Plus loin, on arrive à Alicante… Encore des immeubles, partout ; va t’il à nouveau falloir s’enfuir ? Enchâssée dans une encoche taillée dans le rocher de la citadelle, sans doute par un dieu Grec de passage, le minuscule quartier de Santa Cruz est pourtant la preuve qu’ici, le poids discret du passé a plus d’allure qu’à Bénidorm. C’est aussi du port d’Alicante que se grava dans le sang la fuite des deniers républicains, à la fin de la guerre d’Espagne. Un peu plus tard, venus du sud, les parias de l’OAS ont débarqué là avec leurs Renault Dauphine et leurs disques de twist. L’Histoire est bien étrange ; leurs ancêtres étaient partis s’installer à Oran pour fuir la misère et les voilà qui débarquaient, deux générations plus tard, prêts à construire ce qui n’allait pas tarder à devenir une station balnéaire à la mode. Ils y ont bâti aussi la première école Française, celle de laquelle est issu le lycée qui m’invite aujourd’hui pour venir parler de bande dessinée. Le directeur de l’école primaire m’accueille chez lui, je dors dans le lit du fiston, petit prodige du piano qui joue des sonates dès le petit déjeuner et le matin je longe les plages pour aller au lycée. Madame la proviseur me raconte l’histoire étrange de ce grand lycée et de son papa, le dessinateur Bellus. On a tous vu , petits enfants des années soixante, ses petits dessins grivois dans Jour de France, quand on allait chez le dentiste…Mais tout ça c’est presque autant de l’histoire ancienne que l’arrivée des anciens nazis, des légionnaires belges, des dessinateurs et des barbouzes de l’OAS, tous ces gens qui, il y a bien longtemps, ont commencé à construire, avec la bénédiction de Franco, ce littoral Espagnol, cette aberration urbanistique qui depuis ne cesse de bourgeonner comme un cancer de béton dévorant petit à petit ce qui fut sans doute un petit coin tranquille bien qu’un peu austère, un petit bout de campagne maritime que tout le monde a oublié…