Finir au sanatorium

Comment ai-je pu donc me faire piéger comme ça ? Je le sais que les distances sont longues sur la piste et qu’il n’y pas souvent de bourgade encore debout. Et voilà que j’ai planté la tente sur un parking de terre humide et froide, battu par les vents, le premier jour où une fraicheur hivernale semble bien décidée à faire la nique à l’été déclinant. J’ai donc eu froid…
…j’ai passé la nuit à tenter de me couvrir avec tout ce qui trainait, à sortir pisser en grelotant, à attendre le matin qu’un petit soleil blafard réchauffe la tente, juste un peu, je n’en demandais pas trop. J’ai fini par me lever, à faire un peu d’échauffements à côté d’un voisin routier arrivé pendant la nuit ; Il brossait ses dents en vérifiant ses roues. Début d’une journée de boulot sur la route.

C’est dur de redémarrer parfois et je me jure bien de faire une étape très courte et de trouver un vrai lit… Après une quarantaine de kilomètres, j’arrive à l’embranchement de Talaya… Un allié précieux , qui m’assiste avec une rare efficacité pour assurer la régularité de mon récit sur la toile, suit mon parcours minutieusement sur son ordinateur. A chaque étape, tel le guide du routard, il me sort les trucs à ne pas manquer, les lieux à visiter, à Kandhiga, à Ust Nera ; dans ces villes où il n’y a rien, Internet arrive à te transformer un triste musée ou une statue de Lénine effondrée en spot ultime à ne manquer pour rien au monde…Pendant mon étape à Seymchan, il m’avait déniché un R’BnB «  à proximité »… à Talaya .

Dans ces endroits où personne ne va, Internet a un sens très approximatif de la proximité, mais cent quarante bornes au sud de Seymchan , alors que j’avais oublié Talaya depuis des temps infinis, je suis tombé sur l’embranchement… comment résister…trente et un kilomètres …il fallait que j’aille voir Talaya.

Malgré le ventre vide et pas du tout réchauffé, c’est la curiosité qui l’a emporté.

La petite piste est plutôt jolie et bien entretenue, ni boue ni ornière, sans doute que peu de camions passent par là , ça préserve la route…Talaya était, paraît-il, au temps de l’Union Soviétique, un lieu de cure à la mode; mais imaginer trouver des BnB, ça semble surréaliste. Je laisse encore une fois mon imagination inventer un Talaya de rêve, un village de père Noël, avec des isbas et des palais de reines des neiges…il faudrait la museler cette imagination, Talaya est en ruines…, ou presque…Derrière les habituels immeubles décrépis, se dresse néanmoins un bâtiment au romantisme décalé évoquant un vestige perdu de la Russie impériale…Un théatre, un établissement thermal tout en colonnades, vides bien sûr, mais on a rénové certaines façades… Tout comme pour le métro de Moscou, les soviétiques ont souvent reproduit les fastes des temps anciens pour que le peuple puisse à son tour en profiter.

Je m’approche de ce qui semble être un hôtel ; en fait c’est le sanatorium… mais on m’y accueille chaleureusement… quel est donc ce touriste égaré ? Sacha, le gardien, m’amène dans les bureaux…Véra la directrice et Ana son assistante, m’invitent à poser mes fesses osseuses dans un grand canapé marron… je suis complètement comateux mais je sauve les apparences… je raconte mon voyage mais pas la moindre force de sortir le crayon… on me propose un repas et on m’installe dans une chambre pour que je puisse me reposer et prendre un bain chaud ; une grande salle de bain aux carreaux décrépis jouxte la chambre. J’imagine qu’on est en train de me dresser une table dans le réfectoire et que je vais manger avec l’équipe et quelques tubards forts sympathiques. En fait, après le bain, je patiente une heure dans la piaule avec Sacha qui me montre ses photos de l’époque où il a fait la guerre en Afghanistan… puis Ana m’amène du Borj , de la viande et des pâtes, j’ai terriblement envie de rester roupiller là, mais c’est un hôpital et, tenant à peu près debout, je ne suis pas encore en état d’être admis au sanatorium… alors, après quelques photos souvenirs, je reprends la route complètement comateux avec le casse-croûte qu’ Ana m’a préparé pour la route…

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