Barracuda


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Vu comme ça, l’essai sur la  route, on aurait pu y croire ; sortir du hangar pour quelques kilomètres dans la ville, sous le soleil de la fin d’été, c’était bien finalement, mais les goujons ne veulent pas se laisser dompter comme ça, il y en a toujours un plus rebelle que les autres qui veut s’échapper de son trou entrainant avec lui toute la culbuterie et provoquant des bruits et des suintements qui ne donnent pas du tout envie d’insister sur la poignée de gaz. Pour oublier cette défaite infâme, je suis allé m’occuper de la douane, me mettre en règle avec la bureaucratie pour que, quoi qu’il advienne, à Barnaul, Irkutsk ou Vladivostok, la moto puisse rester un an de plus sur le territoire Russe.

Sergeï et Sacha, les rois de la clé à molette, vont me fabriquer un insert à la soviétique… Fini les goujons, on passe au barracuda, je ne sais pas si l’aluminium du bloc moteur résistera, mais ce sera la poiscaille de la dernière chance… https://youtu.be/mPJXOKQpoDk

Voir la sortie du hangar…


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Non, irrémédiablement non, quoi qu’on puisse penser depuis mon départ, les jours se suivent certes, mais ne se ressemblent pas complètement. Oui, c’est vrai, je dors toujours sur un canapé un peu trop dur et trop court avec des accoudoirs en fer et un gros oreiller bien compact, dans un bureau en chantier. Le matin je vais sur Internet  dans le bureau des secrétaires après avoir pris mon petit déjeuner…Par exemple, là, il y a un changement, j’ai réussi à faire comprendre à Tania que les saucisses avec des frites grasses, le matin, ce n’était pas pour moi. Elle me laisse désormais préparer ma tambouille tout seul ; mes œufs, mes céréales avec des fruits frais, mon pain perdu moelleux et caramélisé… Ensuite, après la pause au secrétariat, je file au hangar pour y passer la journée et, à force, ce rythme soutenu a porté ses fruits car après juste une semaine, mais sept jours quand même,  la moto a redémarré. Tout n’est pas parfait ; moteur qui hurle, essence qui pisse, je coupe tout ; il va y avoir des corrections à faire. Tension des câbles, flotteurs de carburateur,  un petit coup de démarreur et là c’est le bonheur ; tout tourne rond, presque velouté, je n’ai plus qu’à faire un essai sur la route. Ou demain, peut-être… après une semaine ensoleillée passée dans le hangar, il a suffi que je presse le bouton du démarreur pour que ciel s’éventre et lâche des trombes d’eau sur Barnaoul.

les jours passent, les trams aussi et l’automne arrive…


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Un jour de plus dans le hangar mais il a bien fallu me rendre à l’évidence, je ne suis pas un champion du filetage…sur les six, j’en ai foiré un, juste un, mais ça suffit pour faire couler l’huile à flots puants et continus. Roman m’a très vite trouvé un spécialiste de l’usinage qui m’a rattrapé le coup…montage, démontage, remontage, on y arrivera, maintenant je le sais et pour fêter ça je me suis offert une folie ; une  nouvelle virée en tram, c’est tellement formidable l’avenue Lénine en fin de journée, les petits vendeurs de pommes et de framboises devant la gare, les blonds qui font la compette de celui qui a la décapotable qui décapote le mieux devant les bistrots chics du centre ville, je n’ai pas pu résister à me plonger dans toute cette folie de fin d’été Sibérien. https://youtu.be/8hrlvOxskP0

sortie en ville


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Hier soir j’ai reçu la visite de Pierre et Macha…Il est français, elle est russe, ils sont jeunes et en vacances dans la famille. Il est tombé sur mon blog en tapotant Barnaul sur son clavier…il y a tellement de gens qui s’intéressent à Barnaul que quand on fait une recherche sur cette ville, on tombe sur moi ! Il m’a donc contacté et grâce à lui j’ai pu, après avoir pris une douche chaude, découvrir par quel tram il y avait moyen de quitter l’univers carcéral de mon entrepôt de mécano pour découvrir que Barnaul n’était pas qu’une zone industrielle. Je le savais déjà, mais il faut avouer que je commençais à l’oublier, après une semaine à boulonner. Pour clôturer une nouvelle journée relativement infructueuse, j’ai donc pris le tram numéro Un qui, pour dix sept roubles bien tassées, à peine vingt centimes, m’a emmené au centre ville sur l’Avenue Lénine, (ça c’est une constante) , je suis descendu faire quelques emplettes  et ce petit changement m’a littéralement rempli de bonheur et d’optimisme, je me suis dit qu’on finirait bien par trouver le mécano miracle qui saurait comme bloquer l’unique et ridicule filetage qui m’empêche toujours de reprendre la route. Demain est un autre jour et avec mon visa d’un an, je ne suis pas trop à la bourre…un an à Barnaul, qui n’en rêverait pas ?

