Vladivostok ; son nom résonne comme un vieux mythe…pourtant depuis Irkutsk, Ulan Ude ou Chita , il n’est jamais indiqué sur les panneaux. La destination la plus lointaine qu’on signale au voyageur de la route 55, c’est Khabarovsk. Depuis Chita, je suis sa destination avec obstination. Il y était indiqué : Khabarovsk, 2020 kilomètres…Deux mille vingt…ça m’a immédiatement évoqué l’année du même nom, si proche… et plus j’avançais, plus, comme avec les arbres qui reverdissent, j’avais l’impression de remonter le temps. Un peu plus loin c’était deux mille deux, puis dix neuf cent quatre vingt douze, quatre vingt quatre…il n’ y en a pas à chaque kilomètre, ce ne sont pas les bornes de France, mais en voyant ces dates défiler, je ne pouvais que remonter le temps, le lycée, quand j’étais petit, quand j’étais pas né, quand mes parents se sont connus, quand ils étaient petits eux aussi et puis on bascule dans l’histoire, le second empire, Napoléon, les rois de France ; l’effet s’est estompé quand après mille bornes ces chiffres n’évoquaient même plus les livres d’histoire, j’ai arrêté mon décompte aux périodes sombres du haut moyen âge et j’ai recommencé à regarder les arbres, à compter les bouleaux, combien de centaines de milliards de bouleaux en Russie ? La route, toute neuve et si belle la plupart du temps, devient, deux cent kilomètres avant le kilomètre zéro du décompte vers Khabarovsk, une espèce de petite départementale plutôt étroite, qui traverse à nouveau une zone de marécages et de bosquets, on se croirait en Sologne, quelque part entre Salbris et Romorantin. Être venu si loin pour se retrouver en Sologne ; c’est ça l’infinie mélancolie de la Russie, on roule pendant des heures, des jours et des semaines et on a l’impression lancinante de n’être jamais parti…
Priviète tovaritch Ptiliouk,
Khabarovsk… je me souviens d’un après-midi de baignade dans un affluent de l’Amour, avec des russes dont la vedette fluviale était motorisée avec une moteur de char d’assaut, une espèce de 8 cylindres à plat énorme. A bord, vodka, concombres et cet espèce de salami fade dont on ne voyait jamais le bout… on s’imaginait qu’il était produit dans une usine datant du dernier plan quinquennal soviétique, puis envoyé dans un immense tube de milliers de kilomètres pour approvisionner les magasins « gastronom » jusque dans les kholkozes les plus reculés de la Sibérie. De Smolensk à Vladivostok, toujours le même saucisson rosâtre, sans fin, sans bouts, invariable de goût et de calibre !
Il existe toujours, ce saucisson, Ptiluc ?
Puis ce fut la traversée en bac de l’Amour, large de plus d’un kilomètre pour rejoindre la rive sud, vers la province de l’Oussouri, le Primorié comme disent les Russes… le territoire des Gold, comme le chasseur Dersou Ouzala du film de Kurosawa que mes parents m’avaient emmené voir à sa sortie, en 1975.
Ça y était, j’étais arrivé dans l’Oussouri moi aussi, 18 ans après… j’étais arrivé dans le pays même du film qui m’avait tant impressionné quand j’avais 10 ans !
J’ai pas vu de tigres, le temps des pionniers-topographes était passé…
à bientôt Ptiluc !
j’ai pas vu de tigres non plus, sauf à la télé! Et l’Amour se traverse sur un grand pont! Si ça peut te rassurer, la vodka est toujours accompagnée du même saucisson dégueulasse!! A bientôt; je rentre le quatorze ou le dix huit…je sais pas encore!
Tiens, tu regardes en arrière ?
Savoure ces derniers jours… quand tu seras de retour, tu ne rêveras que de repartir !
Essence du génie soviétique le Salamiduc. Est-ce qu’il existe aussi le vodkaduc?