Bilan matériel et fin de parcours


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Outre la Mutuelle des motards qui m’a bien aidé à repartir et puis aussi à revenir, ce qui n’est pas la moindre chose, il faut que je remercie aussi Furygan dont j’ai perdu les gants mais qui m’a permis de découvrir qu’avec des manchons et des poignées chauffantes, on pouvait traverser la Yakoutie en automne sans se geler les doigts avec juste des gants d’été à petits trous ventilés, et Tecnoglobe qui gère magnifiquement les accessoires électroniques de voyage et la gestion de mon blog à distance. N’oublions pas les casques Nolan dont le modèle n40-5 GT, remplace avantageusement le N71. Les fixations de son écran et ses joints d’étanchéité sont plus résistants et l’ajout d’une visière évite l’effet de serre à travers l’écran. De plus la mentonnière se clipse et se déclipse mille fois mieux que sur le modèle précédent. Les pneus Continental TKC 80 se tirent d’affaire sur tous les types de piste, sable, boue, terre meuble ou cailloux…ils atteignent leurs limites dans les gros bourbiers, mais il faut bien reconnaître que la BMW 100 GS, quoique plus légère qu’il n’y paraît, n’est pas vraiment une machine de cross. Avec son freinage indigent et son éclairage de mobylette, elle reste la seule moto qui peut rouler des milliers de kilomètres avec un faisceau électrique en lambeaux et la seule aussi à pouvoir être démontée au bord de la route avec la trousse d’origine … mais à quoi bon encenser un modèle qui n’est plus fabriqué depuis vingt ans mais qui finira, pour sûr, exposé comme une merveille archéologique, témoin des temps héroïques de la moto, si un jour j’arrive à la ramener au pays…

Et je me retrouve finalement dans le parcours des aéroports, des décalages horaires, des hôtesses de l’air blasées, des voisins de fauteuils qui racontent leurs voyages touristiques si merveilleux, des plateaux repas, des crampes dans les jambes, des heures d’attente entre les vols, du sommeil laminés en micro-siestes contorsionnées … et puis, après tout ça, du retour à la vraie vie.

J’ai aimé une fois de plus n’être personne au milieu de rien…juste un grain de poussière, comme disait Jacques, un grain de poussière de plus sur la piste de Magadan…

Généralités sur la route de Magadan


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Sur cette route assez peu touristique, je n’ai rencontré, ma foi, que des gens fort aimables, même si parfois ils pouvaient inquiéter un peu. Ils aiment les français, surtout Pierre Richard et Djodassine et puis ils connaissent bien la France qui comprend généralement deux villes, Marcel et Parich. Pas un seul contrôle, d’ailleurs j’ai bouffé la moitié des deux mille bornes sans plaque d’immatriculation. Au début de la piste, deux cent kilomètres plutôt boueux après les averses, il faut choisir son créneau météo.


Une centaine de bornes sableuses avant le bac sur la Lena, pas beaucoup de postes d’essence entre Kandhiga et Sushouman, après ça s’arrange. Cent kilomètres d’asphalte à la fin du parcours, pas un seul motel entre Yakutsk et Magadan ; je pourrais écrire le guide de la Route des Os par la route fédérale. Pour celle de Tomtor, je laisse les initiés consulter les articles de David Zimmerman ou les films de Ewan Mac Gregor…On m’a d’ailleurs rappelé que notre chevalier Jedi était accompagné de plusieurs voitures « tout terrain », d’un camion à six roues motrices et d’une ambulance. Je devrais lui demander de me les refiler pour remonter vers la Tchoukotka. Entre collègues, on pourrait se rendre service…

Retour à la case départ


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Yakoutia Airlines. Un vol de deux heures, pour rattraper deux heures de décalage et qui décolle avec deux heures de retard, il y a de quoi se perdre dans l’espace temps… je me retrouve dans le club de moto du jour de mon arrivée ; on m’a laissé la clé dans le cendrier du porche d’entrée, au milieu des mégots. Je m’imaginais roupiller et repartir discrètement mais c’était sans compter sur le zèle des deux frères, Maxim et Kyriul. Les voilà qui débarquent avec l’arsenal habituel de la soirée arrosée: vodka, jus de fruit, lard et champignon, il paraît qu’il n’y a rien de mieux que les champignons à l’ail pour éponger et tenir le choc des toasts.                   Au petit matin, j’ai quand même pris un Doliprane, c’est moins naturel, mais ça a fait ses preuves. J’ai ensuite appelé mon chauffeur de taxi de l’année dernière, celui qui vendait des diamants sous Elstine et qui est devenu taxi ensuite, celui qui parle si bien le français. Trop heureux de me retrouver en bonne santé, il m’a emmené faire un peu de tourisme et m’a offert la course…De quoi réviser une fois de plus mes préjugés sur la picole russe et les chauffeurs de taxi… quoique je ne sois pas certain de trouver la même humanité dans un taxi parisien…

Les églises colorées…


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Quand toute une région s’est construite sur l’industrie lourde, le bagne et la déportation, les lieux sacrés sont restés une abstraction, une autre dimension, une vague fiction… Après la disparition de l’union soviétique, beaucoup de villes se sont éteintes mais les églises ont poussé comme des champignons colorés… à part celle de Magadan, qui est gigantesque, dans les autres villes, elles ressemblent plutôt à des jeux de construction pour enfants… les églises playmobils ont poussés un peu partout, mais je n’ai pas pu aller vérifier si dedans il y avait des petits popes tout aussi multicolores…

La moto est dans son garage chauffé; si il n’y avait pas qu’un seul vol hebdomadaire pour Yakutsk, je serais déjà reparti…Les jours de beau temps, j’ai sillonné les parcs, les avenues et le front de mer ; les jours de pluie, les marchés couverts et les musées. La neige n’est toujours pas arrivée et mes skis de moto non plus. Ils me suivent à distance, ils vivent leur vie indépendante de ski de moto en fer. Il paraît que pour arriver à Magadan, ils sont partis à Vladivostok en camion et ensuite qu’ils remonteront vers le nord en bateau. Ils ont, comme moi, un sens très approximatif du raccourci mais quelle importance puisque cette année, la neige aussi prend son temps. Ils en auront vu du pays, dommage qu’ils ne puissent pas raconter… Quant à moi, je suis finalement prêt à quitter Magadan…

esprit, es-tu là?


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A l’étage du premier musée, il y avait aussi une grande salle consacrée aux goulags… toutes ces photos de visages oubliés, ces gens qui se sont retrouvés là sans comprendre pourquoi, leurs papiers, quelques souvenirs, leurs outils de mineurs… il s’est passé des choses terribles à Magadan mais seul mon mécano du premier jour me parlera du malaise de vivre dans cette ville née par le bagne et les déportations. Presque tout le monde ici serait donc descendant de quelqu’un qui aurait survécu…Il n’y avait dans ces trois baies, il y a un siècle, que quelques pécheurs tchouktches… sont-ils tous descendants de ces trente années de misère, les gens que je croise dans la rue, les motards, les vendeuses de cartes sim, les vendeurs de pièces détachées, les conducteurs de bus ou de bulldozers ? Seul, le guide du musée de Seymchan m’avait raconté que son grand père était un artiste déporté, un ancien zek… Pour les autres, je n’en sais rien… un demi siècle, c’est une éternité… les ados qui pianotent dans les squares peuvent-ils seulement imaginer qu’à l’époque, personne n’avait la 4G ?

A l’entrée de la ville, sur une colline, pour ne pas complètement oublier, on a édifié le monument du souvenir, « le masque de l’affliction »… De loin, sur le côté, il ressemblerait presque à un immeuble de plus… mais de face, on découvre un étrange visage stylisé qui pleure d’autres visages… dans son dos, une sorte de crucifié sans tête aux pieds duquel pleure une femme, à l’intérieur, une cellule de prison et tout autour les signes de toutes les religions, les noms des bagnes de la Kolyma…et au milieu de tout ça, comme un faune fauve, un feu follet, sans un bruit, comme une apparition furtive, un petit renard roux sillonne fantômatiquement la colline à la recherche de quelques reliefs à grappiller après le départ des visiteurs. J’attendrai que tout le monde soit parti pour que vienne me visiter l’esprit de la forêt…

les mammouths au musée


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Egeniy m’avait raconté qu’au musée, on pouvait voir un pied de mammouth qui, jusqu’à il y a peu de temps, était conservé dans l’alcool. Régulièrement, il fallait changer l’alcool et quelques initiés privilégiés avaient le droit de déguster quelques gouttes d’alcool de mammouth. C’était, paraît-il, absolument dégueulasse mais qui aurait refusé le privilège de tester un tel breuvage? Depuis peu, l’alcool a été remplacé par du formol et plus personne ne déguste. Je me suis donc rendu, curieux, au musée. Pour une somme dérisoire, on accède aux trois salles habituelles, joliment agencées ; les peuples anciens avec ses pointes de flèches, la géologie avec ses jolis cailloux et la nature, les insectes, les plantes séchées et les animaux empaillés. Il y a bien quelques défenses de mammouths et de rhinocéros laineux, quelques bouts de peau momifiée et un moulage du bébé mammouth retrouvé intact dans le permafrost ; mais où est donc le breuvage magique ? Evgeniy m’expliquera le lendemain qu’il y a un autre musée à l’institut de géologie. J’irai donc visiter ça le lendemain…Ce musée-ci n’a pas été refait depuis longtemps et l’accès est étonnamment cher. On doit remplir des formulaires, donner son passeport et ne visiter qu’accompagné d’une personne assermentée qui ouvrira les salles les unes après les autres et les refermera consciencieusement derrière… trois salles, mais, à part quelques pointes de flèches, uniquement des cailloux…sauf au fond de la première. Une sorte de jambon de Bayonne croupit dans un liquide pisseux : le morceau de mammouth. Difficile d’être ému devant ce bout de bidoche macérant dans sa mare, mais bon, c’est le seul bout de mammouth au monde, dedans c’est plein d’ADN et peut-être que c’est ici que naitra le Jurrasic Park sibérien. En attendant, une grosse dame, fort aimable mais pas polyglotte, me fait visiter les autres salles ; sur la porte de la troisième, il y a même des scellés et on doit mettre des chaussons. Je suppose que dans toutes ces vitrines, il y a des choses tellement inouïes que le moindre géologue amateur s’en évanouirait de bonheur, sans doute aussi que c’est ce qui justifie le prix ; l’accès au Graal du géologue …mais pour moi, ces minerais rares, ces pépites géantes, ces cristaux colorés, ces bouts de météorites, ce n’est qu’une succession de cailloux…alors je ne m’attarde pas trop et je retourne au marché central m’acheter des baies de la forêt…

