esprit, es-tu là?

A l’étage du premier musée, il y avait aussi une grande salle consacrée aux goulags… toutes ces photos de visages oubliés, ces gens qui se sont retrouvés là sans comprendre pourquoi, leurs papiers, quelques souvenirs, leurs outils de mineurs… il s’est passé des choses terribles à Magadan mais seul mon mécano du premier jour me parlera du malaise de vivre dans cette ville née par le bagne et les déportations. Presque tout le monde ici serait donc descendant de quelqu’un qui aurait survécu…Il n’y avait dans ces trois baies, il y a un siècle, que quelques pécheurs tchouktches… sont-ils tous descendants de ces trente années de misère, les gens que je croise dans la rue, les motards, les vendeuses de cartes sim, les vendeurs de pièces détachées, les conducteurs de bus ou de bulldozers ? Seul, le guide du musée de Seymchan m’avait raconté que son grand père était un artiste déporté, un ancien zek… Pour les autres, je n’en sais rien… un demi siècle, c’est une éternité… les ados qui pianotent dans les squares peuvent-ils seulement imaginer qu’à l’époque, personne n’avait la 4G ?

A l’entrée de la ville, sur une colline, pour ne pas complètement oublier, on a édifié le monument du souvenir, « le masque de l’affliction »… De loin, sur le côté, il ressemblerait presque à un immeuble de plus… mais de face, on découvre un étrange visage stylisé qui pleure d’autres visages… dans son dos, une sorte de crucifié sans tête aux pieds duquel pleure une femme, à l’intérieur, une cellule de prison et tout autour les signes de toutes les religions, les noms des bagnes de la Kolyma…et au milieu de tout ça, comme un faune fauve, un feu follet, sans un bruit, comme une apparition furtive, un petit renard roux sillonne fantômatiquement la colline à la recherche de quelques reliefs à grappiller après le départ des visiteurs. J’attendrai que tout le monde soit parti pour que vienne me visiter l’esprit de la forêt…

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