Dactylo rock


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Le matin, je vais toujours poster mon billet du jour au secrétariat, ce n’est pas trop désagréable  pour commencer la journée. Les secrétaires se ramènent toujours avec des petites robes estivales très coquettes; enfin surtout Zina et Ylyena qui bat ses deux collègues  en passant réajuster sa coiffure devant le miroir entre chaque coup de fil et même aussi pendant, on ne sait jamais, des fois qu’elle ait perdu ses cheveux, il vaut mieux vérifier. Amina c’est pas le même style, mais elle doit être chef parce qu’elle a un bureau à part et moins de temps à perdre devant le miroir. Après ce petit bol d’insouciance, je plonge dans les ténèbres à la recherche d’une moto à reconstruire…je traverse les couloirs sombres, je longe les vieilles portes en ferrailles cabossées…mais qu’y t’il donc derrière tout ça…. ? https://youtu.be/U-5SA8K4NKQ

Sémantique du couple et des petits goujons.


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En mécanique, certains termes finissent au rayon boulonnerie en suivant un parcours qui m’échappe. Prenons par exemple le couple ; tout le monde sait ce que c’est le couple: on parle de sa fusion, de son moteur, de ses vibrations puis de son éclatement, de sa rupture; termes complètement garagistes, on en conviendra. Le couple en mécanique, je n’ai jamais su ce que c’était vraiment ; une sorte d’équilibre parfait qu’on chercherait avec un certain régime à trouver, à sentir, avec doigté et intuition ; ce couple, donc, qui n’est donc pas du tout matrimonial, demanderait-il les mêmes finesses en technologie moteur qu’en sociologie amoureuse? D’autres termes sont moins poétiques ; prenons par exemple le goujon ; il me donne du fil à tordre ce goujon, mais pas du fil de pêche. Bien que, comme le couple, je sois obligé de le tarauder, ce petit poisson-là m’a bien rempli la journée que, pourtant, j’ai passée dans un entrepôt et pas au bord d’une rivière de montagne. Pas les pieds dans l’eau, juste encore les mains dans le cambouis…Le goujon, qu’on aurait pu appeler l’ablette, le gardon ou l’épinoche, c’est une longue tige filetée qui sert à tenir le cylindre sur le moteur ; il y en a huit sur ma machine et pour chacun d’entre eux, il fallait usiner, remodeler, refileter les petits trous dans lesquels, idéalement, il faudrait les trouver solidement ancrés.   A la fin à la journée, j’ai eu l’impression que j’avais à peu près réussi l’opération complexe mais je ne saurai vraiment que quand je pourrai appuyer sur le démarreur…

Le temps suspendu du boulon de treize.


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Entre deux séances de mécanique, je fais quelques esquisses ; ça change un peu de dessiner des secrétaires pomponnées, mais les interminables épreuves qui jalonnent la reconstruction de mon vieux destrier me donnent le vertige  quand arrive la fin du jour. Heureusement, Maxim, qui doit passer des vacances très loin d’ici, a donné d’innombrables consignes pour que je sois soutenu dans l’effort et que je ne lâche pas prise. Il a vu ma monture arriver dans un camion, la nuit, sous la neige, il y a quelques mois et je crois qu’il compte l’admirer vrombissante quand elle reprendra la route en plein soleil. Il faut bien avouer que de loin, on dirait qu’elle  reprend forme…mais de là à reprendre vie…

Spiderman et moi…


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Mes voyages ont souvent commencé par un stage de mécanique mais jamais dans ce cadre insolite de retraite constructiviste. Le matin, je me lève et je me débarbouille à l’eau froide dans les toilettes de l’étage, avant que n’arrivent les travailleurs et les travailleuses qui s’installent dans les bureaux. Les dames sont pomponnées et les messieurs beaucoup moins ; La dizaine de portes en plastique, imitation bois précieux, abritent diverses activités , mais je suis le seul pensionnaire. Le matin, je prends mon petit déjeuner, seul dans la grande salle vide, c’est Tania qui s’occupe de tout ça, comme je suis tout seul, elle veut me gâter;  si je lui demande un œuf, elle m’en fait dix et elle est trop contente si je fini mon assiette, alors j’essaye de ne pas la décevoir. Il y a un vidéoprojecteur dans la salle géante et au programme c’est toujours Spiderman…je ne sais pas combien il y en a eu des films de Spiderman, mais avec un par jour, je ne vais pas tarder à devenir super spécialiste de l’homme araignée en version russe,  je pourrais même écrire une thèse sur lui, si je n’avais pas une moto à reconstruire. De ce côté-là, malgré quelques frayeurs mécaniques, j’avance à petits pas fermes ; j’ai changé l’embrayage et démonté la boîte de vitesses pour remettre des pièces que j’avais explosées l’année dernière :  jusqu’ici, je n’ai pas fait de grosses erreurs… si je  continue comme ça, je pourrai bientôt partir en voyage. Ce serait dommage de casser une pièce de rien du tout, mais bien sûr introuvable ici, et de rentrer chez moi…T’as fait quoi cet été ? Je suis allé à Barnaul passer dix jours dans un entrepôt, les mains dans le cambouis en regardant Spiderman et puis je suis revenu, c’était trop bien… Non, ça ne va pas du tout ; demain, je reconstruis la moto  pour partir très loin.

