Ces zones d’urbanisation anarchique se ressemblent partout dans le monde… en Russie, ça pourrait paraitre un peu plus déglingué, mais s’y entremêlent ,comme partout, vieilles maisons en sursis, entrepôts et ateliers divers, immeubles neufs, petits supermarchés et terrains vagues… ici, il y a peut-être, sous les énormes canalisations de chauffage urbain, un peu plus de gravats, de câbles électriques, de containers, de flaques de boues, de carcasses de camions… finalement, je repense à l’autre-là, et ses poulets et j’ai l’impression que je ne suis pas très objectif…
Quand je quitte le bikepost pour aller au travail, je prends un chemin parsemé de flaques qui m’amène, juste après une ruine de maison en bois mangée par les gravats, au petit entrepôt où est garée la moto… A l’entrée de la zone, trois clébards hargneux… j’ai déjà commencé à amadouer le plus teigneux. C’est que j’ai du boulot, moi, pas questions qu’ils me barrent la route.
C’est toujours un peu sinistre de commencer un voyage par quelques heures, ou quelques jours de cambouis…mais c’est un rituel obligatoire, la révision avant de rouler, et cette année, il n’y a rien de bien compliqué.
Dans cette cour à clébard, il y a plusieurs entrepôts-garages et ça traficote là dedans. J’y suis passé saluer en voisin et demander un chargeur de batterie… On dirait que le mécano habite au fond de son garage graisseux. Il y a un salon, un tapis, une table de cuisine et des théières , il y reçoit du monde, c’est la vie des garages informels. Peut-être que si, comme certaines années, je restais des jours dans mon garage en face du sien, je serais invité dans son salon, j’ai quand même déjà presque pactisé avec les chiens, c’est un bon début…
Mais la route m’attend ; la piste de Magadan. J’ai récupéré mes skis pour moto qui étaient restés au Baïkal depuis trois ans. Avec mes chaines reconstruites, si les pneus finissent par arriver, je semble paré pour affronter la piste.
Quand Maxim m’a amené, un petit camion partait dans l’autre sens avec, dans la benne, une grosse Béhème moderne toute cabossée. Max m’explique que c’est un motard de Saint Petersbourg qui s’est offert le même accident que moi. Ah bon ? répliquai-je curieux : il a lui aussi dérapé sur le verglas ? Mais non, évidemment pas ; lui c’est dans le sable… Putain le sable ; j’avais oublié que ça pouvait se trouver ailleurs qu’au Sahel… et le soir, pour meubler mon insomnie de jetlagué, je commence à angoisser sur le sable…je revois les gamelles, les pneus dégonflés, les embrayages en surchauffe… je m’attendais à la boue et je devrais retrouver le sable ? Je vais en faire quoi de mes skis, maintenant ? Les questions me submergent… alors, pour trouver la paix, je les retranscris minutieusement… et je prends mon temps ; comme ça, les moustiques viennent se poser un par un sur mon écran lumineux, et je suis sans pitié…ça calme…Demain sera, de toute façon, un autre jour…
Mais ils en ont fait quoi de tes pneus ? Ils sont peut être toujours à Montpellier, non, j’rigole….. Y’a toujours une merde, quelque part, c’est dingue ! Pourquoi, se déplacer à travers le vaste monde semble si facile, alors que non, il faut juste se déplacer avec sa brosse à dents, et là, tout coule… ptêt pas, ptêt qu’il faut plus bouger de chez soi et attendre….là, on est sûr qu’on a bien ses pneus, sa brosse à dents et tout ces trucs qu’on traine avec soi, bien câlés à la maison…..merde que le monde est compliqué ! C’est faux, archi faux, de dire que les communications sont plus simples qu’au XIX ème…….