Pavel le magicien


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Pavel est arrivé le cœur léger dans la fraicheur relative d’une fin d’été sibérien. Internet était revenu à quatre heures du matin, j’avais été averti par une petite clochette de reconnexion qui m’avait extirpé du sommeil. Mais j’avais eu les informations que j’attendais et nous avons pu nous jeter sur les zones suspectes. Sous le contacteur à clé et dans la commande au guidon droit, quelques fils bien fatigués avaient commencé à se surchauffer l’un l’autre. Pavel était sur son petit nuage, pour lui qui a l’habitude de tripatouiller des camions souterrains géants, ma moto, c’est un peu un playmobil. Il s’éclate, jubile, se régale, fouille dans tous les coins ce qu’on pourrait bien régler encore. Il repère quelques suintements louches, quelques câbles fourbes et en fin de journée, quand l’arrivée de la fraicheur et de l’obscurité nous fait ranger les outils, il m’a déjà concocté un programme pour le lendemain. Heureusement qu’il n’est, lui aussi, que de passage à Khandiga, parce que j’aurais sans doute passé l’hiver ici…  
    Mais, une fois revenu le printemps, je serais reparti d’ici avec une moto toute neuve…

Du ferry au collège…


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Le lendemain, je me suis réveillé à sept heures, au son du chargement de camions du premier bac. Je me lève tranquillement et je vais prendre un café chez mes voisins d’en face. Aliocha voudrait aussi sa caricature et aussi, tant qu’on y est, celle de son neveu. Grâce aux technologies modernes, nous discutons de nos vies, de nos métiers ou de nos familles, de l’islamisme et du retraitement des déchets. Aliocha  croit arriver à me convaincre qu’en Russie ça n’a pas d’importance… et sa preuve est irréfutable, « écologie », ce n’est pas traduit dans son téléphone russe !

On laissera passer la petite barge de dix heures pour prendre le gros bac de onze heures trente, Aliocha y tient beaucoup, c’est celui dont il tient la caisse, d’ailleurs il tient à m’offrir le voyage pour me remercier de tous les dessins.             Sur le bateau, on m’invite à traverser dans le poste de pilotage, mais aussi à caricaturer la moitié des marins.
On me priera ensuite de venir me restaurer au réfectoire du bateau mais je vais aussi caricaturer la cuisinière, une rondouillarde babouchka rougeaude et le capitaine, un beau et solide gaillard au regard d’acier.

Je repartirai le cœur léger, avec une douce impression que le monde m’appartient…

Quelques minutes plus tard, dix kilomètres avant Khandyga le moteur s’arrête net et là, soudainement, plus rien ne m’appartient…

Deux minibus Uaz gris s’arrêtent, un dans chaque sens, j’ai déjà commencé à chercher, j’imagine une panne anodine, une cosse débranchée, mal fixée, mais je ne trouve rien. Alors, Nikolaï qui, avec madame, va dans la même direction que moi, propose de me tracter jusqu’au garage de la bourgade. Arrivé devant, le doute m’assaille, je ne le sens pas ce mécanicien rustique et je demande à Nikolaï si il peut me tracter jusqu’à l’auberge du village.           La malédiction s’acharne, c’est complet et il n’y a pas de solution de secours…

Mais madame Nikolaï enquête au téléphone, pendant que monsieur son mari explique mon cas à un client de l’hôtel, vivement intéressé par mon cas. Pavel est Ousbek et mécanicien sur les camions souterrains qui travaillent dans les mines… il propose de venir me filer un coup de main devant l’internat du collège où on m’a trouvé une place.

Côté panne c’est un peu le désespoir, pourtant, l’un comme l’autre , on se dit que ça ne peut pas être grave. Alors nous allons bouffer dans un café Ouzbek, histoire de rester en famille et nous planifions nos soirées, il va chercher des solutions sur Internet et moi je vais essayer d’activer mes contacts au pays en espérant qu’ils soient déjà levés… mais soudain, vent de panique dans toute la ville ; il y a une panne Internet. On ne parle plus que de ça, Khandiga n’a plus sa fenêtre sur l’extérieur, sa bouée de sauvetage pour une jeunesse en mal d’ailleurs… Nous nous replions chacun vers nos couchages, on se sent abandonnés, prisonniers d’une réalité restreinte, comme si c’était la fin du monde…

Au bord de la Lena


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La route s’était dégagée, aérée puis s’était arrêtée au bord d’un grand fleuve.

