dernière ligne droite

Je me souviens de la piste Africaine, je la connais pour l’avoir sillonnée un peu dans tous les sens…dans le sable, il faut dégonfler, sinon on tombe ; dans les cailloux, il faut regonfler, sinon on crève. Quand c’est une piste mixte, qu’on alterne sans cesse les deux versions, on se résigne toujours à un moment donné à choisir un des deux états de pneu en laissant Dieu régler le destin : en général, ça ne se passe pas bien. Normal, Dieu on peut jamais compter sur lui… Avec les chaines à neige, c’est encore plus compliqué, parce que comme il faut au moins une heure, à l’abri, pour bien les monter, on a comme seul choix que de les  laisser montées jusqu’à ce que ça lâche… Existe t’il, le système universel ?

Au matin, à dix heures, Viktor est bien venu me chercher… il ne fait pas beau du tout, la route est vraiment très glissante mais que faire ? Rester à Ulu ?  Sans doute ; Ce serait raisonnable…mais à quoi peut correspondre la raison, à Ulu ? Je vais continuer et je verrai bien…

On sort la moto du garage chauffé et c’est reparti. On m’a dit qu’à trente cinq kilomètres il y avait une auberge…on m’a dit aussi que c’était plutôt à cent kilomètres. Je devrais savoir depuis longtemps que les évaluations des gens du pays se résument souvent à ce qu’on pourrait appeler une sorte de grand n’importe quoi. Jamais le gars du coin ne dira qu’il n’en sait rien. Où que ce soit, on lui fera toujours confiance et pourtant, bien souvent, il n’en sait rien du tout ; mais quoi de plus humiliant que de perdre la face devant l’étranger de passage…autant lui dire n’importe quoi, de toute façon, il ne repassera jamais.

La route est une longue ligne droite enneigée et glissante où s’alternent avec une régularité métronomique, les éclaircies et les petits blizzards. D’une certaine manière, j’ai de la chance, c’est par une belle éclaircie que je m’offre la troisième gamelle… contrairement à ce que m’avait laissé croire le suréquipement hivernal, je me tord un peu le pied sous la bécane. Et puis aussi, je perce le réservoir ; les choses se compliquent …C’est bien malin de faire le beau en se vantant que le seul vrai voyage c’est  le voyage en solitaire; tout ça pour ne compter que sur la bienveillance des autres pour pouvoir arriver au bout du trajet.  Jusqu’ici, je n’ai pas encore eu recours au camion pour continuer ce voyage, mais les choses vont sans doute changer…

Une voiture avec deux gaillards rigolards s’est arrêtée  pour m’aider à tout ramasser et tenter de colmater la fuite de carburant. Ce sont eux qui ont sollicité Ivan et son gros camion pour m’emmener plus loin… Je termine l’étape bien installé dans la cabine… Je constate qu’il n’y avait pas la moindre auberge à trente cinq bornes, que la météorologie est de plus en plus pourrie, que même les camions ont du mal à avancer sur la glace et que donc, finalement, je n’y serais sans doute pas arrivé tout seul… Ivan me parle beaucoup, en bouffant des chewing gums et en fumant des clopes dégueulasses. Il s’en fout que je ne comprends rien ; ça lui fait du bien de parler à quelqu’un, il n’y a jamais personne dans son bahut. On ne peut pas toujours parler à des chewing gums. Je regarde la route qui défile…après cent cinquante bornes, il y a une auberge où, dans une autre vie, je me serais peut-être arrêté. Ivan continue vers Magadan… moi non…on décharge la moto aidé de quelques flics et puis un jeune homme que je ne connais pas charge mes bagages dans sa bagnole et me dit de le suivre… trois ou quatre kilomètres jusqu’au bac qui traverse le fleuve Léna…j’ai mal à la cheville, je grimpe sur le bac, on m’amène tous les bagages.  Kyriul avait carrément délégué un biker de l’autre rive pour me réceptionner et m’amener sur le bateau… La nuit tombe, la traversée n’en finit pas… bien callés dans leurs bagnoles et leurs camions, je devine aux écrans allumés, qu’ils sont tous sur leurs téléphones…les moteurs tournent, pour le chauffage…dehors il n’y a que moi, l’unique motard, l’unique piéton à respirer les gaz de tous ces véhicules à l’arrêt. On finit par arrive sur l’autre rive… Kyriul vient m’accueillir directement sur le bateau avec une délégation du club. On charge la moto sur une dépanneuse qui va la déposer au garage et moi, on m’emmène directement à l’hôpital…C’est la fin de la route cow-boy…

6 thoughts on “dernière ligne droite

  1. Bonjour p’titluc
    Ecris nous des bd stp …. j ai adoré  » les memoires d un motard » le les lis tres souvent. C est un regal ….
    Stp on a besoin de rever de s evader ces bd sont des poumons d oxygene … la preuve . On peut plus en trouver …
    Merci d y penser
    Bonne route et faid attention a toi …
    Salutations motardes
    Christian

    • et ouais…les « mémoires » ne sont plus disponibles, sauf peut être encore les deux derniers…mais tous le blogs russo-africains compensent un peu…tu les as tous en liens juste en haut à droite…un jour, peut-être quand la route m’aura achevé, je prendrai le temps de faire des livres avec tout ça…

  2. Salut ptit Luc… profite bien de ces galères pour pouvoir y penser quand tu seras vieux comme moi… et pi quand le moral baisse, connecte toi, et tu ne lis que les titres des medias en France et ta galère va mieux …

    A plus, depuis l’Indochine où…fait trop chaud !

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