la vie au bureau


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Je dors dans un canapé un peu dur qu’on m’a installé dans un bureau vide. Cet endroit est étrange ; un vieil immeuble en brique planté dans un environnement hétéroclite mais quand même bien post industriel, ici on appelle ça « constructiviste » ; dans ce bâtiment, il y a des bureaux, des locaux techniques, des entrepôts, des cuves, des tuyauteries, une grande cantine-salle des fêtes où je prends mes repas…je n’arrive toujours pas à comprendre si les bureaux font partie d’une même entreprise ou si ce sont des locations séparées, il faudra que je me renseigne, mais en même temps, ça n’a aucune réelle importance. Sur le côté, il y a le hangar où m’a moto désossée jusqu’à l’épure, espère un jour reprendre la route et  derrière les barbelés, c’est une usine mécanique qui fabrique des trucs pour l’armée…  
il y a souvent en Russie des usines qui fabriquent de trucs pour l’armée, mais c’est comme pour les bureaux, je ne sais pas vraiment ce qu’on y fait, sauf que je m’en fous moins, parce que vu l’état de l’usine, je préfèrerais que ça ne pète pas tout de suite. En sortant de mon hangar pour traverser la cour, j’ai croisé une autre activité du secteur : une camionnette qui déchargeait des têtes de vaches. Le gars qui s’occupait de ça avait un tellement petit front que je l’ai presque confondu avec les têtes de vaches. J’ai pas osé lui dire bonjour, j’ai eu peur qu’il me morde. Dans les arrière-cours, c’est un peu comme dans les villages en bois des campagnes boueuses, on y rencontre parfois des humains d’une espèce plus vraiment humaine, ils sont toujours vêtus d’un subtil mélange de tenue camouflage et de survêt à rayures, c’est pas très élégant, mais bon, c’est un style. Le style avec lequel on a pas trop envie de faire la causette. 
Pour démonter la boîte de vitesse, il faut un chalumeau, alors on m’a prêté un engin chinois, un petit brûleur façon camping gaz mais qui s’éteint tout le temps et crache autant le feu par devant que par derrière. J’ai dit à mon nouvel ami du hangar dont je ne connais pas encore le nom que c’était pas terrible comme matériel. Il m’a dit que pas de problème et dix minutes après, il est revenu avec un truc gigantesque qui crachait le feu comme un vrai lance flamme;  là, elle a eu son coup de chaud ma boîte. C’est comme ça en Russie, on trouve toujours des solutions à tout, on aime l’industrie lourde et on sait faire avec !

retour à Barnaoul…


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Serguei a fini par arriver. J’avais réussi à retrouver le numéro de Maxim en passant évidemment par Vitali, à Moscou. Une fois le lien rétabli, ça n’a pas été long .Vitali c’est mon pote sidecariste de Moscou qui arrive toujours à démêler mes problèmes sur tout le territoire, Maxim, c’est le meilleur ami de Vitali, qui m’a stocké mon épave l’année dernière, Sergei c’est pas le Sergei de l’an dernier,  il y a beaucoup de Sergei en Russie, c’est Maxim qui me la dit, mais je l’avais déjà constaté tout seul… Il est donc arrivé à l’hôtel et m’a amené tout de suite me montrer que la moto était bien rangée, prête à toute intervention chirurgicale dès qu’on aura retrouvé les clés du local où sont entreposés mes outils. Aujourd’hui c’est dimanche, il ne faut pas s’affoler, je vais me reposer et marcher un peu…Je retrouve mes repères russes…Les tramways brinquebalants, les immeubles soviétiques, les maisons en bois et les portes en plastique ;  en extérieur comme en intérieur, ici on aime la porte en plastique.

Retour discret à Barnaul…


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Petit matin de fin d’été, à Barnaul. L’avion se pose, on débarque sur la piste, il fait un peu frais et légèrement brumeux, il souffle un petit vent d’automne qui donnerait presqu’envie de reprendre la route…mais la moto est quelque part dans la ville, éparpillée en petits morceaux dans le sous-sol où je l’ai soigneusement démontée l’année dernière ; le problème c’est que je ne connais pas l’adresse. Aurais-je pris un peu trop l’habitude d’avoir toujours quelqu’un de providentiel dès que je me pose en Russie ? Il n’y avait personne cette fois-ci ; un dimanche du mois d’août au petit matin, c’est assez normal. Un taxi clandestin m’emmène au centre ville, j’essaye de réactiver ma mémoire visuelle, mais dans ces villes russes qui se ressemblent tant, c’est mettre la barre un peu haut…Je n’ai plus qu’à me poser dans un hôtel, y attendre que s’écoulent quelques heures pour réactiver l’un ou l’autre contact qui doit encore dormir profondément.