Mon nouvel ami pour la vie.


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J’ai rencontré mon nouvel ami poilu sur une petite route à côté de Nîmes, je n’aurais pas pu imaginer qu’entre lui et moi l’attirance serait aussi percutante; la moto en fit des galipettes de joie qui l’amenèrent, épuisée, se coucher sur la bas côté. Une fois la monture relevée avec l’aide des nombreux témoins affolés, j’ai installé mon nouvel ami sur l’arrière de la selle et nous avons repris la route en crabe, à cause du guidon qui avait légèrement changé son élégante courbure. Depuis on ne se quitte plus, à chaque feu rouge, les gens me regardent ouvrent la vitre et s’intéressent, ils font des photos et la discussion s’installe; rien de mieux pour frimer à moto que d’emmener un sanglier avec soi…j’ai fait étape chez un pote qui se prit instantanément d’amitié pour lui. Comme je me sens un peu esseulé ces derniers temps, j’ai failli refaire ma vie avec ce merveilleux ami poilu, mais on m’a vivement conseillé de ne pas le garder trop longtemps alors, le coeur brisé et avant qu’il ne commence à sentir trop, je l’ai laissé à un fanatique de viande sauvage qui, j’en suis certain, vivra avec lui une très grande passion.

La prépa pour la neige…


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On pourrait croire qu’on y croit plus. Ce voyage, à force d’en parler, de le reporter, d’écouter les bobards des communicants des importateurs, on pourrait s’imaginer qu’il est comme les voyages hypothétiques de tant de rêveurs géographes qui , toute leur vie,affichent des planisphères dans chaque pièce de la maison. Ils se croient à Bangkok dans leur piaule, à Valparaiso sous la douche ou à Kinshasa dans leurs chiottes… Et pourtant, je continue de faire comme si Vladivostok n’attendait que moi et je reconstruis méthodiquement ma vieille monture africaine pour lui apprendre à un jour découvrir la neige. Planqué au fond de la garrigue, François le chaudronnier, qui passe sa vie entre girolles et groupes de rock, m’a déjà construit les petits skis qui me permettront un jour de traverser le lac Baïkal sur mon vieux cheval de fer. On ne se moque pas, j’en vois des qui rigolent au fond, ça suffit maintenant, attendez un peu et vous verrez bien qu’un jour je repartirai…

Stocker de la GS


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Quand je me suis pris le sanglier, je me suis dit que ma vie allait basculer. J’étais comme Piccoli dans les choses de la vie, j’ai vu défiler mon existence en quelques secondes de glissade, je croyais finir à l’hôpital mais finalement, pas du tout, j’ai continué ma route avec ma bestiole en passager. Quelques jours plus tard, j’ai rencontré Eric qui avait aussi fait une chute pas loin de Nîmes. Aucune bête sauvage n’était venue lui barrer la route; dans son histoire, c’est le pneu avant qui avait décidé de quitter la roue, comme ça, sans prévenir, alors lui aussi il avait vu défiler sa vie en glissant entre les camions de l’autoroute, lui aussi il s’est relevé sans une égratignure, mais lui, par contre, quand il s’est relevé, il s’est dit que la moto ce n’était plus pour lui, et ses deux GS, une cassée sur l’autoroute et une pas cassée du tout, il a décidé de s’en débarasser. C’est là que nos routes se sont croisées, les hasards de la vie, toujours eux, mais ses motos ont terminé leur vie dans mon garage  et grâce à toutes ces péripéties, je me retrouve avec tout ce qu’il faut pour reconstruire complètement mon vieux chameau d’Afrique et faire de lui le fier pur sang des steppes qui m’emmènera là bas, vers l’Orient plus que lointain.

Quelques tergiversations préliminaires…


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Ce fameux jour où je me suis pris le sanglier, juste entre le choc et la fin de la chute, j’ai tranquillement vu défiler ma vie comme dans un film de Claude Sautet. J’ai surtout imaginé l’après plus que l’avant, je n’ai pas revu mes premiers pas ni la classe de maternelle, mais, avec une sorte de détachement, je me suis dit que là, à cet instant ma vie allait changer, que c’était sans doute la fin du voyage, une autre existence qui commençait…En général quand on se prend un sanglier à moto, toutes sortes de choses de la vie s’arrêtent  net. Je me suis échoué avant le fossé, la moto aussi, je me suis relevé, la moto aussi et puis on est reparti, la moto, moi et le sanglier  mort en passager. Il y a quelque chose qui ne collait pas dans cet accident-là ; certes, le sanglier n’avait pas survécu, mais je suis reparti tranquillement avec ma monture, comme si la vie allait continuer tout pareil qu’avant.Ce soir-là, je me suis fait plaquer…

