Mörön


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Au petit matin, l’air est vif et le soleil brûle déjà, on a le plaisir de cette sensation étrange uniquement dans les déserts et les hautes montagnes.  La Mongolie, c’est un peu les deux à la fois. Je suis allé, dès le lever du jour, vers le « black market » où, paraît-il, je devais trouver tout ce que je cherche. Le black market c’est un mélange de hangars en béton, de cabanes en bois et de containers ; on y trouve surtout de la nourriture et  on n’aime pas les photographes, surtout au rayon viande. Il y est plus facile de dégoter un quart de bœuf que de la colle à métal mais en déambulant au milieu de tous ces étals aux odeurs puissantes, en se faisant indiquer la direction à prendre  à chaque hésitation, on finit toujours par trouver quelqu’un qui parle anglais et qui pourra enfin filer  le bon tuyau, la petite cabane planquée de celui qui vend de la résine composite chinoise dont l’odeur me rappelle étrangement le cabinet de mon dentiste…Mörön est un  peu plus agréable qu’Ulaangom, une grandes artère ornée de lampadaires très élégants quoiqu’un peu alambiqués, des grands squares un peu poussiéreux entourés d’immeubles officiels plus ou moins kitsch ou totalement soviétique, des statues de Gengis Khan au milieu des ronds point, on y voit déambuler toute une jeunesse en costume d’étudiants, accrochée à ses téléphones comme partout ailleurs. Mörön sent le centre administratif, la ville qui a son importance, même si elle se traverse en quelques minutes.  J’ y fais réparer mon téléphone ; c’est que moi aussi, comme cette jeunesse en uniforme, je suis devenu dépendant de cette verrue en alu brossé. La mutation du siècle ne m’a pas loupé…

Dernière longueur de piste


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Il ne restait que quatre vingt kilomètres pour arriver à Mörön, sur une piste avec mention \ »route nationale\ », le risque de se perdre était dérisoire, il me fallait juste gérer le trou dans le moteur. Je me suis levé à l’aube, la somptuosité de ma chambre n’incitait pas à la grasse matinée. Le gérant, appelons-le comme ça, était déjà debout. Il ne réside pas dans l’établissement, on peut le comprendre. Comme il devait aller, en camion, livrer quelques vaches à la ville, il m’a laissé un cadenas et demandé de verrouiller la porte en partant. J’ai donc commencé à nettoyer le moteur à l’essence puis scotché consciencieusement un pansement sur la plaie béante du moteur et je suis parti comme ça, en priant tous les Bouddhas de Mongolie, qu’il n’ y ait pas de passage à gué sur cette route. Très vite je me suis rendu compte que ça se décollait mais il venait de l’intérieur du moteur une aspiration qui maintenait vaguement la compresse. Après vingt bornes, le trou s’est retrouvé à l’air libre mais finalement peu d’huile s’en échappait, j’étais en train de me demander combien de temps je pouvais tenter ma chance quand un tangage bien connu mais toujours malvenu vint me rappeler que sur les pistes caillouteuses, il faut toujours prévoir les crevaisons. Après avoir maudit ma race et, par delà, la race de la race, je me suis calmé ; réparer une crevaison ce n’est pas si grave, j’arriverai juste un peu plus tard que prévu sous la douche. Quand un minibus s’est arrêté pour savoir si tout allait bien, je ramais à décoller le pneu de la jante, j’avais fait retomber la moto et je commençais à désespérer un peu. Ils sont sortis de la bagnoles, quatre lascars rigolards qui ont voulu prendre les choses en mains tout de suite… et pendant que deux s’activaient fébrilement sur la roue, les autres me servaient quelques coups de vodkas accompagnés de nouilles aux oignons. Ils étaient bien excités de voir la moto redémarrer, quant à moi, légèrement bourré, je me disais qu’il ne fallait surtout pas me vautrer une fois de plus. Je suis tranquillement reparti en évitant soigneusement les cailloux sailllants pour arriver à boucler cette putain d’étape jusqu’à Mörön. Des touristes Coréens hilares m’ont croisé un peu plus loin, ils voulaient faire des photos, savoir d’où je venais… ils sont repartis, leurs rires tonitruants et le gros moteur de leur tank à pneus résonnèrent longtemps dans la vallée, puis le calme est revenu…et moi, j’ai continué mon petit chemin avec une légère ivresse qui me donnait l’impression de survoler les bosses… sauf pour les dix derniers kilomètres, là elles étaient terribles les bosses ; quand toute les pistes parallèles se rejoignent pour une entrée de ville, c’est toujours l’horreur. Je suis arrivé au centre. Autour du seul carrefour avec feux de la ville, il y a trois hôtels du même calibre. J’ai visité les trois, j’ai choisi celui où l’hôtesse d’accueil était la plus souriante…elle souriait d’ailleurs beaucoup moins quand elle a vu la flaque d’huile que j’avais larguée sur le sol de son garage. J’ai remis la moto dehors et elle m’a vite pardonné…Après une énorme soupe pleine de légumes, de viande et d’épice brûlantes, et une pause aux toilettes parce que j’ai un problème avec les épices brûlantes, je me suis effondré sur le plumard, hélas un peu trop dur, mais je devrais m’y remettre d’aplomb quand même …