Chap 8 : La Carte Postale du Bout du Monde ou le Récit d’une initiation…

– Dis papa, c’était comment un Tarmokeuf avant ?

– Avant quoi, Chat ?

– Avant tout : Avant le blog, avant moi, avant Guillaume et avant Jérémy, avant Guiness, et même avant maman avec toi.

– Ah ça non ! Ce ne se peut pas parce qu’avant ta mère avec moi, un tarmokeuf, ça n’existait pas. Tout ce qu’il y avait, c’était un p’tit bonhomme un peu rêveur, un peu rebelle, en rupture de ban, en rupture de famille, en rupture de tout. Un p’tit bonhomme replié sur lui-même, reclus dans son placard (aux murs, soit dit en passant, tapissés de posters de Kenny Roberts, ce nain jaune qui tout droit venu des States initiait le reste du monde des Grands Prix aux joies de la glisse et du genou posé par terre) avec pour seules lueurs dans sa nuit intérieure, un électrophone où virevoltait à l’infini (et en vinyle, s’il te plaît, nous sommes au millénaire dernier, je te le rappelle…) « The River » de Bruce Springsteen ; un coffre débordant de livres fondateurs : « Les Mots » bien sûr, « La Peste » évidemment, Céline et son Voyage, Kerouac sur sa Route, le Bruit d’un Faulkner en Fureur et tant d’autres encore ;  mais surtout, chaque jeudi, Moto-Journal et sa désormais cultissime « Carte postale du bout du monde » de Fred Tran Duc. Fred, le génie qui inventa le Blog avant la naissance d’Internet et qui parcourut le monde sur sa « puce », une improbable et minuscule Yam 80cm3, tout en faisant rêver un lectorat adoléchiant grâce au récit hebdomadaire de ses pérégrinations. Par la magie de sa plume gouailleuse et humaniste, il nous montrait qu’ailleurs, ça pouvait être autrement, et que cet autrement, ça pouvait être aussi bien ; au travers de ses rencontres, il nous prouvait qu’il ne fallait pas avoir peur des dangers, des accidents, des agressions, des méchants. Qu’il ne fallait pas avoir peur, tout simplement. Parce que le danger, l’accident, l’agression, le méchant, dans la vie, ça n’est pas la règle, c’est l’exception. Et qu’avoir peur de la vie à cause de l’exception est aussi absurde que de se priver d’écrire à cause de cette règle de grammaire affirmant que des exceptions, dans chaque règle, y’en a une. C’est ainsi, par la grâce de ce maigrichon à lunettes sur sa pétrolette, qu’un vrai Tarmo je suis devenu. Un tarmo aimant le vent dans la figure et les moustiques dans le sourire. Quant au côté Keuf, au côté protecteur, il est venu quelques années plus tard, en grandissant, en vieillissant, en mûrissant. Parce que même en symbole, même en verlan, la liberté et la sécurité, ça ne va pas de soi, ça va de pair. Et une paire avec ta mère, nous en formâmes rapidement une sacrée, une consacrée même. Et quand on aime, l’autre nous devient si précieux que la peur revient, la peur de perdre. Mais ce côté Keuf, il va surtout de père, quand tes frères et toi, vous avez débarqué, bouleversant nos vie comme Petit Prince bouleversa celle de Fred après qu’il l’eut adopté. Il faut croire que c’est ainsi qu’on devient responsable. Un peu Tarmo, un peu Keuf. Un pied gauche, un pied droit, la vie n’a pas trouvé mieux pour nous faire avancer. A cloche-pied ou  en mono-roue, remarque, ça marche aussi, mais au bout d’un moment, on l’air un peu ballot, et surtout, ça épuise, et si l’on s’entête, ça se termine en gamelle, le menton dans le goudron.

Bien entendu, comme pour toute recette, le bon goût d’une vie est dans la proportion de ses aliments, et de même qu’en photo, pour un portrait réussi, 2 tiers 1 tiers semble être le bon rapport, les deux syllabes de Tarmo toujours en moi précéderont l’unique, occlusif et si inélégant Keuf. L’existence est une pâtisserie. Un rien de trop, une once de pas assez, et le gâteau est gâché. Mais tout ça ne sont que des mots. Des mots de Tarmo pour d’autres tarmos. Parce qu’un jour, une simple carte postale a illuminé mes nuits. Maintenant mon Chat, tu sais pourquoi j’écris, tu sais pourquoi je me rends à Helsinki.

Fred Tran Duc s’est éteint à Hanoï, au Viêt-Nam le 20 juillet 2011 à l’âge de 61 ans des suites d’une longue maladie.

3 thoughts on “Chap 8 : La Carte Postale du Bout du Monde ou le Récit d’une initiation…

  1. Merci pour le BOSS (qu’on se l’aime hein celui là mon Dany !), merci pour CAMUS (moi c’était plutôt « L’étranger » et « L’homme révolté »), merci pour KEROUAC (que je relis par petites louches en ce moment – c’est marrant les coïncidences) …. Bref MERCI Dany.

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