Il faut vous dire que tout dans cet hôtel est assez précaire.
Les salles d’eau font partie intégrante des toilettes. Un lavabo étroit face à la cuvette des wc et dans le coin, un petit tuyau relié à un pommeau de douche accroché au mur. L’eau s’écoule directement sur le sol.
Dans notre chambre, la télé (vieille et à tube cathodique) fonctionne grâce à deux fils dénudés enfoncés directement dans une prise murale à moitié cassée.
Mais le prix est raisonnable…
Pendant que je range nos affaires…
« Boum ! Boum ! Boum ! » un bruit sourd résonne dans la cloison.
Monique sort de la douche et dit :
« C’est quoi ce ramdam ? »
Au bout d’un moment, une voix grave sort du mur :
« Bruno, Bruno, tu es là ? Tu m’entends ?
– Oui, qu’est-ce qui t’arrive Max ?
– On est coincé dans notre chambre, la clef ne fonctionne plus !
– Ok, j’arrive. »
Je sors et vais secouer vigoureusement la poignée de leur porte pour tenter de la décoincer. Après plusieurs tentatives, rien à faire !
Max : « Je te jette la clef par la fenêtre (du premier étage) et tu m’ouvres par l’extérieur. »
Aussitôt dit, aussitôt fait.
Mais cette nouvelle tentative se révèle sans succès. Il va peut-être falloir défoncer la porte…
J’insiste encore et enfin, la serrure cède. Nos deux prisonniers se retrouvent libres comme l’air.
Une partie des portes avait été visiblement forcée et rafistolée avec les moyens du bord.
« La journée commence fort, dis-je, comment sera la suite… ? »
Après un rapide petit déjeuner fait de thé et de biscuits, toute l’équipe va faire le plein d’essence à la dernière station avant de quitter la ville.
Depuis longtemps, nous ne trouvons plus de 98 sans plomb. Le 95 devient une denrée rare et les stations ne proposent plus que du 92 ou du 88 sans plomb. Comment vont se comporter nos moteurs ?
A la sortie d’Ölgiy, une route bien pavée nous attend.
Nous traversons de magnifiques paysages illuminés par un soleil radieux pendant quelques dizaines de kilomètres.
Dans le creux d’une immense plaine lunaire apparaît le lac de Tolbo bordé de hautes montagnes au sommets enneigés.
Cette immensité désertique nous enivre et nos yeux buvards ne se lassent jamais d’absorber tant de beautés inconnues.
Ce bonheur est de courte durée. Soudain, la route s’arrête et fait place à une piste rectiligne très sablonneuse où les pierres et le gravier se jettent sans vergogne sous nos roues. De nouveau, la tôle ondulée malmène montures, pilotes et passagères.
La piste nous entraîne maintenant en fond de vallée.
« Enfin, plus de tôle ondulée et de pierres, dis-je; seulement du sable dur, on va pouvoir rouler !
– Merde, merde, merde ! crie Max qui dérape devant nous. »
Sa moto devient incontrôlable. Impossible de la dompter. Il se retrouve perpendiculaire à la piste, enlisé jusqu’au sabot moteur mais toujours « fier comme Artaban » sur sa monture et s’écrie : « Whaou ! je ne suis pas tombé ».
Michel et moi étant dans la même zone de sable mou, impossible de béquiller pour aider Max à sortir du sable.
C’est à la sueur de leur front que les filles réalisent ce premier sauvetage. Elles vont pousser, tirer les 350 kg de la moto jusqu’à ce que celle-ci retrouve le droit chemin.
Un petit incident qui ne nous décourage pas et c’est avec confiance que nous reprenons la piste.
A quelque distance de là, un banc de sable mou me fait perdre à mon tour le contrôle de ma moto.
Elle fait une violente embardée, part en travers, glisse et comme Max je me retrouve perpendiculaire à la piste. Monique se colle à moi, j’accélère à fond et contrebraque. Après un temps qui nous semble infini, la moto obtempère et la chute est évitée.
Ma femme me dit : « Chapeau mon chéri, super récupération artistique ! »
Paf ! Quelques mètres plus loin, la moto de Michel et Maryse se couche dans le sable. Heureusement pas de bobo.
Deuxième sauvetage par les filles.
La piste étant très piégeuse, nous décidons de nous relayer pour servir de « fusible » aux autres 😉
En tête, j’avertis à travers mon Scala Rider des dangers de la piste. Et pendant des jours et des centaines de kilomètres raisonneront ces mots : « C’est mou, c’est mou, attention, à droite, non à gauche, ici tôle ondulée, merde, c’est très très mou. Non, finalement ça passe plutôt pas mal… » Et en écho : « Ok, merci… »
Malheureusement, cela n’a pas éviter la deuxième chute de Michel et Maryse. Cette fois-ci, la cheville de Maryse n’a pas été épargnée. Finalement, plus de peur et de souffrance que de mal. Un coup de « strap » et ça repart.
