Une journée à Seymchan


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Le matin, une fois l’hôtel vidé de ses chinois bruyants, je prends tranquillement mon café soluble accompagné de sablés pas tout neufs. Les gâteaux achetés en vrac dans les minimarkets, c’est une miniloterie ; frais et croustillants ou mous et rances , on ne découvre la surprise qu’au petit déjeuner, avec ses papilles gustatives. Une fois la collation ingurgitée, paré pour une digestion approximative, je pars mener l’enquête. Je pourrais chercher une compagnie de transport, mais elles sont basées à Magadan, me renseigner au bureau de police, mais il y a toujours un risque à se présenter spontanément au poste avec une moto pas très en règle. Je pourrais aussi aller au port, mais va t’on y comprendre mes histoires ? Alors, je me dis que la bonne idée serait de commencer par trouver quelqu’un qui parle français, ou anglais, et me voilà parti à la recherche des écoles. La première est une école de sport, mais quelqu’un m’emmène directement au collège où la directrice me reçoit dans son grand bureau. Entre les drapeaux de la fédération de Russie et un pataud petit blond collé, je lui expose mon cas… elle m’emmène dans la foulée rencontrer la prof d’anglais, rigide comme une prof d’anglais, mais qui m’écoute consciencieusement. Ce soir ou demain matin, elle espère me dénicher quelqu’un qui en saura plus. Pendant la journée, ils sont tous à la pêche.

Je rentre à pieds vers mon hôtel, longeant les immeubles soviétiques. L’hôtel est au rez de chaussée réhabilité de l’un d’eux. Les étages, eux, sont abandonnés, ouverts à tous vents. Ces barres d’immeubles ont été construites dans les années soixante, c’est parfois écrit dessus. Elles devaient permettre de loger les habitants des villages en bois dans des appartements chauffés avec tout le confort moderne ; des chiottes et l’eau courante. Quand le rêve soviétique s’est effondré, beaucoup d’industries se sont arrêtées, les goulags ont fermé et, petit à petit, tout s’est vidé. Des répliques d’Artouk jalonnent tout mon parcours.

Seymchan se porte plutôt bien, la mairie à colonnades est parée du joli vert des gares transibériennes, on croise même quelques maisons anciennes encore debout.


Un flic m’arrête, me contrôle ; normal, peu de touristes viennent s’égarer ici. J’en profite pour poursuivre mon enquête, il me dit qu’à sa connaissance, il n’y a pas de circulation sur le fleuve l’hiver; trop de cailloux, trop de bout de bois, il n’y aurait, semble t’il, que des motoneiges qui s’y aventurent… des motoneiges… je note ça dans un coin encore actif de mon cerveau, on ne sait jamais…après tout, ma moto est un peu un scooter des neiges avec ses jolis skis en ferraille. Dans la foulée, je pars faire un tour au port. Autour de deux vieilles grues s’amoncellent d’innombrables carcasses de bagnoles, camions, bateaux, containers rouillés ; ça sent l’intense inactivité. D’ailleurs, il n’y a presque personne ici ; juste deux mecs en bleu de travail que ma présence indiffère totalement. Ils ne me sont, comme prévu d’aucun secours mais l’endroit vaut le détour. La ville a aussi son vieil aéroport  avec paraît-il, un avion de temps en temps pour Magadan, je note ; toute information est bonne à saisir au vol. Le mari de Tamara, qui gère l’auberge, vient d’Azerbaidjan, il est venu travailler ici pour l’argent… ah bon ? Il y a de l’argent, ici… comme ça, au premier coup d’œil, j’avais pas remarqué. Grâce à mon petit carnet et mon crayon facétieux, je fais ami avec tout le monde et je note bien les numéros, je n’arrive pas encore à vraiment m’imaginer quand et comment je reviendrai à Seymchan, mais j’aurai glané toutes les infos qu’il était possible de dénicher en une journée… Demain, si le ciel reste dégagé, je pourrai repartir avec le sentiment de la mission accomplie…