Il y a un bac ; ce n’est même pas inscrit sur la carte.

Arrivé là, je n’ai pas hésité une seconde, plutôt que de me précipiter pour traverser, je me suis posé juste à côté, là où crèchent Alexandre et Kolia. Je ne sais pas exactement quel est leur boulot, mais ils habitent là, dans un charmant container monté sur un vieux Kamaz. Je me suis dit que passer la soirée avec ces deux pieds nickelés, ça serait mieux que tous les motels de Russie. Manquant considérablement de conversation, je me suis replié sur l’option caricature qui restera à tout jamais ma botte secrète… éclats de rires édentés, friture de fleuve fraichement pêchée et arrosée à la vodka. Je me suis replié poliment quand ils sont passés à la bière, amenée par Aliocha, le troisième Pied Nickelé…il m’avait bien semblé qu’il en manquait un…

De Churachoa à plus loin…


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Churaocha, une petite ville anonyme avec un hôtel qui n’en est pas vraiment un… au premier étage, des bureaux, au second, des salles vides et quelques chambres à cinq lits… ça ira très bien pour une nuit, même si il n’y qu’un filet d’eau jaunâtre au lavabo des chiottes. Je suis à cent soixante kilomètres de Yakutsk et je prends mon temps… Le matin, je vais dans le village chercher un petit déjeuner, de la viande et du choux, ce n’est pas de la viennoiserie mais ça va me tenir au corps.

Les bureaux du premier, au vu des photos affichées, ça doit être un ministère de la chasse ou quelque-chose comme ça. Il semble bien, que tout comme Maxime à Yakutsk, on me demande si je voyage seul et sans arme, c’est à cause des ours, il faut bien avouer qu’à deux et sans armes, ils n’auraient plus qu’à se tenir à carreau, les plantigrades.

Il fait beau, la route n’est pas trop fréquentée et c’est très bien, parce que les croisements dans la poussière on ne s’y habitue jamais… le sol est recouvert d’un subtil mélange ; un tiers sable, deux tiers gravier, il suffirait de saupoudrer de ciment un jour de pluie pour avoir un béton parfait.

Dans les cimetières fleuris, se côtoient des tombes traditionnelles en forme de petite maison, et celles de l’époque soviétique avec faucille et marteau et puis celles en ferraille moins jolies mais plus recyclables, des tombes constructivistes. Je m’y offre une pause de plus… les cimetières avec vue sur la campagne infinie sont des lieux privilégiés où l’on entend que le chant des oiseaux, pas un téléphone, pas une télé de merde, ça donnerait presque envie d’être mort…

Au bord du chemin, une carcasse de cheval est disputée énergiquement par les milans, les buses et les grands corbeaux… je m’arrête quelques instant, non pas que l’odeur soit euphorisante, mais le balai des oiseaux et leurs discussions animées au dessus de ma tête me change encore d’ambiance sonore…juste oublier la téloche des cafés de bord de route…

Parfois une bagnole s’arrête, on échange quelques mots que personne ne comprend, mais finalement quelle importance, on se sert la louche, on se congratule et on reprend nos routes et nos vies…


Vers cinq  heures, je m’offre une pause dans une jolie prairie avec les ruines de ce qui semblerait être une ancienne exploitation agricole. Il fait doux, c’est un bel endroit mais je trouve que c’est un peu tôt pour l’étape, alors je continue… juste un peu plus loin, je me cale sur juste une heure, histoire de trouver une autre prairie… mais un peu plus loin, c’est là que je trouve le tronçon sableux. Les renseignements qu’on m’avait filés, ce n’était pas du pipeau, et je ne m’attendais pas à trouver de la difficulté technique en fin de journée, le mélange béton a perdu en qualité, ça devient vraiment sableux, plus étroit et ça ne quitte jamais la forêt, celle bien épaisse où on m’a vivement déconseillé de camper seul et désarmé. Alors je m’accroche au guidon, je me concentre, surtout quand je croise des camions et que je dois m’écarter de la trace centrale un peu plus ferme. Le ciel rougeoie et la forêt ne s’arrête jamais… mais je finis par enfin trouver l’endroit idéal, au romantisme russe absolu et c’est là, immédiatement que je décide de faire la pause…  