Magadan au bord de l’eau…


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Magadan est construite près de trois grandes baies sur la mer l’Okhotsk qui sépare le continent de la péninsule du Kamtchatka. La ville est abritée des vents marins par une légère colline qui empêche de voir la mer depuis le centre, mais elle ne s’offre aux regards que quelques centaines de mètres plus loin.
La baie la plus proche se termine sur la droite par le port de commerce avec la file de poids lourds et les containers et sur la gauche, le port de pêche. Au centre, un sorte de promenade aménagée au bord d’une plage de galets, une grande statue d’orques et une autre de mammouth… derrière, quelques maisons en bois, quelques barres d’immeubles et des terrains broussailleux. Après la promenade aménagée à côté de la statue et trois épaves de bateaux, s’enfonce dans l’eau un débarcadère en bois d’un autre temps. Combien sont-ils de bagnards et de déportés a avoir foulé ce ponton de transit vers les mines du Nord ? Derrière ce ponton à la sinistre mémoire, une grande plage caillouteuse au pied d’une falaise de sable au dessus de laquelle quelques maisons en bois, parfois en ruines, font face à la baie. Quand je lui demandais pourquoi on ne construisait pas plus face à cette vue imprenable, Evgeny me répondait que c’était terriblement compliqué, long et cher, toutes les formalités pour pouvoir construire. Mais pourquoi personne ne rachète les maisons en bois abandonnées? mystère…
Ce quartier est étrange, comme souvent, s’y mèlent potagers et poubelles, containers et petites maisons, épaves de bagnoles et herbes folles…

L’autre baie est un peu plus au nord, c’est la plage du dimanche et le coin des résidences chics, celle du repas dominical que je continue lentement à digérer. En face on voit derrière la mer les sommets des autres péninsules lointaines, là où aucune route ne va, le coin des ours, des orques et des lions de mer…

Pêche de brute…


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Evgeniy, qui va garder ma moto cet hiver, m’avait, dès qu’on s’est rencontrés, parlé des eaux si poissonneuses de la mer d’Okhotsk. Les peuples installés ici avant l’ère Soviétique ne vivaient que des bienfaits de la mer. Phoques, baleines, crabes géants, poissons… Evgeniy, avec lyrisme, m’avait conté des pêches incroyables qu’il avait pu faire en mer comme en rivière, le goût incomparable du caviar rouge dégusté cru au bord de l’eau. Quand il m’a proposé une partie de pèche dominicale, je me préparais à affûter mon harpon, à chausser des cuissardes dans les torrents où j’allais devoir disputer le saumon aux grizzlis affamés. Avec sa famille, Nina, Vadim, Eleonora et belle maman, armés de sacs plastiques, nous sommes allés à la pêche aux moules.Tel de farouches vacanciers bretons, nous avons visité la marée basse sur la troisième crique accessible, puis une fois terminée la moisson de baies rouges et de coquillages noirs, nous sommes allés de l’autre côté des trois baies, chez des amis de la famille, pour un repas dominical que je n’aurai sans doute pas fini de digérer à Noël… Beignets et galettes de saumons, calamars panés, salades diverses, patates du jardin puis blinis, baies de la forêt et gâteau au chocolat, le tout arrosé de vin moelleux de Crimée, je me croyais repu pour des temps indéterminés. Mais ça, c’était le repas de nos hôtes… Evgeniy enchaîne à son tour, avec les moules du matin et quelques rôtis de porc au barbecue : c’est reparti pour un tour… La maison de ses amis surplombe la baie, dans quelques semaines, m’a t’il dit, tout sera gelé et recouvert de neige d’un bout à l’autre…et moi j’aurai peut-être digéré..

vénère à l’Hôtel Vénéra


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En attendant le vol hebdomadaire qui me ramènera à Yakutsk, je reste à l’hôtel Vénéra. Après quelques jours et un dessin sur le frigo, dans ce lieu de passage, je suis devenu le vieil habitué. Mais l’hôtel s’est rempli et je me suis retrouvé avec un chauffeur rustique dans mon petit havre de paix. Ce fut donc une première nuit avec boules Quies enfoncées jusqu’à l’hypothalamus, pour fuir raclements, reniflages, ronflements et films de guerre à la télé…quand est arrivé, pour la nuit suivante, un second rustique à l’haleine fétide et au regard en ruine comme un village sibérien, j’ai imploré la réception de me trouver une solution de secours… je n’ai rien contre la cohabitation mais pas avec ces deux-là; trouvez-moi des artistes, des intellectuels voire des jeunes filles, mais pas de la subhumanité brute de décoffrage ; je n’ai plus la force. Alors, on m’a compris et mon vœu fut exaucé ; pas pour les jeunes filles, mais je me suis retrouvé dans une chambre avec un seul lit et une douche pour moi tout seul…

les routes vers le nord…


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David, l’enduriste suisse, m’avait envoyé le contact de Pavel III ; Vitali toujours disponible depuis Moscou, celui de Alexei, du Motokloub de Magadan et Olga, de l’université de Blagovenchtcheng, celui de Evgeny… Pavel semble être dans l’import-export de pièces de bagnoles et il m’a trouvé où réparer la moto à peine arrivé. Alexei roule en gros custom et travaille chez Caterpillar, il connaît assez bien les leçons à tirer des déboires des
différents motards venus ici pour se lancer à l’assaut du grand nord. Ceux qui ont fait demi tour après quelques dizaines de kilomètres ; ceux qui ont appelé des secours… Il sait aussi comment se procurer des cartes précises et précieuses.

Evgeny , travaille dans la joaillerie, dans ses bureaux souterrains et parfois inondés, il coule des lingots et incruste des morceaux de pépites dans des sertissages dorés, il a un garage chauffé qu’il n’utilise pas et, en plus, il connaît des chauffeurs qui prennent régulièrement les routes du Nord…

Pour grimper vers le Tchoukotka, il y a trois accès, deux routes d’hiver, celle dont j’ai découvert le début, près de l’étape sur le pont et une autre plus à l’ouest , qui part de Omuskchan qu’on rejoint par une route en terre normale… enfin, normale l’été. Les « routes d’hiver » ne se pratiquent pas l’été parce qu’il y a énormément de rivières et pas le moindre pont, mais l’hiver on y va pas n’importe comment. Les camions qui s’y aventurent ont des réservoirs énormes, six roues motrices et ils n’éteignent jamais le moteur, sinon, ça ne redémarre pas. Aucun autre véhicule ne passe, quand il y a du vent, on me raconte qu’il y a des congères de deux mètres de haut. On ne sort jamais du camion et beaucoup de chauffeurs ont, parait-il, laissés quelques doigts sur la piste ; ça fait rêver. Entre les deux routes d’hiver, il y a le fleuve Kolima qu’on peut bien remonter sur des barges l’été, à partir du petit port improbable de Seymchan, mais sur lequel personne ne roule en hiver.

Au bout des trois routes il y a Tcherskiy, porte d’entrée de la région du Tchoukotka où il n’y pas beaucoup de routes non plus et où on ne peut circuler qu’avec une autorisation spéciale. Plus on monte vers le Nord, plus les choses se compliquent.

on s’installe dans l’ immobilisme…


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Mon petit hôtel Vénéra est au croisement des avenues Yakutia et Gagarina, propre et calme, si on est sur l’arrière. Il est à deux pas du centre, à côté d’un petit marché couvert et de deux çioupermarkets . Un peu plus loin, il y a même une bonne boulangerie qui vend des petits plats tout préparés et des Napoléons…

Le Napoléon est une sorte de mille-feuilles praliné. Un peu comme pour le croissant qui symboliserait on ne sait quelle victoire de l’Austro-Hongrie contre l’Empire Ottoman, il fut inventé pour commémorer la branlée que le petit corse se fit mettre par l’hiver russe… Quand il est frais, le gâteau, pas le Corse, frais avec un vrai café, c’est un régal, mais on le trouve souvent ramolli de l’avant veille, sous plastique, avec un café soluble. Il n’y a pas beaucoup de pâtisserie en Russie, les gâteaux sont vendus sous plastiques dans les çioupermarkets…

Grâce à Viktor à Irkoutsk et à Sacha à Vladivostok, j’avais pu découvrir à chaque fois les rares endroits de leur ville avec des gâteaux préparés du matin, encore croustillants de la sortie du four…. Là, j’ai déjà trouvé où sont les meilleurs Napoléons de Magadan, je peux considérer que, symboliquement, ma mission est complètement terminée… il me reste ; néanmoins, encore à ranger la moto et trouver des infos primordiales pour mon retour…

Inévitable session mécanique finale…


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Il fait beau aujourd’hui, puis pas froid…Pavel m’a déposé au garage pour la journée. Ce garage immense a été racheté une bouchée de pain à la fin de l’Union Soviétique par quelqu’un qui avait du flair, et maintenant il est loué par petits bouts… un hangar pour la carrosserie, un autre pour la mécanique, on peut y installer son petit coin, c’est fourni avec un pont de levage et une armoire à outils…mon voisin, celui qui me passe les clés dont j’ai besoin, m’expliquera qu’il loue son box super cher et que pour l’amortir il doit bosser tous les jours, que pendant la période qui a suivi le changement de régime, certains ont flairé les plans juteux, mais les autres il ne leur reste qu’à bosser tous les jours… il y a ceux qui ont un appart à Courchevel et ceux qui passent leur vie les mains dans le cambouis… c’est difficile de lui expliquer que c’est partout comme ça, qu’il n’y a pas nécessairement besoin de l’ effondrement d’une vieille utopie, d’une subite atomisation de paradigme, pour se retrouver avec deux rives séparées par un océan de pognon; d’un côté la plage, de l’autre les égouts…

Aujourd’hui j’attaque en profondeur le dépiautage du circuit électrique. Tous ces fils fondus; je n’en reviens pas. Je me pose d’innombrables questions… pourquoi ma moto n’a t’elle jamais pris feu sur la route ? A quoi servent exactement les fusibles ? Dehors il fait beau, mais je bricole comme la veille, jusqu’à la nuit tombante ; comme mon voisin d’atelier, je vais faire du sept jours sur sept… demain, j’attaque le jeu latéral aux culbuteurs et mon voisin va me refaire quelques pas de vis déficient…

Magadan est une petite ville pas déglinguée du tout, nichée entre les collines avec deux baies poissonneuses à l’eau glacée… il serait temps que je visite un peu…

Magadan Terminus


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A peine cent bornes jusqu’à Magadan, la route est goudronnée, les ponts tout neufs,c’est une étape éphémère. Je croise encore quelques vieux abris bizarres, genre anti-atomique mais je ne suis pas sûr… genre anti-atomique où on se dit que finalement il  vaut mieux être atomisé plutôt que finir dans l’abri…

et toujours  les inévitables bouts de chantiers, avec la grosse niveleuse et ses tas de terre……mais très vite, c’est presque une autoroute qui clôture la route de Magadan.

