La route d’Egvekinot

Lever du jour, je me bricole un petit déjeuner, ma babouchka dort encore devant sa télé dans la pièce d’à côté. De quelle attente cette journée sera-t-elle donc faite ?

Je monte jeter un coup d’œil deux étages plus haut et je constate immédiatement que le mot que j’avais laissé sur la porte d’Andrey n’y est plus. Je frappe. Il ouvre, visiblement pas dans son meilleur jour. Il baragouine quelque chose, donne quelques coups de fil. Vu comme ça, on dirait que ça bouge. Il me parle de containers ; je me dis qu’il va me proposer d’expédier la moto par transporteur.

Je vais récupérer mon sac chez ma nouvelle copine d’un soir qui est bien triste de me voir partir si vite …quand je reviens chez Andrey et que je lui demande si je laisse mon sac dans la chambre, il me fait signe que non et me demande si je peux démarrer la moto, je sens la confirmation qu’il se passe vraiment quelque chose.

On retrouve les camions sur un parking à containers, sur la route de l’aéroport. Tout se renégocie très vite… Il faut trouver de quoi lever la moto pour la mettre sur le premier camion, les bagages seront dans le second et moi je voyagerai dans le troisième. Andrey emmène tout le monde faire quelques courses, nous redépose au parking, me salue, plus chiffonné que d’habitude et puis me dit qu’il retourne au lit, non sans m’avoir bien dit de prévenir les autorités.

Serait-ce ça qui aurait accéléré les choses ? Le faite que je tienne au courant mon petit fonctionnaire polyglotte a peut-être contribué à ce rebondissement, l’air contrarié d’Andrey pourrait confirmer cette hypothèse… Ici on n’aime pas les autorités, comme partout ; mais moi, je n’en suis pas bien fier, mais je me dois de protéger mes arrières.

Je vais quitter Pevek, je ne suis pas arrivé à Egvekinot pour autant.

Mon chauffeur n’est pas le plus réveillé de l’équipe. Il porte même une bonne vieille tronche de mec qui cuve depuis un bout de temps… Mais bon, on prend la route. Ce nouveau partenaire s’appelle Evgeniy. En picole, c’est un professionnel. En conduite de camion, j’en suis moins sûr. Il a un peu tendance à lâcher le volant pour exprimer vigoureusement son intense patriotisme et à rattraper le cap à l’arrache. Heureusement que ce n’est pas une route de montagne.

Après une demi-heure, nous virons vers l’Est, en quittant la route principale. Mon camion s’arrête devant un container monté sur luge stationné à côté d’un bulldozer et d’un groupe électrogène, y séjourne un petit gars bien sympathique chargé tout seul de l’entretien des routes… Et ça redébouche une bouteille de vodka, je vais me réfugier dans le camion. Une heure plus tard, mon conducteur ressortira titubant, remontera péniblement dans sa cabine après un premier vautrage dans la neige. Le petit gars me dit de ne pas m’inquiéter, que tout est normal… Je n’en suis pas totalement certain…

Ou alors, je vais devoir affronter cette normalité là et ça risque de ne pas être simple.On roulera comme ça une heure ou deux ou trois, jusqu’à ce qu’Egeniy me dise que je peux dormir sur toute la banquette. Il a un apéro chez le voisin.Il est vrai que je me demandais depuis le début du trajet où et comment j’allais dormir. Dans ces vieux camions Ural, il n’y a pas de couchette… Maintenant je suis rassuré, je risque même de passer une excellente nuit… Dans un camion, ça ne s’est jamais produit et dans celui-ci, c’est une sacrément bonne surprise.

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