le premier jour de route…


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Après avoir soigneusement rangé le club et révisé mes cours d’équilibrage de paquetage, il ne restait plus qu’à prendre le bac pour traverser la Léna. Une petite armada de vieux bacs sillonne le grand fleuve gris toute la journée. Les embarcadères ne sont pas l’un en face de l’autre, les passagers ont droit à une mini croisière pour rejoindre la petite ville de l’autre rive quelque kilomètre en amont, ou en aval, je ne sais pas dans quel sens il coule le long fleuve tranquille.

Le petit tour en bateau fut plus agréable que la dernière fois, de nuit, sous la neige avec une patte cassée ; là, on regarde défiler les bancs de sables et les mouettes rieuses, on fait des photos, c’est la vraie croisière. Je suis arrivé juste quand il allait prendre le large ; le mécano m’a fait un grand signe pour que je tire tout droit et que je m’incruste entre deux minibus à l’arrière. Les débarquements, comme d’ailleurs les
embarquements qui n’en sont que des copies inversées, rappellent de lointaines opérations sur les plages normandes, la passerelle est balancée le plus rapidement possible et pas question de trainer pour remonter la pente sableuse qui sert de rampe d’accès.

Commence alors la route de Magadan… après douze kilomètres de goudron, on se retrouve sur une piste pas trop défoncée. Je me demande parfois pourquoi on fait des routes toute lisses pour les limiter à quatre vingt et mettre des radars partout. Pour faire des économies, il suffit de faire comme dans ces contrées lointaines, juste des pistes, comme ça on ne le dépasse pas le quatre vingt… quoique….

Les minibus et les quat’quatres ont l’air de tenir à leur moyenne, je les laisse passer, mais ça fait de la poussière. Il faut arriver à doser son pilotage pour échapper au nuage de poussière du précédent sans risquer de se faire dépasser par le suivant, sinon on perd une partie. Si c’est dans l’autre sens et que, par exemple, des petits rigolos auraient l’idée saugrenue de faire des dépassements en négligeant ma présence, j’ai double dose de poussière et je recule d’une case. Vicieux comme jeu, il y a parfois la même situation mais dans les deux sens, mauvaise pioche, je perds un tour… je m’arrête et je vais pisser… Parfois aussi, c’est un peu plus calme, on s’arrête on fait des photos… le vieux couple de ricains en sidecar que j’ai dépassé n’ont vraiment pas de chance ; rupture d’amortisseur…et un side car, ça ne s’embarque pas dans le premier fourgon Uaz de passage. Je crois que la partie est perdue pour eux, ils ont cinq jours pour rejoindre Magadan où un transitaire doit faire expédier leur moto… il y a mille huit cent bornes de piste et en plus leurs visas se périment bientôt.

En voilà encore qui, malgré leur âge respectable, n’ont toujours pas assimilé la règle élémentaire : prévoir le temps qu’il faut, ne même pas le prévoir, juste s’offrir le bien être, le luxe inouï, de ne pas avoir à y penser…

dernier jour au club…


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Pour bricoler la béquille, je suis allé voir en face, là où il y a les chiens. Il y a vraiment plein de gens, là dedans, mais comme ils sont tous habillés pareil et que ça n’a pas l’air d’une secte, j’ai l’impression que c’est une sorte d’atelier municipal et puis, au fond, et bien personne n’y habite au fond ; c’est la salle de réunion. Ils s’y sont mis à je ne sais pas combien sur la bécane, et comme j’avais du mal à expliquer, j’ai manié aussi la grosse disqueuse, comme ça ils ont vu que je savais y faire. Après je suis allé chercher des bières pour remercier… on a pas beaucoup trinqué parce qu’ils avaient encore du boulot et pas le temps de parler de la coupe du monde…comme moi, la coupe du monde, je m’en fous et que je devais encore aller poster mon article en buvant mon demi litre, ce n’était peut-être pas plus mal…