L’aéroport est à mi chemin. Je m’y arrête pour prendre les renseignements sur les compagnies locales et les villes qu’elles desservent et puis enfin j’arrive à Magadan. Au premier kafé, je me restaure un peu avant de contacter mon troisième Pavel, celui du terminus. Il débarque après quelques minutes dans un gros Lexus gris et me demande direct mon programme. Je lui explique vaguement ; stockage de la moto, renseignements pour la suite, petite révision mécanique, repos, c’est pas mal ça, repos… ok, on commence par mécanique… ça ne traine pas avec Pavel III…

Je me retrouve dans une immense garage à quat’quatre, même pas eu le temps de poser les bagages… voilà, les outils sont là, tu t’installes, je repasse en fin de journée … J’avais encore un peu le nez dans la piste et voilà que je le replonge dans le cambouis. Le garage est très bruyant, minisono pourrie à fond, Djo Dassine et bruits d’atelier…je serais bien allé me reposer, mais j’ai cinq heures devant moi…il ne me reste qu’à préparer ma monture pour la prochaine fois ; Je me lance dans de la révision d’envergure, démontage du carter moteur, du faisceau électrique puisque j’ai le temps, pourquoi ne pas faire la révision en profondeur. Dans le carter, c’est un vrai musée des voyages précédents, des bouts de ferraille de la casse au Kazakstan, des gravillons de Mongolie, j’y retrouve même un petit morceau de boite en fer blanc, souvenir de réparations à l’africaine des filetages moteur, en Guinée, cinq ans plus tôt.

J’ai à peine osé regarder le circuit électrique… on verra ça plus tard…. Pavel III me dépose dans un petit hôtel…Calme, pas cher, les douches et la cuisine au fond du couloir ; je suis chez moi…

un appart à Palatka


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Les hôtels russes, dans les petites villes, qu’ils s’appellent hôtel où auberge, fonctionnent toujours un peu de la même façon. On paye à l’avance, puis on s’installe dans une chambre collective où, généralement, on peut être seul mais c’est plus cher. Les douches et les toilettes sont souvent au fond du couloir. Dans la chambre, draps et serviettes sont soigneusement rangés sur chaque lit qu’il faut donc faire soi-même. Il y a une cuisine commune et parfois, comme à Sushuman, la douche donne dans la cuisine… on peut parfois sortir ruisselant de ses ablutions , emmailloté dans sa serviette, et traverser un groupe en treillis en train de se faire réchauffer des saucisses en caoutchouc avec des pirminis, les raviolis russes. Dans les motels, au bord des grands axes, le registre est approximativement le même mais il y a toujours un kafé au premier étage, qui est donc, en Russie, le rez de chaussée… mais il n’y a pas de motel sur la route de Magadan. La déclinaison des étages commence à « un »…le rez de chaussée, l’étage zéro, ça n’existe pas… le zéro, au mieux, il est dans le plancher, sous le lino.

Saint Cyril, quand il a inventé l’alphabet russe a délibérément omis, quand il est passé aux chiffres, de garder le zéro, qu’il devait sans doute considérer comme une putain d’invention de ces chiens d’infidèles Sarazins.

Dans les hôtels d’immeubles soviétiques, un étage ou deux sont réservés à l’hôtellerie, mais jamais tout l’immeuble. Souvent c’est au quatrième, qui, même s’il correspond au troisième, est quand bien haut pour celui qui doit monter tous ses bagages de motard. Parfois, ils sont restés à l’heure soviétique et il faut montrer son passeport chaque jour pour se faire et refaire enregistrer à l’immigration…mais parfois aussi, tout le monde s’en fout… de toute façon, on ne m’a jamais réclamé de note d’hôtel à chaque départ de Russie. A Palatka, la ville n’est pas du tout en ruines mais il n’y a pas d’hôtel, ni d’auberge , alors on m’envoie à l’épicerie du coin qui, après quelques coups de fil, me trouve un appartement. Mon nouveau taulier débarque dans une Toyota à échappement mégasport et m’invite à suivre le vrombissement de son bolide. Il travaille la nuit, il peut donc, jusqu’à l’aube, louer son appartement tout équipé. C’est un système assez courant pour arrondir son salaire pas toujours mirobolant, il y a louer son appart ou vendre des gourmettes plaquées or, lui il fait les deux… mais j’ai  vraiment plus besoin d’un plumard que d’une gourmette…

Black mirror


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Comment imaginer qu’il y ait pu avoir à Talaya une chambre d’hôte, alors que personne depuis des centaines de kilomètres n’a d’accès internet… Deux réalités se sont télescopées : la virtuelle et la réelle. On ne peut se rendre à son auberge que si tout a été programmé en présence du précieux réseau… mais arriver sur place, en vrai, en chair et en os, avec sa bite et son couteau, si on a pas suivi la procédure, on n’aura aucun moyen de joindre son lit. Internet a fait muter les façons de voyager et, bien souvent, chaque étape a été minutieusement programmée à coups de Bihenbi, de Tripadvisor et de Boukingpoincom. Le voyageur moderne , quand il arrive quelque part, vérifie avant toute chose si il y a du réseau. Dans ce cas, il programme la suite de son escapade puis communique à coups de Google Translate. Chacun parle ou pianote, tête baissée face à son interlocuteur puis lui tend le smartphone sans trop savoir, ni vérifier, comment le petit robot a interprété ses dires. Je suis en partie tombé dans le piège, personne n’y échappe, mais j’aime toujours arriver quelque part  en gardant le suspense de na pas savoir où et comment je vais pouvoir roupiller, même si il y a, certes, des risques de finir sous la tente sur un sol humide.           Je n’aurai jamais la réponse à propose de ce mystérieux BnB de Talaya, mais j’aurai passé quelques heures au sanatorium avec deux dames vigoureusement vivantes et même un ancien combattant, un peu moins vivant, mais il a des excuses.

Je roulerai encore trop longtemps, mais quand je suis arrivé à Palatka, je me suis dit que là, il fallait que je trouve un vrai lit et je l’ai trouvé…

Finir au sanatorium


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Comment ai-je pu donc me faire piéger comme ça ? Je le sais que les distances sont longues sur la piste et qu’il n’y pas souvent de bourgade encore debout. Et voilà que j’ai planté la tente sur un parking de terre humide et froide, battu par les vents, le premier jour où une fraicheur hivernale semble bien décidée à faire la nique à l’été déclinant. J’ai donc eu froid…
…j’ai passé la nuit à tenter de me couvrir avec tout ce qui trainait, à sortir pisser en grelotant, à attendre le matin qu’un petit soleil blafard réchauffe la tente, juste un peu, je n’en demandais pas trop. J’ai fini par me lever, à faire un peu d’échauffements à côté d’un voisin routier arrivé pendant la nuit ; Il brossait ses dents en vérifiant ses roues. Début d’une journée de boulot sur la route.

C’est dur de redémarrer parfois et je me jure bien de faire une étape très courte et de trouver un vrai lit… Après une quarantaine de kilomètres, j’arrive à l’embranchement de Talaya… Un allié précieux , qui m’assiste avec une rare efficacité pour assurer la régularité de mon récit sur la toile, suit mon parcours minutieusement sur son ordinateur. A chaque étape, tel le guide du routard, il me sort les trucs à ne pas manquer, les lieux à visiter, à Kandhiga, à Ust Nera ; dans ces villes où il n’y a rien, Internet arrive à te transformer un triste musée ou une statue de Lénine effondrée en spot ultime à ne manquer pour rien au monde…Pendant mon étape à Seymchan, il m’avait déniché un R’BnB «  à proximité »… à Talaya .

Dans ces endroits où personne ne va, Internet a un sens très approximatif de la proximité, mais cent quarante bornes au sud de Seymchan , alors que j’avais oublié Talaya depuis des temps infinis, je suis tombé sur l’embranchement… comment résister…trente et un kilomètres …il fallait que j’aille voir Talaya.

Malgré le ventre vide et pas du tout réchauffé, c’est la curiosité qui l’a emporté.

La petite piste est plutôt jolie et bien entretenue, ni boue ni ornière, sans doute que peu de camions passent par là , ça préserve la route…Talaya était, paraît-il, au temps de l’Union Soviétique, un lieu de cure à la mode; mais imaginer trouver des BnB, ça semble surréaliste. Je laisse encore une fois mon imagination inventer un Talaya de rêve, un village de père Noël, avec des isbas et des palais de reines des neiges…il faudrait la museler cette imagination, Talaya est en ruines…, ou presque…Derrière les habituels immeubles décrépis, se dresse néanmoins un bâtiment au romantisme décalé évoquant un vestige perdu de la Russie impériale…Un théatre, un établissement thermal tout en colonnades, vides bien sûr, mais on a rénové certaines façades… Tout comme pour le métro de Moscou, les soviétiques ont souvent reproduit les fastes des temps anciens pour que le peuple puisse à son tour en profiter.

