Ce chauffeur là n’est pas comme les autres, avec lui je peux discuter. Et puis il ne balance pas ses poubelles par la fenêtre, il ramasse même les ordures des collègues qu’il trouve bien souvent complètement cinglés.
Il me raconte les choses de la vie en fumant clope sur clope entre deux quintes de toux. Il me parle aussi de camions, parce qu’il aime ça, les camions. À Moscou, à la saison d’été, il a une vie normale, il voit sa famille et il conduit un magnifique camion américain dont il est très fier ; pas un putain de Kamaz Ural tout pourri, comme ici. Mais, je le savais déjà, quand on vient bosser au Chukotka, on gagne trois fois plus qu’ailleurs. Et lui, contrairement au docteur Sergey, il est né à Pevek, sa famille est ici, son putain de frère qui n’a pas les mêmes opinions que lui. Son rêve était d’aller bosser au Canada, il avait fait toutes les démarches et ce Fucking Covid est arrivé… Alors il est resté là, il a passé la barre fatidique des 50 ans et maintenant, il le sait, c’est foutu; putain de Covid.
Alors il boit. Il reconnaît qu’il n’est pas le seul, mais au Chukotka, la vie est tellement difficile… Alors on boit.
À travers l’immensité blanche, on roule.
Plus un seul arbre, c’est la toundra…. et au soleil levant, quand nous reprenons la route, c’est quand même vraiment très beau , malgré les courbatures . J’ai terriblement mal dormi… D’habitude, car j’ai déjà des habitudes, j’utilise mes moelleux équipements pour me faire un matelas dans les cabines surchauffées. Comme Andrey ne laisse pas tourner le moteur la nuit, il ne chauffe qu’avec un petit système électrique beaucoup moins puissant. Là, je suis obligé de garder les costards d’homme des neiges sur moi, je dors donc en partie sur la planche qui sépare les fauteuils, c’est assez inconfortable. Alors, je reviens à la version matelas, je tapisse toute la planche avec mes fringues mais j’ai bien vite froid… C’est ainsi que chemine une bien courte nuit, à passer du chaud au froid et du trop dur au presque mou, tout ça accompagné des ronflements d’Andrey qui cuve son demi litre . Après avoir attendu qu’il soit huit heures du matin, je me permets de le réveiller et je fais bien ; il ne m’en voudra pas. On va se faire une petite collation et puis on va prendre la route.
Andrey aime le rock. On escalade le petit col sous un soleil rasant avec les trémolos électriques des scorpions et de l’autre côté, on plonge lentement dans l’immensité blanche, Leonard Cohen chante Hallelujah, c’est beau à pleurer.
Les cents derniers kilomètres se font sur la « Ice Road » avec AC/DC, je crois qu’ici, on est très fier de cette route « à l’américaine ». Tout est plat et infini, on roule sur la mer, le camion vogue.
Nous arriverons à Pevek en fin de journée.
Si Bilibino était une bourgade plate, entourée de collines, Pevek est sur un flanc de colline entourée du plat de la mer gelée… Quant aux immeuble colorés, ce sont un peu les mêmes . Nous laissons la moto sur le camion dans le garage familial à l’entrée de la ville, Andrey m’invite chez lui, on s’occupera des formalités plus tard…
quelle(s) merveille(s) !!! et quel courage tu démontres chaque jour qui passe, quelle ténacité !!!
on aime tant te retrouver dans ces paysages féériques , chaque jour ! merci de nous prouver qu’il existe encore la véritable aventure à vivre.Merci, merci, merci !