Après avoir cherché un mécano qui accepte de me changer les pneus, je suis allé flâner dans la ville. Yakoutsk n’est certes pas la ville la plus sexy de Russie, mais savoir que tout ces immeubles tout neufs sont construits sur des plots en béton parce que, à plus deux mètres de profondeur, c’est gelé en permanence, c’est quand même impressionnant. Je ne sais pas ce qu’il se passera quand le permafrost va fondre, peut-être que la ville coulera… comme Venise bientôt, mais en moins pittoresque.

On s’y déplace plus facilement qu’en octobre et en béquilles, mais comme le ciel se couvre et qu’on annonce de la pluie, je me suis hâté de terminer le dessin commencé l’an dernier sur le mur du club… Pas beaucoup de public ; juste Maxim et un de rares « loups de la nuit» à ne pas être parti faire l’expédition annuelle en Crimée. On a juste bu du thé, puis on s’est dit au revoir… Je n’ai plus grand chose à faire à Yakutsk… même Natalia qui, en octobre, m’avait demandé de venir faire des ateliers à l’université a disparu… s’ il n’y a même plus Natalia, pourquoi resterais-je planté en attendant la pluie ?

j’ai demandé à Maxim de faire suivre mes skis à Magadan et lui ai proposé de garder les pneus de secours ; dans la boue, il vaut mieux voyager léger , demain je repars…

Encore un miracle informatique!


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Nolan m’a filé un casque, Furygan, comme son nom l’indique, des gants et puis la Mutuelle des Motards, comme son nom ne l’indique pas, le billet d’avion qui m’a ramené ici .

Tecnoglobe m’a complété la panoplie de fixation pour filmer dans tous les sens la route de Magadan, mais comme pour connecter mon nouveau modem satellite, j’ai dû rentrer une version plus récente du logiciel de mon téléphone et que pour ça, j’ai dû aussi réactualiser tout ce qu’il y avait dans mon ordinateur, j’ai découvert à peine arrivé que j’aurais aussi dû réactualiser mon logiciel de montage, que pour réactualiser cette chose, il fallait passer par mon téléphone, mais que pour passer par le téléphone, il fallait que je puisse y recevoir un message et c’est là que ça coince. En arrivant, j’ai glissé une carte « sim » russe à l’intérieur, allez donc savoir pourquoi ma bonne dame, ce message-là ne peut arriver que sur un numéro bien français, ma bonne dame, un qui sent la baguette, le calandos et le gros rouge, le pastaga et les cigales… ah bon, ça sent pas les cigales ?

Est-ce que c’était mieux avant, ou avang (pour le pastis) , du temps où on avait besoin que d’un carnet Moleskine pour faire un récit de voyage… qu’en sais-je seulement… si je n’arrive pas à filmer, je continuerai à dessiner…

Quand hier, j’ai compris qu’il fallait réactualiser le logiciel et que pour ce faire, une très bonne connexion était nécessaire, Maxim m’a emmené chez un pote à lui et de là, j’ai contacté un pote à moi, spécialiste des ordis et qui a toujours des solutions pour tout… il a donc décidé de prendre possession mon ordinateur depuis chez lui, comme un pilote de drone. Je me suis donc retrouvé chez des motards russes qui ne parlaient ni français , ni anglais, dans un grand canapé avec la souris de mon ordi qui se baladait toute seule, pilotée depuis Palavas les flots… et pourtant je n’avais encore rien bu…

A la recherche du wifi…


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A côté du « bike post », du « Klub », il y a tout ce dont on a besoin pour survivre, un petit resto Ousbek et un supermarché ; Kyriul m’avait déjà montré ça l’année dernière mais comme tout était verglacé et moi en béquilles , je n’avais pas pu visiter. Cette année, la route verglacée est une rue sableuse et après quelques minutes à pieds, je peux faire mes courses tranquillement, on y propose le même choix que dans tous les petits supermarkets du pays …des soupes aux nouilles chinoises, des saucisses de toutes les couleurs, des poissons séchés, du fromage, du lait et du kéfir, le lait fermenté, et des snickers. Il y a souvent un rayon de plats préparés, genre escalopes panées, mais pas ici, c’est pas de chance, c’est bien pratique ; le Kloub a tout ce qu’il faut pour se fristouiller des petits repas de célibataire.