Je m’approche de ce qui semble être un hôtel ; en fait c’est le sanatorium… mais on m’y accueille chaleureusement… quel est donc ce touriste égaré ? Sacha, le gardien, m’amène dans les bureaux…Véra la directrice et Ana son assistante, m’invitent à poser mes fesses osseuses dans un grand canapé marron… je suis complètement comateux mais je sauve les apparences… je raconte mon voyage mais pas la moindre force de sortir le crayon… on me propose un repas et on m’installe dans une chambre pour que je puisse me reposer et prendre un bain chaud ; une grande salle de bain aux carreaux décrépis jouxte la chambre. J’imagine qu’on est en train de me dresser une table dans le réfectoire et que je vais manger avec l’équipe et quelques tubards forts sympathiques. En fait, après le bain, je patiente une heure dans la piaule avec Sacha qui me montre ses photos de l’époque où il a fait la guerre en Afghanistan… puis Ana m’amène du Borj , de la viande et des pâtes, j’ai terriblement envie de rester roupiller là, mais c’est un hôpital et, tenant à peu près debout, je ne suis pas encore en état d’être admis au sanatorium… alors, après quelques photos souvenirs, je reprends la route complètement comateux avec le casse-croûte qu’ Ana m’a préparé pour la route…

Quitter Seymchan pour plus loin et plus humide…


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Le lendemain, le ciel est dégagé, alors je traine encore.

Je vais faire un tour au musée. Ils se ressemblent un peu tous les musées des petites villes. Il y a la salle nature avec des animaux empaillés, la salle géologie avec des cailloux, des bouts de météorite et des minerais , la salle des peuples anciens avec des tipis, des fourrures et quelques ustensiles et puis la salle soviétique et celle sur la grande guerre, qui est, en Russie, celle de 1940.

Sacha et Yula sont vraiment heureux d’avoir un visiteur étranger ; d’habitude, ils ne voient défiler que des classes turbulentes.   Au moment de signer le livre d’or, évidemment, je sors le feutre et ne loupe pas mon effet. Ces deux-là n’ont pas l’air au courant des façons de remonter vers le nord, mais ils ont tellement envie que je revienne que je crois qu’ils deviendront de précieux informateurs.En partant, je fais le détour pas l’aéroport. Des aéroports en rondins, ça ne se voit pas très souvent et à l’intérieur il n’y a pas foule ; je passe de salle en salle, c’est à se demander si c’est encore vraiment un aéroport cette grande cabane… mais je finis par tomber sur un jeune couple dans la salle météo. Ils ont l’air ravis eux aussi d’avoir de la visite ; ils me racontent qu’ici, les américains se ravitaillaient quand ils allaient bombarder l’Allemagne nazie depuis leurs bases en Alaska. On me confirme aussi, mais historiquement ça a moins d’importance, qu’il y a un vol par semaine pour Magadan, c’est pas cher et l’avion a une sacrée gueule, ça donnerait presque envie d’y aller tout de suite…

Je finis par reprendre la route mais le temps se gâte et avec la pluie, une fraicheur humide s’insinue partout. Je me réchauffe à l’intersection, cent dix kilomètres plus loin, au kafé de l’avant veille… et je reprends la route fédérale, vers Magadan.

Il pleut, sur la piste mouillée, je n’avance pas vite, je suis légèrement envahi par le vide sidéral, ces instants insolites où on aurait presque l’impression que la moto avance toute seule…La lumière baisse, il n’y a que des forets humides, je guette la ruine soviétique où m’abriter, mais je ne roule qu’au milieu des mélèzes.

Quand je trouve enfin ma ruine, je m’y précipite gaillardement, sans réfléchir…mais avec la pénombre, je n’ai pas deviné le bourbier juste devant. Embrayage, filet de gaz ; les pneus font ce qu’ils peuvent . J’essaye de sortir par le côté, erreur fatale, ça remonte ; l’arrière s’enfonce, le moteur touche, c’est bloqué.

En face, sur un grand parking, je repère un vieux semi remorque bâché ; je vais tenter de trouver de l’aide. Il n’a pas l’air commode ce routier rustique mais il voyage en famille, avec madame et le chien ; et madame, elle, semble mieux disposée. Alors, après un petit conseil de famille, on manœuvre le Kamaz pour y atteler la moto, mais ce n’est pas si simple, il est très long, pas question d’ embourber la remorque chargée… alors , madame arrête un quat’quatre, puis un autre, tout le monde s’active, mon embourbèrent pourrait devenir l’endroit à la mode, sur cette route presque déserte.

Je croyais discuter le coup avec la famille camion ; dans la famille camion, je voudrais le chien, tout ça…mais tout le monde reprend sa route et je n’ai plus qu’à planter la tente sur le grand parking vide, froid et humide.

Une journée à Seymchan


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Le matin, une fois l’hôtel vidé de ses chinois bruyants, je prends tranquillement mon café soluble accompagné de sablés pas tout neufs. Les gâteaux achetés en vrac dans les minimarkets, c’est une miniloterie ; frais et croustillants ou mous et rances , on ne découvre la surprise qu’au petit déjeuner, avec ses papilles gustatives. Une fois la collation ingurgitée, paré pour une digestion approximative, je pars mener l’enquête. Je pourrais chercher une compagnie de transport, mais elles sont basées à Magadan, me renseigner au bureau de police, mais il y a toujours un risque à se présenter spontanément au poste avec une moto pas très en règle. Je pourrais aussi aller au port, mais va t’on y comprendre mes histoires ? Alors, je me dis que la bonne idée serait de commencer par trouver quelqu’un qui parle français, ou anglais, et me voilà parti à la recherche des écoles. La première est une école de sport, mais quelqu’un m’emmène directement au collège où la directrice me reçoit dans son grand bureau. Entre les drapeaux de la fédération de Russie et un pataud petit blond collé, je lui expose mon cas… elle m’emmène dans la foulée rencontrer la prof d’anglais, rigide comme une prof d’anglais, mais qui m’écoute consciencieusement. Ce soir ou demain matin, elle espère me dénicher quelqu’un qui en saura plus. Pendant la journée, ils sont tous à la pêche.

Je rentre à pieds vers mon hôtel, longeant les immeubles soviétiques. L’hôtel est au rez de chaussée réhabilité de l’un d’eux. Les étages, eux, sont abandonnés, ouverts à tous vents. Ces barres d’immeubles ont été construites dans les années soixante, c’est parfois écrit dessus. Elles devaient permettre de loger les habitants des villages en bois dans des appartements chauffés avec tout le confort moderne ; des chiottes et l’eau courante. Quand le rêve soviétique s’est effondré, beaucoup d’industries se sont arrêtées, les goulags ont fermé et, petit à petit, tout s’est vidé. Des répliques d’Artouk jalonnent tout mon parcours.

Seymchan se porte plutôt bien, la mairie à colonnades est parée du joli vert des gares transibériennes, on croise même quelques maisons anciennes encore debout.


Un flic m’arrête, me contrôle ; normal, peu de touristes viennent s’égarer ici. J’en profite pour poursuivre mon enquête, il me dit qu’à sa connaissance, il n’y a pas de circulation sur le fleuve l’hiver; trop de cailloux, trop de bout de bois, il n’y aurait, semble t’il, que des motoneiges qui s’y aventurent… des motoneiges… je note ça dans un coin encore actif de mon cerveau, on ne sait jamais…après tout, ma moto est un peu un scooter des neiges avec ses jolis skis en ferraille. Dans la foulée, je pars faire un tour au port. Autour de deux vieilles grues s’amoncellent d’innombrables carcasses de bagnoles, camions, bateaux, containers rouillés ; ça sent l’intense inactivité. D’ailleurs, il n’y a presque personne ici ; juste deux mecs en bleu de travail que ma présence indiffère totalement. Ils ne me sont, comme prévu d’aucun secours mais l’endroit vaut le détour. La ville a aussi son vieil aéroport  avec paraît-il, un avion de temps en temps pour Magadan, je note ; toute information est bonne à saisir au vol. Le mari de Tamara, qui gère l’auberge, vient d’Azerbaidjan, il est venu travailler ici pour l’argent… ah bon ? Il y a de l’argent, ici… comme ça, au premier coup d’œil, j’avais pas remarqué. Grâce à mon petit carnet et mon crayon facétieux, je fais ami avec tout le monde et je note bien les numéros, je n’arrive pas encore à vraiment m’imaginer quand et comment je reviendrai à Seymchan, mais j’aurai glané toutes les infos qu’il était possible de dénicher en une journée… Demain, si le ciel reste dégagé, je pourrai repartir avec le sentiment de la mission accomplie…

Bifurquer vers Seymchan


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Le lendemain, sur le gentil petit rythme du mec pas pressé d’arriver au terminus, je reprends la route, suivi par un ciel sombre qui finira par me dépasser en déversant toute sa misère sur ma gueule. Les villes en ruines se succèdent……jusqu’à un carrefour où se dresse fièrement coloré, un kafé tout neuf, un vrai comme sur la route de Moscou à Vladivostok ; je n’en avais pas vu un si joli depuis des milliers de kilomètres. J’y reste deux heures en attendant que l’éclaircie revienne ; conversations embryonnaires habituelles, borj et poulet pané, puis je prendrai la bifurcation vers Seymchan. Cette petite ville cul de sac, à une centaine de bornes au nord de la route fédérale, c’est le port d’embarquement sur les péniches qui remontent la Kolima vers le nord. C’est sans doute d’ici que partent les camions qui roulent sur la glace du fleuve en hiver. Je suis venu pour enquêter, connaître les horaires de clôture, les périodes idéales…mais à l’hôtel, malgré Google Translate, l’auxiliaire indispensable du voyageur moderne, personne ne comprend quoi que ce soit à mes projets insensés…ça ira peut-être mieux demain…

Esméralda et Dragon Ball Z


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Les trois coréens se sont donc tapé le parcours héroïque. Ils ont, disons, une bonne vingtaine d’années et sont en train de tourner en boucle dans le secteur des Os pour s’offrir la collec de toutes les pistes boueuses. Sur les trois, il y en a un, genre beau brun athlétique et polyglotte, qui de toute évidence est le chef de la bande, les deux autres, plutôt binoclards boudinés, ont moins de prestance et en plus ils lapent leurs soupes très grossièrement. Dragonball me propose de les accompagner pour la suite ; c’est très gentil de sa part mais départ à l’aube et esprit de groupe, ce n’est pas ma tasse de tchaï ; alors je décline l’offre poliment. Je voudrais profiter de cette étape pour prendre une dizaine de douches et me reposer un peu après les trois cent bornes humides de la veille. Et puis, il faut bien reconnaître que, quand je vois leurs photos de motos embourbées jusqu’à la selle et que je les compare avec mes clichés, mes collines flamboyantes couvertes de mélèzes dorés, je me dis que ce que j’ai raté ne me manque pas vraiment. Anatoli m’a rejoint le matin ; il est électricien et a l’air de s’ennuyer un peu… à chaque fois que je veux l’inviter à boire une soupe grasse au kafé d’à côté, il insiste toujours pour payer l’addition. Alors, je lui dis que la prochaine sera pour moi, mais il me refait le coup. Il me dit que si un jour il vient me voir, je l’inviterai à mon tour… Anatoli n’a quitté Suchuman qu’une fois dans sa vie… mais il faut bien reconnaître que si tous ces russes, débordants de bienveillance, qui m’ont dit la même chose depuis quatre ans, s’ils débarquent chez moi, un jour, tous en même temps, je devrai sans doute faire un crédit sur vingt ans, hypothéquer ma maison pour les inviter tous comme ils le méritent…

Le ciel a fini par se dégager et un doux soleil d’automne à donner de l’allure à cette journée. Je reprends la route de bon humeur et bien décidé à faire une courte étape.