Repaf ! Magnifique chute de Bruno et Monique qui ne veulent pas être en reste. La moto est couchée sur le flanc, rien de grave.
La chaleur nous écrase. Nous avançons à la vitesse d’une tortue entre 5 et 25 km/h.
« A ce rythme là, nous ne sommes pas prêts d’arriver à Khovd, dis-je dans mon communicateur… silence approbateur.
– Décidément, cette piste est trop dure et dangereuse, répond Michel.
– Arrêtons-nous pour voir si on peut prendre un autre chemin, réplique Maryse. »
C’est vers 14h, fatigués, découragés, ayant faim et soif que nous nous arrêtons pour consulter carte et GPS.
Le village de Tolbo étant à proximité, la majorité décide de quitter la piste principale pour s’y rendre et s’approvisionner en eau et en nourriture.
Nous bifurquons à droite et après quelques centaines de mètres retrouvons une piste en partie goudronnée.
Le vrombissement de nos motos dans ce village perdu ne passe pas inaperçu.
Tolbo ressemble à un petit hameau marocain perdu dans le désert où soudain, des enfants sortis de nulle part viennent à notre rencontre. La nouvelle de notre arrivée se répand comme un feu de prairie.
A peine garés pour chercher à boire et à manger qu’ un attroupement de jeunes et vieux Mongols tels des abeilles viennent tourner autour de nous.
« Tout le village s’est donné rendez-vous pour nous voir, dit HongThinh.
– Ouais, on a l’impression d’être des « E.T. » débarqués de je ne sais quelle planète, lui répond Monique. »
Dans leur regard semble briller un gros point d’interrogation : « Etranges, ces
bipèdes habillés comme des cosmonautes. Que nous veulent-ils?
D’abord, ils ne parlent pas notre langue et gesticulent comme des sauvages… »
Après un temps d’observation, le climat se détend et tout le monde parle. Certains veulent grimper sur les motos pendant que d’autres enfilent nos casques et sont intrigués par nos communicateurs et nos coussins de selle…
Nous leur expliquons le but de notre aventure grâce à la carte de notre roadtrip collée sur nos topcases.
Michel se fait embarquer sur la moto d’un jeune mongole à la recherche d’huile pour nos machines.
A son retour, on nous emmène dans un restau impossible à trouver pour des étrangers.
C’est avec efficacité que notre hôte compose en deux temps trois mouvements, soupe aux raviolis de mouton ou de bouc (nous ne saurons jamais), nouilles et crêpes grasses parsemées de viande accompagnés de la boisson traditionnelle : Thé au lait salé.
Repus par ce repas inattendu, nous quittons le restaurant en emportant quelques crêpes en réserve.
Un géant Kazak chaussé de hautes bottes de cuir, vétu d’un long manteau en astrakan fermé par une grosse ceinture et coiffé du traditionnel chapeau mongol nous barre la route.
Son regard aux yeux incroyablement bleu translucide nous fige sur place. Il s’approche sans un mot, plaque chacun de nous sur sa poitrine. Prisonniers de ses bras d’acier, nul n’ose s’y opposer tant la surprise est grande. Non seulement content de nous étreindre, il nous gratifie alors d’un tendre baiser bien aromatisé… sur les joues.
Une seule chose comptait : Se libérer de son étreinte pour sentir à nouveau l’air pur emplir nos poumons. En un mot, il sentait bon le bouc chaud et les relents d’alcool.
Après ces effusions bien sympathiques, nous retrouvons la rue et les badauds. Un vieux motard mongol nous attend. Fier de nous montrer sa vieille moto russe datant des années cinquante, il nous propose de faire quelques photos avec lui.
L’heure tourne, pas facile de quitter ces gens accueillants aux sourires avenants.
La nouvelle direction prise pour éviter la piste principale si difficile nous oblige à faire étape à Bayan Enger avant d’atteindre Khovd.
Nous interrogeons les hommes qui se trouvent à nos côtés :
« Où se trouve Bayan Enger ? Je pose la question au vieux mongol à la moto russe.
– Par là ! Il me montre du doigt une piste qui se perd dans les montagnes. »
A la sortie du village, nous faisons le plein à la seule station d’essence. A côté, trois jeunes hommes se prélassent dans une petite cahute en bois, à l’abri du soleil.
Nous nous dirigeons vers eux pour avoir confirmation de la direction à prendre.