La seule chose qui manque, dans le quartier, c’est le wifi… pour en trouver un qui ne rame pas trop, j’ai dû enquêter, arpenter les rues, bras tendu avec le téléphone brandi comme un compteur Geiger en quête de signal. En remontant la route goudronnée, deux cent mètres plus loin, je suis arrivé au  « Chaplin », un bar qui sert des bières d’un demi litre accompagnées de poisson séché tellement salé qu’on a vite fait d’en recommander une autre…

Certes, pour l’instant, mon récit quotidien est sauvé, mais si je traîne trop à Yakutsk, je ne vais pas tarder à prendre du bide…

Trois jours après mon arrivée, la moto tourne comme une horloge. Je progresse en timing de remise en ordre. Je suis très impressionné par la batterie chinoise achetée à Barnaul il y a deux ans ; il va falloir encore une fois, comme pour l’ indécrottable image soviétique de la Russie vue d’occident, partir en croisade contre les préjugés. Le produit chinois, c’est pas que tout pourri. Par contre, je me souviens d’une batterie allemande très chère qui n’avait pas résisté à quelques mois d’immobilisation… mais bon…

Il faut encore rectifier la béquille et monter les pneus qui m’attendent déjà à l’aéroport. Peut-être essayer de bricoler le feu arrière que j’ai explosé l’année dernière et tout devrait être calé pour un départ imminent.

Dans le hangar où j’avais laissé mes affaires l’année dernière, mes gants d’hiver et mon casque de Vladivostok ont disparu. Pour le casque, même si ça sent la malédiction, ce n’est pas trop grave puisque Nolan m’en a donné un tout neuf… pour les gants, tant que les températures  choisissent de se la couler douce encore quelques semaines, ce n’est pas très grave non plus, puisque Furygan m’en file aussi de temps en temps… Rien n’est grave, finalement, tant qu’on a la santé et de la soupe chinoise…

l’atelier de rêve


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Ces zones d’urbanisation anarchique se ressemblent partout dans le monde… en Russie, ça pourrait paraitre un peu plus déglingué, mais s’y entremêlent ,comme partout, vieilles maisons en sursis, entrepôts et ateliers divers, immeubles neufs, petits supermarchés et terrains vagues… ici, il y a peut-être, sous les énormes canalisations de chauffage urbain, un peu plus de gravats, de câbles électriques, de containers, de flaques de boues, de carcasses de camions… finalement, je repense à l’autre-là, et ses poulets et j’ai l’impression que je ne suis pas très objectif…

Quand je quitte le bikepost pour aller au travail, je prends un chemin parsemé de flaques qui m’amène, juste après une ruine de maison en bois mangée par les gravats, au petit entrepôt où est garée la moto… A l’entrée de la zone, trois clébards hargneux… j’ai déjà commencé à amadouer le plus teigneux. C’est que j’ai du boulot, moi, pas questions qu’ils me barrent la route.

C’est toujours un peu sinistre de commencer un voyage par quelques heures, ou quelques jours de cambouis…mais c’est un rituel obligatoire, la révision avant de rouler, et cette année, il n’y a rien de bien compliqué.

Dans cette cour à clébard, il y a plusieurs entrepôts-garages et ça traficote là dedans. J’y suis passé saluer en voisin et demander un chargeur de batterie… On dirait que le mécano habite au fond de son garage graisseux. Il y a un salon, un tapis, une table de cuisine et des théières , il y reçoit du monde, c’est la vie des garages informels. Peut-être que si, comme certaines années, je restais des jours dans mon garage en face du sien, je serais invité dans son salon, j’ai quand même déjà presque pactisé avec les chiens, c’est un bon début…

Mais la route m’attend ; la piste de Magadan. J’ai récupéré mes skis pour moto qui étaient restés au Baïkal depuis trois ans. Avec mes chaines reconstruites, si les pneus finissent par arriver, je semble paré pour affronter la piste.