A la station, pendant que je fais mon plein, un tzigane qui était venu me parler devant l’hôtel me demande si je peux l’emmener à Yagodnoye, cent kilomètres plus loin. La voilà la providence, je vais l’emmener là où il veut et j’y passerai la nuit. Pendant qu’il s’accroche à moi comme une vierge effarouchée, je commence à rêver à mon étape tzigane…on fera un feu devant la roulotte, son père, édenté comme lui, mais très classe quand même, nous jouera des airs de guitare pendant que sa sœur ténébreuse à tomber, dansera pour moi autour des flammes avant de lire mon avenir dans les sillons graisseux de la paume de ma main.

Il s’accroche un peu trop, mon gitan ; le froid, la trouille… alors à mi-parcours, je lui propose une pause pour se détendre. Il descend tellement fébrilement de la moto qu’il me la fout par terre et puis, à peine relevée, le voilà qu’il arrête un camion et me laisse en plan avec mes rêves de soirée tzigane ; je continue à rouler dans cette douceur d’automne, regarde si je ne le vois pas quelque part, je fais même le tour de Yagodnoye, qui est une vraie petite ville avec tout en bon état… mais je continue encore…je finirai par planter la tente sous un bouquet de bouleaux, au milieu des bouteilles plastiques, dans le jardinet abandonné d’un immeuble soviétique en ruines, au bord de la route, loin des roulottes et des danses gitanes… gigantesque dégringolade dans mes phantasmes d’aventures romanesques…

La route des os


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On appelle la route qui relie Yakutsk à Magadan, la route des os…c’est en rapport avec le nombre de prisonniers du Goulag qui sont morts sur le chantier de sa construction. Depuis qu’Obiwan Kenobi est venu faire son film à moto du temps où il s’appelait encore Ewan Mac Gregor, cet itinéraire est devenu une sorte de nouveau Paris Dakar ; une Mecque pour les motards acharnés de la piste. La route de Magadan a été bien refaite ces dernières années,mais il reste un tronçon d’origine avec plein de boue et des passages de rivières, il démarre juste avant l’auberge « Konfort », évite Ust Nera par le sud et rejoint la piste principale plus loin. Mon conseiller enduriste suisse, qui connaît bien toutes les pistes de la région, m’avait vivement déconseillé de prendre ce raccourci seul avec ma vieille béhème chargée… mais arrivé au carrefour, j’ai quand même eu une hésitation intense, un pincement au cœur, une éraflure à mon orgueil de vieux pistard qui s’était tapé la piste de Gao tout seul… mais c’était il y a quinze ans et je n’aurais peut-être pas dû le faire, même à l’époque. Quand j’ai croisé les slovaques, j’ai compris que finalement je n’avais pas eu tort… ils ont tenté un petit bout puis on fait demi tour. Les pistes infernales en solitaire, il faut les tenter quand c’est l’unique route sur la carte et que donc, inévitablement il y aura du passage de camion… sinon, en solitaire, on risque bien d’ajouter quelques ossements aux fondations de la route et même fatigués, mes os, cette année, je vais essayer de tous les ramener entiers…

Vers Sushuman


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En quittant Artouk, je savais que ce serait une étape longue, humide, un peu boueuse sans trop de choix pour varier le programme… rester à Artouk et finir comme Pavel ? Faire une étape plus courte ? Pour camper dans la boue : non, je voudrais un étape avec une douche… je préfère me concentrer et tirer ma trace au milieu de celles des camions. Les collines sont embrumées et on ne croise que des villages effondrés. On y devine parfois une certaine agitation de camion, sans doute que des Pavel rôdent dans toutes ces ruines pour récupérer bouts de charpentes et ferrailles…J’aligne finalement les bornes avec une certaine allure, j’en aurais presque oublié les risques de panne. Une petite fumée sous la colonne de direction me ramène à cette réalité-là, une odeur de plastique fondu qui sent l’agonie du faisceau électrique. Je m’arrête au bord de la piste, je commence à démonter fébrilement le réservoir. Il ne faut jamais oublier qu’en Russie, on n’est jamais seul longtemps… dix minutes plus tard, je me retrouve attelé à une jeep Uaz, à peine dix kilomètres plus loin, au bout d’un chemin de traverse, on me dépose dans un village avec un grand garage à autobus… je commence à comprendre la durée de vie des villages ; tant qu’y persiste une activité, quelle qu’elle soit, ils survivent, sinon, ils retournent à la terre et ,accessoirement, à Pavel et son camion… Pendant qu’on m’offre le thé avec une barre chocolatée, un jeune soldat, commence à s’attaquer aux câbles fondus. Une demi heure après, je recharge et je repars. Je ne sais pas combien de temps tiendra cette rapide réparation au Chaterton mais j’arrive à terminer mon étape de trois cent bornes avant la nuit. A l’entrée de Suchuman, je rencontre Anatoli, motard russe en Kawasaki KLR…. Il m’emmène jusqu’au centre de cette bourgade d’immeubles tristes dans celui qui fait office d’hôtel, j’arrive juste à dénicher un plumard avant trois jeunes coréens crottés, à peine sortis de la route des os et qui devront camper dans le square humide juste en bas.

Artouk


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Sur le pont, du matin à la nuit tombante, on bosse sept jours sur sept pendant cinq mois, quant aux deux ingénieurs ils ont cinq jours de congés tous les deux mois ; ça bosse dur sur la routes des os. Le soir, c’est séance de musculation avec des essieux de camion, puis banya avant le repas. L’hiver, les ouzbeks rentrent chez eux et les ingénieurs sortent les costards cravates, rangent les frusques poisseuses et retournent concevoir les prochains ponts dans des bureaux bien chauffés. Quant à moi, je ne vais pas attendre l’inauguration du pont pour aller voir à quoi ça ressemble, juste un peu plus loin…à Artouk…

Vassili m’avait parlé d’une ville fantôme, il avait parfaitement raison, par contre, en ce qui concerne l’auberge, les appartements, il n’y a rien qui y ressemble, quand c’est vide, c’est détruit, effondré, mangé par la végétation, il n’ y a presque plus rien à Artouk ; le café, la station, le grand bain public, même le poste de police ; tout est en ruines. Les petites maisons autour sont toutes effondrées, seuls restent debout la mairie avec son Lénine toujours fier malgré le terrible destin d’Artouk qui a tout perdu avec la fin de l’Union Soviétique. Une grande usine de cabines de camions Tatra faisait vivre toute la petite ville. On devine qu’elle avait belle allure ; je me glisse dans ses rues vides et boueuses à la recherche de l’auberge et je croise Pavel, au volant de son van Toyota. Il parle beaucoup et on ne se comprend pas vraiment, mais il m’explique bien vite qu’il n’y a plus d’auberge depuis longtemps, qu’il n’y a plus rien à Artouk.

Mais en Sibérie, il y a des solutions à tous les problèmes, alors il m’emmène dans un grand bâtiment où Dima, un émigré Ouzbek, pose du lino et des plinthes. C’est chauffé, je peux m’installer où je veux dans les pièces vides, je pose donc mon paquetage puis je suis Pavel pour ranger la moto dans un garage. J’arpente seul les rues vides jusqu’à la fin de l’après midi puis je croise à nouveau Pavel au volant d’un vieux camion Kamaz ; il me propose de grimper. Avec un mot saisi au vol de temps en temps, on arrive vaguement à reconstituer des conversations. Pavel vient de Moldavie. Y’est-il né ? Ses parents ont-ils subi un transfert de population sous Staline? Je ne le saurai jamais…il a soixante sept ans, il a eu un infarctus et avec son camion, il s’active dans la ville fantôme. Il charge dans sa benne des ruines effondrées, il récupère le bois pour chauffer quelques maisons encore debout puis va balancer le reste dans une décharge à la lisière de la forêt. C’est comme si Artouk s’autoalimentait. Pavel stocke des pneus pour son Kamaz dans les banyas publics en ruines, des amortisseurs dans une petite maison vide et il a remis en service quelques serres, chauffées aux débris de charbon et de charpente… Il y fait pousser, entre deux airs d’accordéons, des tomates, des cornichons, des choux, des patates et des fraises des bois, puis après un petit solo de trompette, il me ramène dans ma grande pièce vide et chaude. Il y a comme un air de fin du monde dans la vie de Pavel… il a tout organisé dans et avec les ruines d’Artouk.