Bayan Enger , c’est par là ? demande Michel en montrant la piste indiquée par le vieux Mongol. L’un nous montre une piste à droite, l’autre à gauche et le troisième au milieu.
Devant tant de confusion, dépités, nous prenons la piste du milieu.
Tous les chemins mènent à Rome pourquoi pas à Bayan Enger !
Si l’entrée du village nous avait laissé quelqu’espoir de goudron pour la suite de notre voyage, la sortie du village nous a convaincu qu’il n’en serait rien.
Les trois motos alignées face à cette immensité ne trouvent que du sable et de la tôle ondulée à perte de vue.
Seulement cinquante kilomètres pour arriver à Bayan Enger, nous devrions l’atteindre ce soir pour y dormir.
Les heures défilent, nous roulons sur une piste de plus en plus difficile. La fatigue nous gagne. Après cinq heures de route, toujours pas de Bayan Enger à l’horizon.
Michel s’arrête pour faire un point sur la carte et le GPS.
Le bruit d’un galop résonne dans la plaine. Face à nous, arrivent trois cavaliers mongols qui s’arrêtent.
Intrigués par notre présence dans ce désert, ils sont curieux de savoir d’où nous venons et où nous allons.
Pendant que Michel explique et demande le chemin, l’un deux nous propose de comparer sa monture avec les nôtres. Les filles profitent d’un moment de détente inattendu où rires et joie effacent momentanément fatigue et courbatures.
Le cheval mongol est une race de petit cheval de selle très ancienne. Petit et trapu, de robes bai, alezan ou pie alezan. Il est classé dans les poneys.
Revigorés par la chaleur de cette rencontre, nous repartons confiant d’atteindre notre destination.
Le temps s’écoule…
« Toujours pas de Bayan Enger à l’horizon, dis-je.
– Ouais, on roule depuis neuf heures, répond Max. Je suis fatigué.
– Nous aurions déjà dû passer à côté du village de Deluun, ajoute Maryse.
– Arrêtons-nous pour faire le point, dit Michel. »
Il nous montre un point sur la carte et dit : « Nous devrions être à peu près là. »
Désabusés, fatigués par les chutes répétées et la difficulté de cette piste longue et éprouvante nous décidons de bivouaquer.
C’est perdu au milieu d’une plaine caillouteuse entourée de montagnes que nos trois « discrètes » tentes grises et jaune fluo se dressent fièrement gardées par nos trois montures.
Au loin paissent tranquillement des troupeaux de chèvres et de moutons pendant qu’un groupe de Yaks, sans un regard pour nous, traverse la plaine.
Un berger mongol qui a aperçu notre campement vient voir notre troupe insolite. Bien plus à l’aise que nous sur sa petite moto, il traverse la steppe en virtuose du tout terrain à toute allure. Arrivé à notre hauteur, il s’arrête, descend de sa machine et vient nous saluer.
Après quelques échanges amicaux, impressionné par la taille de nos motos et la distance que nous avons déjà parcourue, quelques photos et le voilà reparti vers l’infini.
Le soleil bascule derrière une crête et la température jusqu’ici clémente chute rapidement.
Michel et Max s’affairent autour du réchaud à pétrole.
Au menu ce soir, crêpes du midi, pâtes et boîte de maquereaux.
Dessert : biscuits trempés dans le thé ou le café.
Après le repas, fatigués, chacun rejoint rapidement sa tente.
Vers 23 heures, le bruit d’une voiture et le claquement de portières nous tire de notre torpeur.
De notre tente, « Toc, toc, toc ! et la voix de Michel dire : « ça, Monsieur, c’est de l’aluminium. Très solide ! Re Toc, toc, toc ! ça, Monsieur, plastique ! »
Michel fait de gros efforts pour présenter nos motos et expliquer notre présence en Mongolie.
Quelques instants plus tard, le « clac, clac » des portières et le bruit du moteur qui s’éloigne.
Les Mongols s’en sont allés. Rassurés, nous nous endormons.
Le lendemain matin, Michel et Maryse racontent leur aventure :
Restés pour regarder les étoiles, c’est avec inquiétude qu’ils ont vu arriver un gros 4×4 chargé de six Mongols aux mines patibulaires. Le parler haut de Michel devant servir à nous alerter afin d’intervenir en cas de danger.
Mais ces passagers de la nuit ont sans doute été aussi surpris par cette rencontre que Michel et Maryse. Ils s’en sont allés une fois leur curiosité satisfaite.
Ce désert est un axe important ou le trafic se fait de jour comme de nuit. Impossible de se cacher au milieu de ces plaines. Les couleurs « chatoyantes » de nos tentes dans leurs phares et la lumière des lampes frontales de nos amis les ont sûrement attirés.
A suivre…