Il y a des petits évènements de la vie qui donnent férocement l’envie de fuite dans le désert… de sable, de cailloux ou de neige, on s’en fout, mais un grand espace indispensablement  vide dans lequel se fondre à jamais… J’avais assez perdu de temps à croire que l’une ou l’autre firme allait me soutenir dans mon nouveau projet, il fallait vite que je bricole tout seul et que je reparte avant d’être tout vieux et tout moisi. J’avais mes skis pour moto à essayer et puis les chaînes spéciales, fabriquées en Autriche,qui m’attendaient à la poste. J’ai tout de suite  voulu essayer ça et  tout  aussi vite compris que ça ne serait pas simple à monter au bord de la route, par moins vingt cinq, un soir de blizzard, mais on a une fâcheuse tendance à remettre certaines choses au lendemain en sachant pertinemment bien que quelques mois plus tard, on regretterait sans doute ce dilettantisme débonnaire. Un jour où je revenais d’une séance de bricolage soudure, j’ai encore trouvé le moyen de repousser mes départs en laissant traîner un bout de mon faisceau électrique contre le pot d’échappement, la moto a un peu commencé à flamber, mais comme le dieu Sanglier est avec moi, j’ai réussi à stopper l’incendie et aussi à perdre trois semaines pour réparer tous les dégâts.  Mais finalement,  tout semblait prêt pour aller essayer mes nouveaux jouets à la montagne. Pendant que je réparais mes câbles fondus un redoux inattendu est venu balayer l’arrière-pays. On m’a dit là-haut qu’il n’y avait pas beaucoup de neige. Si je n’y vais pas , je ne partirai jamais…demain, on va la tenter cette étape décisive de l’essai  ski-moto ; mais je crains terriblement que ce soit un essai de ski nautique…

Au pied du mur…


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Le redoux de l’arrière pays n’était pas si redoux que ça. J’ai traversé les plateaux, du Larzac  jusqu’au Gévaudan  sous un ciel  plombé qui dégueulait un crachin triste, les  virages humides  entre les collines mangées par des bancs de nuages noirs m’ont amené jusqu’au pied de la Croix du Fau…En haut, il a dû neiger, on va  bientôt pouvoir chausser les skis sur la moto…


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Petit matin frisquet, nuages de traîne sur les collines, brume épaisse dans les creux, par la fenêtre de la vieille maison de pierre, l’ambiance extérieure donnerait plutôt l’envie de rester au coin du vieux poêle à bois à siroter des eaux de vie aux herbes rares de la Margeride. Je me suis installé chez Alain Bourdin, ça faisait une trentaine d’années qu’on ne s’était pas vus, le temps file à toute allure, les vieux disent toujours ça. La dernière fois que j’ai croisé ce jeune homme, c’était sur le Larzac, terre d’accueil du babacoolisme militant, c’était  en soixante dix huit ; depuis il a un peu changé de coiffure, mais bon après tout, moi aussi. Boby, mon compagnon de route sur le premier essai  pyrénéen de motocyclisme hivernal, il y a juste un an, nous a rejoint à son tour. Il ne veut pas louper une seule étape, fusse t’elle une diversion, sur ces longs préliminaires à cette lointaine virée sibérienne. Nous sommes donc  finalement sortis  tout équipés de multiples couches pour les premiers tests d’équipement neige. La moto n’a pas démarré, ça n’aime pas le froid ces vieilles choses fragiles, mais qu’importe, il y a de la pente. En bas de la pente, l’engin démarrait, mais une fumée suspecte s’envolait entre les compteurs. On coupe le contact, on démonte. Jusqu’ici, on a fait quatre vingt mètres au maximum, la journée commence très fort. Après avoir viré le fil électrique suspect, ça repart avec la pente…Nous prenons donc la route du col pour y chercher la neige et nous la trouvons. On commence donc, sur un parking enneigé, le montage de nos deux systèmes de chaînage. Comme prévu, c’est beaucoup moins simple que dans le garage, mais bon, à force de persévérance, on y arrive. On démarre les machines et on s’offre quelques tours du parking du col enneigé ; c’est assez rigolo de tourner dans la neige sans se vautrer dans la minute qui suit, on commencerait presque à aimer ça mais il faut encore essayer les super skis  Scandinaves, c’est ça le point fort de la journée… Pas vraiment en fait, le point fort, c’est les pannes. La  moto recommence à rechigner, elle est comme moi, elle a peur d’y aller en Sibérie, alors elle court circuite tant qu’elle peut et la journée passe. Vers la fin de l’après-midi, le moteur tournait à nouveau, ça aide les routes de montagne pour démarrer en poussant, mais quelques gros nuages noirs arrivaient sournoisement par derrière le mont Mouchet, il était peut-être plus raisonnable de redescendre au coin du poêle à bois pour remettre l’essai des skis au lendemain ce qui, avec l’assistance d’une eau de vie aux herbes sauvages, peut finalement devenir tout à fait envisageable…