Il y a un seul immeuble qui semble presque neuf, tout au fond du village, je crois que c’est un sorte d’hôpital psychiatrique, Pavel mime le débile baveux, ça fait envie… demain, je crois que j’essayerai de partir à la première heure avant d’être happé par la ruine…

La vie sur le pont


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Juste avant le nouveau pont de Denys, il y a une route en terre qui part vers le nord… sur une de mes cartes de Sibérie, elle n’existe pas et sur l’autre elle est bien tracée en rouge, comme une autoroute ; ça m’avait terriblement intrigué. On dirait qu’elle existe donc, mais c’est loin d’être une autoroute… Denys m’explique qu’elle est toute pourrie, qu’il ne faut pas aller par là, que c’est juste une piste pour les camions en hiver…serait-ce un nouveau défi pour les obsédés de la performance ? Cet itinéraire mystère vers le cercle polaire mériterait qu’on s’y intéresse un jour…mais pas tout de suite, j’ai des skis à récupérer à Magadan avant les premières neiges…

La nuit, l’hiver prend ses repères et le petit matin commence à givrer. On m’a fait un topo sur la suite, qui d’ailleurs, ne ressemble pas du tout à ce qui est indiqué sur mes cartes. Encore des cartographes amateurs, comme c’est si souvent le cas. Pas beaucoup de logements ni de postes d’essence pendant les quatre cent prochains kilomètres. Une sorte d’auberge à quarante bornes puis plus rien pendant trois cents. J’opte donc pour la petite étape avant la grande. Il paraît qu’à Artouk, pour faire étape, ce n’est pas vraiment une auberge ; dans la ville fantôme on ne louerait pas un lit dans une chambre collective, mais plutôt des appartements complets dans des immeubles vides… quelle curieuse étape en perspective. Ce n’est pas loin, alors je prends le temps de laisser le soleil réchauffer l’atmosphère puis d’accepter un repas de plus et, en pataugeant dans une ratatouille linguistique indéfinissable, de parler avec les ingénieurs, Denys et Vassili, de la Russie, de Dieu, de l’or et des poubelles. En partant, les quelques hésitations à l’allumage que j’avais pressenties la veille ont décidé de confirmer l’essai. C’est reparti pour une révision ; carburation, allumage, c’est toujours la même chose et les chaos de la route puis les nuages de poussières n’aident jamais vraiment la préservation de la mécanique. On finit par trouver quelques défaillances puis… cette journée est tellement douce ; si on allait se balader en camionnette Uaz, sur les collines alentours ? Vassili me montre des ruines de villages fantômes qui naquirent et moururent au gré de la prospection aurifère, il s’offre un plongeon dans l’eau glacée puis Denys nous emmène voir le soleil rasant les collines dorées sur les hauteurs. Nous ne croisons pas d’ours, mais on me rappelle encore d’y faire attention si je plante la tente. Je pourrais leur dire que je connais le problème, qu’en France aussi il y a des ours, au moins trois dans les Pyrénées et quand un chasseur en dégomme un, le ministre de la transition écologique va le remplacer par un magnifique plantigrade racheté d’occase à la Pologne, mais je ne suis pas certain qu’ici, on comprenne la démarche.

Ce soir samousas ousbeks et banya et demain, on verra bien comment la moto démarre et le temps qu’il fera ; je me sens prêt à glisser dans le rythme de la construction du pont, bercé par le groupe électrogène qui ne s’arrêtera qu’aux premières neiges, à la fin du chantier…

Après Ust Nera


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Au petit matin du lendemain à Ust Nera, il flotte sur les montagnes brumeuses comme une prémonition hivernale. Cette nuit, pour la première fois de l’année, le thermomètre a taquiné le zéro . Plutôt que de m’engager trop tôt sur cette nouvelle étape, je tente de partir à la recherche de mon porte-clés. En espérant que pendant ce temps, les nuages partiront ailleurs . Perdre quelque chose, c’est  comme la panne ou l’accident, une occasion parallèle de faire connaissance . Avec une formule polie imprimée sur mon téléphone , je visite plusieurs fois tous les commerces du quartier…sait on jamais, quelqu’un pourrait avoir déposé ça quelque part …quelques uns se renseignent, donnent des coups de fil. Mais je ne saurai jamais où sont tombées ces foutues clés. Le temps passe et le ciel se dégage. Il est temps de faire le plein et d’aller voir un peu plus loin. Le fond de l’air est frais,  la piste humide et parfois un peu boueuse longe une rivière qui serpente tristement au milieu des gravats. Il y a quelques exploitations minières plus rutilantes que les ruines de Ust Nera. Toujours interdites d’accès par une barrière et un mirador. J’essaye par curiosité de demander si on peut boire un café, mais il ne faut pas rêver, on ne laissera jamais un étranger tout crotté rentrer là dedans , c’est aussi stratégique qu’une base atomique .plus loin, il y a un pont en construction, je discute un peu avec les ouvriers ouzbeks qui me proposent de boire un thé chaud  au campement. Je sors mon petit carnet , on m’amène à manger , Denis, l’ingénieur, me fait visiter le chantier , il me montre les nouvelles technologies de béton à la limaille de fer.  On finira par m’inviter à partager le repas, puis à profiter du banya et, finalement, tant qu’on y est , à passer la nuit dans un container bien chauffé…

Ust Nera


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Ust Nera ne ressemble vraiment pas à grand’chose, ancien Goulag, mines d’or, mais en apparence, comme ça, en arrivant, on ressent plus l’esprit goulag que les dorures… une avenue goudronnée et quelques rues perpendiculaires en terre avec des barres d’immeubles posées sur plots, à la sibérienne. Des bouts d’usines cassées, de la poussière et des montagnes tout autour. Certains immeubles sont abandonnés, à moitié en ruines, d’autre non, pourquoi l’un, pas l’autre, voilà un de ces questionnements fondamentaux qui s’évaporent à l’étape suivante… tout au bout de la rue principale, il y a des bâtiments plus neufs avec des monuments devant… ça doit être des installations militaires, ou les bureaux des mines, je ne sais pas trop, je ne me suis pas attardé dans ce coin-là. L’hôtel est au milieu de l’avenue principale, à côté de la poste, de la banque, de la station de minibus Uaz et de quelques commerces. Le seul intérêt de cette étape, c’est le bain chaud… Quand j’ai garé la moto au milieu de tout ça, il y avait un peu de l’embouteillage, autant devant qu’à la réception de l’hôtel. J’ai dû monter tout mon paquetage au troisième étage et quand j’ai voulu aller déplacer mon canasson, je n’ai plus trouvé les clés. Faut-il que je larmoie sur les défaillances de la mémoire, même si tout petit déjà, j’oubliais mes affaires. Faut-il que je batte ma coulpe, que je maudisse ces étourderies, que je mette des post it partout, que je me tatoue chaque action pour ne rien oublier ? En attendant, méfiant comme la fouine, dans cette sinistre cité minière, je me suis dit que si quelque Tchétchène mal intentionné avait récupéré la clé sur le contact où j’aurais pu aussi l’avoir oublié, j’ai déplacé la moto derrière l’immeuble et j’ai démonté le contacteur ,mais je n’ai pas mis l’antivol puisque je n’ai pas sa clé non plus… c’est d’ailleurs surtout cette clé-là, le problème vu que l’autre, j’en ai un double… je pourrai donc repartir d’ici vers d’autres cités aussi joyeuses…

Avant Ust Nera


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Ce qui m’avait plu dans ce resto de bord de route, c’est qu’il y avait des blinis, les crêpes russes et ça fait une semaine que j’en rêvais. Les petits déjs au goulash, ça n’a jamais été mon truc. Une nuit pluvieuse a considérablement rafraîchi l’atmosphère. Mais l’idée d’un café brûlant avec des crêpes me soutient le moral pendant tout le rituel de pliage du camp qui n’est jamais très excitant quand tout est mouillé. Pas de chance pour les crêpes matinales, à huit heures, c’est fermé… j’ attendrai deux heures, le temps de faire sécher la tente, de resserrer quelques boulons et de discuter avec les premiers arrivants mais dès l’ouverture, je m’offre la triple dose et je repars revigoré sur la piste balayée par des bourrasques qui sentent déjà l’hiver. La montagne est encore un peu plus, comment dire ; montagneuse, c’est le mot exact… le vent dégage l’horizon et chasse les nuages de poussière quand je croise les camions… Avant Ust Nera, il y a un petit bled de maisons en bois à côté d’un pont tout neuf, je m’y serais bien arrêté, mais il n’y a rien dans ce village pour loger les gens de passage, pour le seul vrai hôtel il faut aller à Ust Nera… Alors j’y vais, puisqu’il n’y a pas d’autre choix…il est temps que je prenne un bain chaud …

Adieu, auberge « konfort »


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A l’entrée du kafé, il y a une affichette « gastinitza Konfort »… l’auberge Confort… j’ignore s’il s’agit d’une réclame pour un lointain collègue ou si c’est bien le nom de cet endroit merveilleux. Pour moi, quoiqu’il en soit, ici, ça restera « l’auberge Konfort ». Il y a même un banya, le sauna russe, il est très rudimentaire et je n’ai pas eu le temps de l’essayer.

Mon pote Eugène me propose de le mettre en service pour le soir. Après deux nuits, je fais déjà partie des meubles. On prendrait vite ses habitudes ; le petit bureau face à la fenêtre, la vue sur la cabane à merde, quoi rêver de mieux pour l’inspiration. Mais entre l’envie de refaire sa vie dans un endroit sans nom et celle de toujours reprendre la route, je prends toujours la même décision. Maintenant qu’il y a de l’essence, il n’y a plus aucune raison de m’incruster…

La grande piste poussiéreuse continue de se dérouler entre plaines et collines. Après une centaine de bornes, sur la droite, il y a des constructions neuves, comme une petite ville, il y aussi de gros bâtiments industriels et un portail gardé à l’intersection, derrière un poste à carburant. Sans doute un mine d’or ou de diamant…

J’y retrouve, arrêté à la pompe, un des camionneurs à grosse nuque de l’avant veille. Il est en train de picoler à la vodka dans sa cabine et me propose de trinquer avec lui. Je n’ai pas le droit de refuser son kérosène que, bien entendu, il faut boire cul sec… et ses gobelets, c’est pas des dés à coudre, c’est des culs de bouteilles plastiques découpés à l’arrache. Il veut ma mort ce monstre… je refuse poliment la deuxième soupière en acceptant mon statut de françouss p’tite bite et tout c’qu’il veut… Trente bornes plus loin, il y a un kafé, je crois qu’une petite soupe me fera du bien…

Juste avant, j’ai croisé deux Slovaques sur des bécanes encore plus rustiques que la mienne… une MZ d’avant le déluge et une Honda CX 500, customisée grand raid de manière très approximative… on discute voyage, comme toujours dans ces cas-là et puis je les laisse repartir… le coup de vodka m’a latté la tronche et je vais camper dans le coin ; ce sera plus prudent… Je les retrouverai peut-être à Magadan, avec l’américain, et on fera une fiesta d’enfer…

Quand je me pointe au kafé, mon routier rustique est déjà là et visiblement, il a mal digéré son dernier shoot… la nuque encore plus rouge, les yeux encore plus enfoncés, déjà qu’il ne ressemblait pas à grand chose, là, il touche le fond. Heureusement, il n’a même plus la force de me brancher. Je peux boire tranquillement ma soupe et m éclipser pour prendre le temps de trouver un endroit ou planter mon campement.