Quand Maxim m’a amené, un petit camion partait dans l’autre sens avec, dans la benne, une grosse Béhème moderne toute cabossée. Max m’explique que c’est un motard de Saint Petersbourg qui s’est offert le même accident que moi. Ah bon ? répliquai-je curieux : il a lui aussi dérapé sur le verglas ? Mais non, évidemment pas ; lui c’est dans le sable… Putain le sable ; j’avais oublié que ça pouvait se trouver ailleurs qu’au Sahel… et le soir, pour meubler mon insomnie de jetlagué, je commence à angoisser sur le sable…je revois les gamelles, les pneus dégonflés, les embrayages en surchauffe… je m’attendais à la boue et je devrais retrouver le sable ? Je vais en faire quoi de mes skis, maintenant ? Les questions me submergent… alors, pour trouver la paix, je les retranscris minutieusement… et je prends mon temps ; comme ça, les moustiques viennent se poser un par un sur mon écran lumineux, et je suis sans pitié…ça calme…Demain sera, de toute façon, un autre jour…

Rencontre du troisième vol…


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Le troisième vol n’a pas manqué de panache non plus. Sur mon petit rang de trois fauteuils étriqués, on m’a installé à côté de deux énormes dames dont les bourrelets débordent de partout entre les accoudoirs. De grosses dames à l’air sévère qu’on ose pas déranger et qu’il est très difficile d’enjamber pour aller pisser. Jamais fauteuils d’avion ne m’a paru si petit. Aeroflot ne fait pas beaucoup d’effort sur les vols intérieurs. Les sièges ressemblent beaucoup à ceux dont on dispose sur les vols intérieurs français, c’est normal, on reste à l’intérieur, c’est juste une question d’échelle et de sens du confort… mais sept heures coincé entre les tas de graisse et le hublot, ça finit pas sembler terriblement long. Pour écrire, pour lire pour manger ou dessiner, le geste doit être mesuré au millimètre et pour ce qui est de tenter de changer de position, tiens, rêve donc, même le dossier n’est pas inclinable.

J’avais croisé avant de partir, un gars qui dressait encore de la Russie le genre de portrait bétonné de clichés qui finit par agacer.

Dès qu’on parle de ce pays, les mêmes poncifs ressortent ; la vodka, les déglingues, les infrastructures pourries ; le mec me parlait même de poules et de moutons dans l’aéroport…les clichés soviétiques ont la vie dure. J’y repensais d’ailleurs dans les navettes super modernes qui relient les terminaux de l’aéroport de Moscou et qui ont bien plus fière allure que les bus de Roissy. Il avait dû les rêver ses poules…Tiens, la prochaine fois qu’un russe me demande de parler de la France, je lui dirai qu’à Roissy, il y des moutons et des poules dans l’aérogare et puis aussi des zébus ou des ornithorynques, ça le fera rigoler !

Ceci dit, objectivement, dans ce Boeing 737, j’avais un peu l’impression qu’on avait recyclé les fauteuils des anciens Tupolev et je me disais que vers le nord, on retourne peut-être un poil en arrière…je suis ici pour prouver le contraire….

Maxim, le frère de Kyrul, m’attendait à l’aéroport. Je lui doit un milliard de remerciements de plus parce que, j’étais complètement dans le coltard et comme mes pneus ne sont pas arrivés, il m’a bien assisté pour remplir les paperasses…enfin, soyons franc, il s’est tapé tout le boulot.

Il m’a déposé au club où il n’y a plus de chat mais une vraie salle de bain, l’environnement est toujours aussi glamour mais j’ai déjà pu commencer à restaurer ma vieille monture…

airport blues


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Le processus continue… Trois vols doivent se succéder pour m’amener à Yakutsk… le premier a une demi heure de retard, le second sera sans doute à l’heure ; il va encore falloir courir, avec les bottes de moto aux pieds et le gros blouson sur le dos, ça ne va pas être simple, je risque d’avoir chaud. J’aurais dû demander l’assistance handicapé, ça simplifie les liaisons, mais ma cheville s’est très bien reconstruite, personne ne comprendrait ma flemme… je pourrais aussi prendre mon temps, me ménager au risque d’arriver trop tard et d’être reporté sur le vol suivant…mais comment vais-je récupérer mes bagages ?

