Petit matin frisquet, nuages de traîne sur les collines, brume épaisse dans les creux, par la fenêtre de la vieille maison de pierre, l’ambiance extérieure donnerait plutôt l’envie de rester au coin du vieux poêle à bois à siroter des eaux de vie aux herbes rares de la Margeride. Je me suis installé chez Alain Bourdin, ça faisait une trentaine d’années qu’on ne s’était pas vus, le temps file à toute allure, les vieux disent toujours ça. La dernière fois que j’ai croisé ce jeune homme, c’était sur le Larzac, terre d’accueil du babacoolisme militant, c’était en soixante dix huit ; depuis il a un peu changé de coiffure, mais bon après tout, moi aussi. Boby, mon compagnon de route sur le premier essai pyrénéen de motocyclisme hivernal, il y a juste un an, nous a rejoint à son tour. Il ne veut pas louper une seule étape, fusse t’elle une diversion, sur ces longs préliminaires à cette lointaine virée sibérienne. Nous sommes donc finalement sortis tout équipés de multiples couches pour les premiers tests d’équipement neige. La moto n’a pas démarré, ça n’aime pas le froid ces vieilles choses fragiles, mais qu’importe, il y a de la pente. En bas de la pente, l’engin démarrait, mais une fumée suspecte s’envolait entre les compteurs. On coupe le contact, on démonte. Jusqu’ici, on a fait quatre vingt mètres au maximum, la journée commence très fort. Après avoir viré le fil électrique suspect, ça repart avec la pente…Nous prenons donc la route du col pour y chercher la neige et nous la trouvons. On commence donc, sur un parking enneigé, le montage de nos deux systèmes de chaînage. Comme prévu, c’est beaucoup moins simple que dans le garage, mais bon, à force de persévérance, on y arrive. On démarre les machines et on s’offre quelques tours du parking du col enneigé ; c’est assez rigolo de tourner dans la neige sans se vautrer dans la minute qui suit, on commencerait presque à aimer ça mais il faut encore essayer les super skis Scandinaves, c’est ça le point fort de la journée… Pas vraiment en fait, le point fort, c’est les pannes. La moto recommence à rechigner, elle est comme moi, elle a peur d’y aller en Sibérie, alors elle court circuite tant qu’elle peut et la journée passe. Vers la fin de l’après-midi, le moteur tournait à nouveau, ça aide les routes de montagne pour démarrer en poussant, mais quelques gros nuages noirs arrivaient sournoisement par derrière le mont Mouchet, il était peut-être plus raisonnable de redescendre au coin du poêle à bois pour remettre l’essai des skis au lendemain ce qui, avec l’assistance d’une eau de vie aux herbes sauvages, peut finalement devenir tout à fait envisageable…