Je trouve un bord de rivière avec un petit banc de pécheur et la table au même format. Je vais même pouvoir dessiner un peu… il y a tellement de moustiques que je garde tout mon équipement, cagoule comprise… je laisse juste dépasser les doigts pour tenir mon cayon… je n’ai jamais vu autant de moustiques sur des doigts…

Attente à la pompe


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La seule chose que je ne trouve pas, dans ce hameau iddylique, c’est de l’essence… juste du gasoil, la pompe est vide et la suivante à deux cent cinquante bornes…peut-être demain matin ; l’étape s’est imposée d’elle même.

Au milieu de l’agglomérat, il y a une cabane à quatre lits qui fait office d’auberge. A mon arrivée, Génya, Eugène en traduction, m’a aidé pour m’installer puis posé les questions habituelles; est-ce que j’ai un fusil, est-ce que j’ai vu des ours, avec la gestuelle qui va avec… et puis d’où je viens, où je vais, mon âge, mon métier…là je sens l’ouverture et je sors mon carnet de croquis.

Eugène en voudra une plus grande avec de la couleur, si l’essence n’arrive pas, je sais que je peux traîner dans ce lieu de rêve…

En attendant la livraison d’essence, on m’a allumé le petit poêle et je peux travailler tranquillement, chaleur, calme, repos… et quelle jolie vue par la fenêtre; des gravats de charbon, la baraque des chiottes et la cabane d’Hussein, le cuistot Ousbek. Derrière les chiottes, on a creusé un grand trou dans lequel chaque jour on balance des montagnes d’assiettes en plastique ; quand c’est plein, sans doute qu’on rebouche et qu’on creuse un nouveau trou juste à côté, comme pour les chiottes…ça économise l’eau , le plastique; pas de vaisselle.

Plus tard, dans mille ans, il y aura un étrange gisement sous le sol du bistrot qui n’existera plus, mais on me l’a déjà dit ; c’est grand par ici, il y a toute la place qu’on veut et puis « recyclage » ce n’est pas traduit dans le téléphone…

repartir…


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Une centaine de kilomètres de ligne droite entourée de mélèzes et puis, dans la trouée, apparaissent des montagnes La route se met à sillonner le long des rivières, traverse quelques vieux ponts de bois, monte et descend… elle s’offre sous toutes les textures : cailloux, terre, mouillé, pas mouillé, visqueux ou poussiéreux, flaques ou galets, mais dans l’ensemble, c’est de la très bonne piste, presque de la route, il ne manquerait que le bitume.Sur ces chemins lointains, on ne goudronne pas, on remblaye au fur et à mesure. A intervalles réguliers, sont garés des engins de chantier et des gros tas de gravats. Dès que les ornières ou les trous la ramènent trop, on rebouche et ça finira bien par se tasser tout seul, après le passage des engins. Les motos, sur les pistes à trous, elles slaloment, sur la taule ondulée, on lève les fesses, mais quand on a déversé là-dessus des gros tas de sable, de terre bien meuble ou de gravier, ça complique. Mais les rois de cette route, ce sont les camions, pas vraiment les motos qui n’ont qu’à s’adapter.Elles sont bien jolies ces montagnes mais on y croise pas grand monde… ma seule halte sera dans une sorte de hameau, avec une vague usine de je ne sais quoi et un garage à camion, seul lieu de vie sur cette étape montagneuse. Je m’arrête, besoin de repos… On y transforme un vieux custom en sidecar improbable, c’est l’occasion de lier conversation…Il n’y a que des gros bras tatoués, avec des petits fronts et des grosses nuques écarlates, mais on m’offre néanmoins des œufs durs et du thé. On a du savoir vivre entre gens de la route, quelque soit l’épaisseur du front.

Je tente quelques caricatures, c’est toujours bienvenu pour meubler, mais l’ambiance ne m’enchante pas et je préfère reprendre la route… Le ciel se dégage, les paysages sont de plus en plus beaux, mélèzes jaunissants, grandes plaines moussues de lichens mais le crépuscule pointe son nez et pas un bâtiment à l’horizon.

Entre la forêt avec ses ours et la plaine, ses marais humides, je n’ai pas trop le choix. Alors je roule jusqu’à ce que je trouve sur la droite un petit agglomérat informe de maisons en bois, de conteneurs, de cabanes de chantiers, de carcasses de camions… c’est l’aire de repos du coin, auberge, café, garage, station et même wifi… on trouve tout dans cet endroit qui n’a l’air de rien…

La pluie revient sur Khandiga


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Le lendemain, ça flâne, à l’internat. Pavel rapplique vers onze heures et nous voilà partis en quête de quelques accessoires, fusibles ou relais qui pourraient me dépanner plus loin.L’horizon s’assombrit et le tonnerre gronde, mais nous continuons, impassibles, à arpenter sans succès les boutiques de pièces détachées. Khandiga , bien que marquée en caractères gras sur la carte, n’a pas grand chose à proposer. Je change quand même un peu d’argent, je sais qu’après, il y a beaucoup moins d’agglomérations le long du chemin et si un ours me rackette, il vaut mieux avoir un peu de monnaie dans la poche.

Le ciel s’éventre et la pluie tombe dru… on se réfugie dans notre resto ouzbek favori.

Pavel me raconte un peu sa vie, les grands chantiers souterrains dans les mines d’or, cinq cent bornes au nord ; le froid, l’ennui, les congés deux jours par mois avec pour seule perspective, une virée à Khandiga, qui aux yeux des mineurs deviendrait une sorte de Las Vegas où venir claquer sa paye… mais où donc ? Je m’interroge ; on a déjà du mal à y trouver des fusibles pour la bécane !Le frère de Pavel débarque du nord, il passe le prendre avec un gros camion Kamaz pour l’emmener au boulot, là bas, à la mine du nord. Pavel a le regard transparent d’un gamin qui a encore tous ses rêves en stock derrière les yeux, son frère a le regard obtus de celui qui ne rêve plus à rien depuis longtemps, l’allure avachie, le bide pointé vers les flaques… Leur programme c’est biture familiale, je décline poliment l’invitation qui sent grave le piège mortel alors que moi, je suis prêt à repartir.

L’orage à cédé la place à un ciel de traine… au loin ça s’éclaircit déjà… demain, je pourrai aller voir un peu plus loin comment la piste a résisté à l’orage…d’après la carte, il n’y a pas grand chose avant trois cent kilomètres…L’aventure commence t’elle après Khandiga ?

Pavel le magicien


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Pavel est arrivé le cœur léger dans la fraicheur relative d’une fin d’été sibérien. Internet était revenu à quatre heures du matin, j’avais été averti par une petite clochette de reconnexion qui m’avait extirpé du sommeil. Mais j’avais eu les informations que j’attendais et nous avons pu nous jeter sur les zones suspectes. Sous le contacteur à clé et dans la commande au guidon droit, quelques fils bien fatigués avaient commencé à se surchauffer l’un l’autre. Pavel était sur son petit nuage, pour lui qui a l’habitude de tripatouiller des camions souterrains géants, ma moto, c’est un peu un playmobil. Il s’éclate, jubile, se régale, fouille dans tous les coins ce qu’on pourrait bien régler encore. Il repère quelques suintements louches, quelques câbles fourbes et en fin de journée, quand l’arrivée de la fraicheur et de l’obscurité nous fait ranger les outils, il m’a déjà concocté un programme pour le lendemain. Heureusement qu’il n’est, lui aussi, que de passage à Khandiga, parce que j’aurais sans doute passé l’hiver ici…  
    Mais, une fois revenu le printemps, je serais reparti d’ici avec une moto toute neuve…

Du ferry au collège…


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Le lendemain, je me suis réveillé à sept heures, au son du chargement de camions du premier bac. Je me lève tranquillement et je vais prendre un café chez mes voisins d’en face. Aliocha voudrait aussi sa caricature et aussi, tant qu’on y est, celle de son neveu. Grâce aux technologies modernes, nous discutons de nos vies, de nos métiers ou de nos familles, de l’islamisme et du retraitement des déchets. Aliocha  croit arriver à me convaincre qu’en Russie ça n’a pas d’importance… et sa preuve est irréfutable, « écologie », ce n’est pas traduit dans son téléphone russe !

On laissera passer la petite barge de dix heures pour prendre le gros bac de onze heures trente, Aliocha y tient beaucoup, c’est celui dont il tient la caisse, d’ailleurs il tient à m’offrir le voyage pour me remercier de tous les dessins.             Sur le bateau, on m’invite à traverser dans le poste de pilotage, mais aussi à caricaturer la moitié des marins.
On me priera ensuite de venir me restaurer au réfectoire du bateau mais je vais aussi caricaturer la cuisinière, une rondouillarde babouchka rougeaude et le capitaine, un beau et solide gaillard au regard d’acier.

Je repartirai le cœur léger, avec une douce impression que le monde m’appartient…

Quelques minutes plus tard, dix kilomètres avant Khandyga le moteur s’arrête net et là, soudainement, plus rien ne m’appartient…

Deux minibus Uaz gris s’arrêtent, un dans chaque sens, j’ai déjà commencé à chercher, j’imagine une panne anodine, une cosse débranchée, mal fixée, mais je ne trouve rien. Alors, Nikolaï qui, avec madame, va dans la même direction que moi, propose de me tracter jusqu’au garage de la bourgade. Arrivé devant, le doute m’assaille, je ne le sens pas ce mécanicien rustique et je demande à Nikolaï si il peut me tracter jusqu’à l’auberge du village.           La malédiction s’acharne, c’est complet et il n’y a pas de solution de secours…

Mais madame Nikolaï enquête au téléphone, pendant que monsieur son mari explique mon cas à un client de l’hôtel, vivement intéressé par mon cas. Pavel est Ousbek et mécanicien sur les camions souterrains qui travaillent dans les mines… il propose de venir me filer un coup de main devant l’internat du collège où on m’a trouvé une place.