Si le vol suivant a aussi du retard, ça simplifie le questionnement… couloirs interminables, contrôles, navettes, contrôles, le monde du transit est une humanité à part. Tous ce peuple en vacances qui devrait sourire d’insouciance, est submergé par le stress, l’angoisse de rater une correspondance, de perdre une carte d’embarquement ou ses papiers ou son pognon, ou son enfant et sa valise à roulettes. Tout ça est canalisé vers divers accès par un personnel blasé qui manipule ce flux comme une denrée anonyme, comme un bétail qu’on abat pas à la sortie… ce n’est d’ailleurs pas nécessaire, il est abattu tout seul par le décalage horaire …

Dans l’avion, on est encore loin des grands espaces. Sur quelques mètres carrés est entassé le même peuple stressé. Les genoux pas loin du menton, le passager doit s’occuper comme il peut, tenter de dormir, de lire ou de pianoter sur l’un ou l’autre gadget informatique. Il mange aussi, enfin il essaye. Si la grosse dame du siège de devant ne rabat pas brutalement son dossier en vue d’une tentative de sieste, il arrivera peut-être à manipuler quelques charcuteries élastiques, à se tartiner du fromage spongieux sans que tout le petit plateau ne se déverse sur son pauvre corps déjà bien mis à mal par la recherche de la position idéale.

Il paraît que tout ça contribue à huit pour cent des gaz à effet de serre…quand je serai tout seul sur ma moto, je me sentirai peut-être un peu plus rassuré…

La veille


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la veille, on peut se sentir légèrement oppressé…

Je pourrais être tenté de me laisser porter par l’image flatteuse du motard sillonnant en permanence les pistes chaudes ou froides de la planète, de laisser croire que rien n’arrêtera ma route infinie…mais pourtant, une fois la lassitude, la fracture ou la panne venue, je rentre à la maison… Ce choix d’alternative entre deux vies m’oblige, au moment des jonctions, de me fondre dans la masse exponentielle et mortifère du tourisme aérien.

C’est tellement l’extase de voyager seul sur des routes lointaines, d’arriver à la tombée de la nuit devant une petite douane perdue, c’est tellement plombant de se taper les queues d’aéroport, à l’embarquement, aux contrôles innombrables…

Mais juste après, le vieux canasson fidèle qui m’attend ne me réservera sans doute que des longues pistes boueuses ou poussiéreuse et puis de vraies pannes avec du métal qui fond, se tord ou casse avec fracas… je me réjouis d’avance…

par où? Vers où?


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Rien ne vaut le voyage lointain au départ de chez soi… Le baluchon sur la bécane, la clé sous le paillasson et c’est parti pour le bout du monde sans date de retour…

Mais je ne pars jamais pour l’éternité… un, deux ou quatre mois parfois, mais jamais plus… Au delà de quatre mois, cinq peut-être, on bascule dans une autre dimension qui fera basculer un voyage lointain en changement de vie. Je choisis le luxe de pouvoir traîner tout en rentrant régulièrement, osciller entre deux vies, ne jamais choisir vraiment. C’est une option intermédiaire qui ne manque pas d’attraits, elle m’offre le plaisir des retrouvailles et l’impression de m’immiscer progressivement dans l’ailleurs.

Mes voyages fragmentés m’offrent le temps de laisser le hasard me poser dans des endroits où personne n’aurait eu l’idée de poser quoique ce soit, pas même un regard… mais divaguer par intermittence exige des retours réguliers, des visas à tiroirs et des formalités douanières tentaculaires.

Et puis surtout, ça m’oblige à prendre l’avion …l’antithèse du voyage au long court , l’engin symbolique du tourisme de masse, le véhicule des hommes pressés…

virée apéritive énervante…


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Le but de cet échauffement était de me tester, moi, pas la moto ; de vérifier si, comme depuis toujours, la flamme de l’écriture se ravivait instantanément aux premiers virages.

