Mais ici, on est pas à Parich.

Suivent alors une trentaine de bornes de bonne piste gravillonneuse, ou de mauvaise route, on choisit la définition selon son humeur. Le taxi m’avait expliqué qu’au kilomètre 26, il fallait tourner à gauche et, après le passage du fleuve gelé, encore à gauche. Je suis rassuré, même si j’ai pris sérieusement du retard. Comme je croise de la circulation, même des petites bagnoles, j’en déduis que la route est excellente et que je ne risquerai pas de rester tout seul en rade. En remontant les skis à la bifurcation, je discute avec plein de gens, on fait des photos… Et puis je passe la rivière gelée, il y a beaucoup moins de circulation et plus une seule voiture de ville. C’est là que j’aurais peut-être dû commencer à me poser des questions…

Plus j’avance, moins je m’en pose, d’ailleurs. Je m’applique à piloter ma motoski comme je peux ; ce n’est pas simple. Il y a des ornières ou des bosses. Il y a aussi souvent des dévers . Je dois laisser la moto glisser et rebondir sur le bord pour revenir au milieu. Et si le bord est trop enneigé, il faut contrebraquer en donnant un coup de gaz et ça rétablit la trajectoire. C’est assez fatiguant, mais ça fonctionne. Et puis je suis assez content de l’efficacité de mon système. Je ne me suis pas rendu compte tout de suite de cette étrange tendance à toujours plonger vers la droite. C’est après un passage sans neige que j’ai inspecté l’état du matériel. Les tronçons sans neige sont les pires, souvent à la sortie des rivières gelées, là où ça grimpe un peu. Là, je dois virer tous les bagages et pousser. Les skis sur la terre, ça ne glisse plus, ça freine… Alors il faut pousser et faire travailler l’embrayage, ça prend un peu moins de temps qu’un démontage-remontage. Je n’avance pas vite, le temps file, je ne me pose pas de question. Je profite de l’immensité enneigée et de mes progrès en pilotage. Et puis on verra bien ; même si j’arrive en pleine nuit à Ilyerney . De toute façon, je n’ai plus le choix. Inch’Allah, comme on dit dans le Kavkaz.

Mon amortisseur de droite a rendu l’âme . C’est pour ça que je tire à droite. Pas l’amortisseur de la moto, celui qui tient le ski. Alors la moto s’affaisse et je dévie inévitablement vers la droite. C’est logique. Je suis obligé de piloter en Amazone, ou en appui sur le ski de gauche pour tenter de rouler à peu près droit, parfois j’ai l’impression de barrer un voilier en trapèze; mais manier les gaz et l’embrayage dans cette position , ce n’est pas très relaxant… Il est sept heures moins le quart… Au loin, je vois un camion qui vient dans ma direction. Je ne sais pas encore ce qu’on va se dire, mais je sais qu’il est la providence du jour. C’est le seul camion que je croise depuis que je suis sur cette piste.
Aliocha m’ a ramené à Bilibino, j’ai laissé la moto au bord de la piste. Ce fut une belle tentative très instructive, autant pour le pilotage sur piste gelée que pour avoir une preuve de plus de la solidarité russe. Aliocha a donné quelques coups de fil. En arrivant à Bilibino, sous le ciel rougeoyant de la fin du jour, Hassan et Sylyoga m’attendaient . J’ai retrouvé ma chambre… Ce fut une journée bien remplie.