Les rois de la glisse…


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Les skis à neige, j’en avais rêvé. En regardant les vidéos des séances de glisse sur les lacs gelés, j’avais cru que la traversée de la Sibérie, ça ne pouvait qu’être une interminable séance de glisse, du fun nordique à l’état pur . Au premier essai, la veille, sur le parking,  j’avais vraiment cru être le nouveau Beach Boy lapon, le roi de la glisse, Brice du Baïkal… J’y ai tellement cru, sur  ma lancée, que je me suis directement jeté dans le premier chemin forestier qui s’offrait à moi. Je  me suis arrêté un peu plus loin, je n’aurais pas dû, il fallait bien attendre Boby qui courrait derrière avec sa petite caméra. Quand, il s’est mis en position un peu plus loin pour  choper le bon angle de prise de vue et qu’il m’a dit que okay, c’était bon, je pouvais y aller, j’aurais dû comprendre que sans la lancée, ce ne serait plus jamais pareil.Le chemin était étroit, creusé, en côte, la neige était lourde avec de la boue caillouteuse juste en dessous. Ma grosse monture n’arrivait plus qu’à godiller lamentablement en s’enfonçant tous les vingt mètres. Il y a sûrement une technique à prendre, mais ce sera pour une autre fois…J’ai explosé mes super chaînes à neige autrichiennes toutes neuves en foutant les gaz pour sortir d’un trou, puis on a sué nos dernières gouttes pour simplement remettre la moto dans  le sens du retour et la pousser jusqu’au départ . Évidemment, après toutes ces gamelles minables, la batterie déclarait à nouveau forfait. J’en ai appris des choses ces deux derniers jours, mais surtout que ce genre de pilotage sur neige, ça ne pouvait pas trop s’improviser… qu’importe, au point où j’en suis, je ne peux que progresser !

Au pays des amortisseurs jaunes.


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J’ai quitté la Margeride ce matin avec mes chaînes cassées dans les valoches et sur le porte-bagage, les skis en métal lourd, communément appelés Heavy Métal sky’s, mais je m’égare un peu…après un petit détour par les routes touristiques fraîchement ensoleillées, j’ai pris la direction d’Aurillac, il y avait encore beaucoup de neige sur les monts du Cantal, mais la glisse aléatoire n’est plus à l’ordre du jour, le programme c’est une visite chez Olhïns, la Rolls de l’amortisseur, pour y faire reconditionner le mien qui en a bien besoin. Une petite journée pour être initié à toutes les finesses de l’amortissement ; tout  est démonté, astiqué ou remplacé…jaugé, mesuré, réglé devant mes petits yeux attentifs. Pendant la pause, je  leur passe des photos d’Afrique ou de mes essais de l’avant veille, ça fait un peu de récré, ça change l’ambiance à l’atelier et puis le soir, je me prends une petite piaule en ville, je reprends mes réflexes de voyage, je m’installe et puis je vais un peu traîner dans les rues avant de m’installer pour écrire ma petit histoire. Aurillac n’est ni Istanbul, ni Kinshasa, ni Bombay, on en fait plus vite le tour, mais je me dis que peut-être, un jour, après avoir tenté de rejoindre Vadivostock, je pourrai reprendre les petits tours des villes de France…

Retour à la case départ.


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Et me voilà déjà rentré chez moi….le retour par l’Aubrac tout embrumé dans son hiver interminable, la descente par le Col du Vent , la porte du Sud dont je ne me lasserai jamais et puis une fois rentré, l’heure du bilan…il va encore en falloir des modifications sur mes skis en ferraille et des réglages sur ma vieille monture avant de repartir…mais d’ici là, la guerre aura peut-être cessé en Ukraine ou la terrer de tourner à moins qu’ elle ne se mette  à tourner dans l’autre sens, amenant Vladivostock devant la porte de ma piaule… il s’en passe tellement des choses folles, on peut s’attendre à tout…en attendant  de reprendre ce récit au prochain essai…