J’ai donc rangé ma Thunderbird , ses légers bruits de transmission et ses cent cinquante trois mille kilomètres, aux archives au fond du garage, pour découvrir ce que j’imaginais être une moto moderne.

Il est vrai qu’elle est construite autour d’un concept à l’ancienne, un bon gros bicylindre sans radiateur, il y a des âges où ça rassure d’avoir des repères, des petites balises de nostalgie.

Les moyens de locomotion modernes c’est bardé d’informatique ; je n’ai rien contre, je ne suis pas un obsédé réactionnaire nostalgique du carburateur. Je comprends qu’il faut s’adapter, que la planète est en danger, qu’il faut polluer moins, mais malgré tout, je me pose des questions : à quoi servent-ils vraiment, tous ces capteurs  électroniques? La moto ne consomme pas moins que l’ancien modèle à carburateurs, mais quand arrivent les symptômes de ce que, jadis, j’aurais identifié comme une poussière dans le gicleur, plus moyen de démonter au bord de la route ; il ne reste plus comme option que la capitulation.

C’est l’électronique qu’on me dit partout avec un air désabusé… si l’électronique permettait des économies d’énergie, de pollution, de décibels, mais complotiste comme tous les vieillards, je me demande parfois si tout ça n’est pas une vaste arnaque capitaliste, une concession de plus lâchée au libéralisme triomphant : une obsolescence programmée pour laminer le recours au petit mécano de quartier. A la moindre pétouille, il n’y a  plus qu’une solution, l’agent exclusif et sa valise électronique.

Il y en a sûrement une de solution alternative, c’est pour ça qu’on aime la moto, c’est une secte où on trouve toujours celui qui connaît les solutions alternatives…mais je me pencherai là dessus à mon retour. Je vais laisser cette Moto Guzzi au fond du garage ; de toute façon, aucune inspiration n’est venue… l’ordinateur du tableau de bord m’envoyait tellement de messages alarmistes, qu’il fut difficile de rouler détendu .

L’inspiration m’avait lâché ; anéantie par l’informatique.

La répète…


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Un peu comme pour une répétition, je suis parti faire un tour pas loin de chez moi… le Massif Central, les Pyrénées, les routes du Sud, retrouver mes premiers émois, me replonger dans cette époque où j’imaginais la France comme un vaste territoire sauvage et hostile.

J’ai cassé la tirelire laissée en héritage par mes vieux parents partis pour leur virée définitive, leur ultime voyage, leur envol au pays des songes… ils avaient donc cassés leur pipes, tous les deux presque en même temps, solidarité ultime des couples à l’ancienne.

Ma sœur, mon frère et moi, on s’est retrouvé dans le camp des vieux et je m’étais toujours dit qu’ arrivé à cette étape de la vie, je m’offrirais mon dernier caprice, une bécane solide qui m’emmènerait jusqu’au bout de ma route…

Je me suis équipé du dernier gros trail bicylindre refroidi par air disponible sur le marché. Je trouvais ça sympathique, un bon gros moulin, de la vibration, de la moto Italienne comme on l’imagine, un truc vivant, plein de sensations.

On m’avait pourtant prévenu, une Moto Guzzi, c’est un style, il faut aimer les surprises, s’habituer aux facéties électroniques, mais en retour, on profite d’un machine généreuse en sensations… enfin, c’est ce qu’on m’avait dit ; un peu tout le monde, les journaleux, les puristes, les mécanos, tout ce qui gravite autour du petit monde de la moto…

Elle m’en a donné très vite des sensations, mais pas celles escomptées…

les questions sans réponses…


ptiluc1

Partir, repartir, s’enfuir, se retrouver, les fuir, les retrouver, les pays, les gens, la vie… personne n’arrivera jamais à trouver les mots juste, chacun ira de sa petite formule alambiquée et moi, éternellement, je me repose les même questions en sachant que là-bas, tout au bout, de l’autre côté, à chaque fois j’irai un peu plus loin et à chaque fois je trouverai une petite parcelle de réponse…