Un ciel laiteux, vaguement hivernal, a remplacé le plein soleil de ces derniers jours. Il faudra bien que cette journée soit la dernière de ma pause à Irkustsk, sinon mon enracinement deviendra irréversible, le gel viendra me souder à la terre gelée et comme les eaux du Baïkal, je devrai attendre la fonte avant de pouvoir me remettre
dans le bain. Au garage de Viktor, je commence à ranger les affaires que j’ai dispersées un peu partout, les petits chats ne sont pas très contents, ça fait plusieurs jours qu’ils ont élu domicile au milieu de mon tas informe. Ils sont étranges ces petits félins; les chats, c’est bien connu, ça passe son temps à se laver, totalement inodores, ils sont dans le règne animal, l’incarnation
incontestable de la propreté… ceux-là, à force de vivre dans un atelier de mécanique, ils sont ripolinés comme les chiffons poisseux qui jonchent toujours le sol des garages et , chose incroyable, ce sont quand même les seuls chats au monde à sentir le moteur graisseux. Ces deux-là n’ont aucun avenir dans les calendriers des postes mais on pourrait peut-être envisager de sortir un calendrier pour mécano avec des bébés chats
appropriés ; ça changerait un peu des croupes de poufs siliconées !
Je vais donc grapher un ours de plus sur les murs du bar, marquer ce passage de ma griffe habituelle… et puis je sortirai mes équipements d’hiver et je reprendrai la longue route qui part vers l’Est lointain pour s’arrêter sur les rivages de l’océan Pacifique…