Côté panne c’est un peu le désespoir, pourtant, l’un comme l’autre , on se dit que ça ne peut pas être grave. Alors nous allons bouffer dans un café Ouzbek, histoire de rester en famille et nous planifions nos soirées, il va chercher des solutions sur Internet et moi je vais essayer d’activer mes contacts au pays en espérant qu’ils soient déjà levés… mais soudain, vent de panique dans toute la ville ; il y a une panne Internet. On ne parle plus que de ça, Khandiga n’a plus sa fenêtre sur l’extérieur, sa bouée de sauvetage pour une jeunesse en mal d’ailleurs… Nous nous replions chacun vers nos couchages, on se sent abandonnés, prisonniers d’une réalité restreinte, comme si c’était la fin du monde…

Au bord de la Lena


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La route s’était dégagée, aérée puis s’était arrêtée au bord d’un grand fleuve.

Il y a un bac ; ce n’est même pas inscrit sur la carte.

Arrivé là, je n’ai pas hésité une seconde, plutôt que de me précipiter pour traverser, je me suis posé juste à côté, là où crèchent Alexandre et Kolia. Je ne sais pas exactement quel est leur boulot, mais ils habitent là, dans un charmant container monté sur un vieux Kamaz. Je me suis dit que passer la soirée avec ces deux pieds nickelés, ça serait mieux que tous les motels de Russie. Manquant considérablement de conversation, je me suis replié sur l’option caricature qui restera à tout jamais ma botte secrète… éclats de rires édentés, friture de fleuve fraichement pêchée et arrosée à la vodka. Je me suis replié poliment quand ils sont passés à la bière, amenée par Aliocha, le troisième Pied Nickelé…il m’avait bien semblé qu’il en manquait un…

De Churachoa à plus loin…


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Churaocha, une petite ville anonyme avec un hôtel qui n’en est pas vraiment un… au premier étage, des bureaux, au second, des salles vides et quelques chambres à cinq lits… ça ira très bien pour une nuit, même si il n’y qu’un filet d’eau jaunâtre au lavabo des chiottes. Je suis à cent soixante kilomètres de Yakutsk et je prends mon temps… Le matin, je vais dans le village chercher un petit déjeuner, de la viande et du choux, ce n’est pas de la viennoiserie mais ça va me tenir au corps.

Les bureaux du premier, au vu des photos affichées, ça doit être un ministère de la chasse ou quelque-chose comme ça. Il semble bien, que tout comme Maxime à Yakutsk, on me demande si je voyage seul et sans arme, c’est à cause des ours, il faut bien avouer qu’à deux et sans armes, ils n’auraient plus qu’à se tenir à carreau, les plantigrades.

Il fait beau, la route n’est pas trop fréquentée et c’est très bien, parce que les croisements dans la poussière on ne s’y habitue jamais… le sol est recouvert d’un subtil mélange ; un tiers sable, deux tiers gravier, il suffirait de saupoudrer de ciment un jour de pluie pour avoir un béton parfait.

Dans les cimetières fleuris, se côtoient des tombes traditionnelles en forme de petite maison, et celles de l’époque soviétique avec faucille et marteau et puis celles en ferraille moins jolies mais plus recyclables, des tombes constructivistes. Je m’y offre une pause de plus… les cimetières avec vue sur la campagne infinie sont des lieux privilégiés où l’on entend que le chant des oiseaux, pas un téléphone, pas une télé de merde, ça donnerait presque envie d’être mort…

Au bord du chemin, une carcasse de cheval est disputée énergiquement par les milans, les buses et les grands corbeaux… je m’arrête quelques instant, non pas que l’odeur soit euphorisante, mais le balai des oiseaux et leurs discussions animées au dessus de ma tête me change encore d’ambiance sonore…juste oublier la téloche des cafés de bord de route…

Parfois une bagnole s’arrête, on échange quelques mots que personne ne comprend, mais finalement quelle importance, on se sert la louche, on se congratule et on reprend nos routes et nos vies…


Vers cinq  heures, je m’offre une pause dans une jolie prairie avec les ruines de ce qui semblerait être une ancienne exploitation agricole. Il fait doux, c’est un bel endroit mais je trouve que c’est un peu tôt pour l’étape, alors je continue… juste un peu plus loin, je me cale sur juste une heure, histoire de trouver une autre prairie… mais un peu plus loin, c’est là que je trouve le tronçon sableux. Les renseignements qu’on m’avait filés, ce n’était pas du pipeau, et je ne m’attendais pas à trouver de la difficulté technique en fin de journée, le mélange béton a perdu en qualité, ça devient vraiment sableux, plus étroit et ça ne quitte jamais la forêt, celle bien épaisse où on m’a vivement déconseillé de camper seul et désarmé. Alors je m’accroche au guidon, je me concentre, surtout quand je croise des camions et que je dois m’écarter de la trace centrale un peu plus ferme. Le ciel rougeoie et la forêt ne s’arrête jamais… mais je finis par enfin trouver l’endroit idéal, au romantisme russe absolu et c’est là, immédiatement que je décide de faire la pause…  

le premier jour de route…


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Après avoir soigneusement rangé le club et révisé mes cours d’équilibrage de paquetage, il ne restait plus qu’à prendre le bac pour traverser la Léna. Une petite armada de vieux bacs sillonne le grand fleuve gris toute la journée. Les embarcadères ne sont pas l’un en face de l’autre, les passagers ont droit à une mini croisière pour rejoindre la petite ville de l’autre rive quelque kilomètre en amont, ou en aval, je ne sais pas dans quel sens il coule le long fleuve tranquille.

Le petit tour en bateau fut plus agréable que la dernière fois, de nuit, sous la neige avec une patte cassée ; là, on regarde défiler les bancs de sables et les mouettes rieuses, on fait des photos, c’est la vraie croisière. Je suis arrivé juste quand il allait prendre le large ; le mécano m’a fait un grand signe pour que je tire tout droit et que je m’incruste entre deux minibus à l’arrière. Les débarquements, comme d’ailleurs les
embarquements qui n’en sont que des copies inversées, rappellent de lointaines opérations sur les plages normandes, la passerelle est balancée le plus rapidement possible et pas question de trainer pour remonter la pente sableuse qui sert de rampe d’accès.

Commence alors la route de Magadan… après douze kilomètres de goudron, on se retrouve sur une piste pas trop défoncée. Je me demande parfois pourquoi on fait des routes toute lisses pour les limiter à quatre vingt et mettre des radars partout. Pour faire des économies, il suffit de faire comme dans ces contrées lointaines, juste des pistes, comme ça on ne le dépasse pas le quatre vingt… quoique….

Les minibus et les quat’quatres ont l’air de tenir à leur moyenne, je les laisse passer, mais ça fait de la poussière. Il faut arriver à doser son pilotage pour échapper au nuage de poussière du précédent sans risquer de se faire dépasser par le suivant, sinon on perd une partie. Si c’est dans l’autre sens et que, par exemple, des petits rigolos auraient l’idée saugrenue de faire des dépassements en négligeant ma présence, j’ai double dose de poussière et je recule d’une case. Vicieux comme jeu, il y a parfois la même situation mais dans les deux sens, mauvaise pioche, je perds un tour… je m’arrête et je vais pisser… Parfois aussi, c’est un peu plus calme, on s’arrête on fait des photos… le vieux couple de ricains en sidecar que j’ai dépassé n’ont vraiment pas de chance ; rupture d’amortisseur…et un side car, ça ne s’embarque pas dans le premier fourgon Uaz de passage. Je crois que la partie est perdue pour eux, ils ont cinq jours pour rejoindre Magadan où un transitaire doit faire expédier leur moto… il y a mille huit cent bornes de piste et en plus leurs visas se périment bientôt.

En voilà encore qui, malgré leur âge respectable, n’ont toujours pas assimilé la règle élémentaire : prévoir le temps qu’il faut, ne même pas le prévoir, juste s’offrir le bien être, le luxe inouï, de ne pas avoir à y penser…

dernier jour au club…


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Pour bricoler la béquille, je suis allé voir en face, là où il y a les chiens. Il y a vraiment plein de gens, là dedans, mais comme ils sont tous habillés pareil et que ça n’a pas l’air d’une secte, j’ai l’impression que c’est une sorte d’atelier municipal et puis, au fond, et bien personne n’y habite au fond ; c’est la salle de réunion. Ils s’y sont mis à je ne sais pas combien sur la bécane, et comme j’avais du mal à expliquer, j’ai manié aussi la grosse disqueuse, comme ça ils ont vu que je savais y faire. Après je suis allé chercher des bières pour remercier… on a pas beaucoup trinqué parce qu’ils avaient encore du boulot et pas le temps de parler de la coupe du monde…comme moi, la coupe du monde, je m’en fous et que je devais encore aller poster mon article en buvant mon demi litre, ce n’était peut-être pas plus mal…

Après avoir cherché un mécano qui accepte de me changer les pneus, je suis allé flâner dans la ville. Yakoutsk n’est certes pas la ville la plus sexy de Russie, mais savoir que tout ces immeubles tout neufs sont construits sur des plots en béton parce que, à plus deux mètres de profondeur, c’est gelé en permanence, c’est quand même impressionnant. Je ne sais pas ce qu’il se passera quand le permafrost va fondre, peut-être que la ville coulera… comme Venise bientôt, mais en moins pittoresque.

On s’y déplace plus facilement qu’en octobre et en béquilles, mais comme le ciel se couvre et qu’on annonce de la pluie, je me suis hâté de terminer le dessin commencé l’an dernier sur le mur du club… Pas beaucoup de public ; juste Maxim et un de rares « loups de la nuit» à ne pas être parti faire l’expédition annuelle en Crimée. On a juste bu du thé, puis on s’est dit au revoir… Je n’ai plus grand chose à faire à Yakutsk… même Natalia qui, en octobre, m’avait demandé de venir faire des ateliers à l’université a disparu… s’ il n’y a même plus Natalia, pourquoi resterais-je planté en attendant la pluie ?

j’ai demandé à Maxim de faire suivre mes skis à Magadan et lui ai proposé de garder les pneus de secours ; dans la boue, il vaut mieux voyager léger , demain je repars…

Encore un miracle informatique!


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Nolan m’a filé un casque, Furygan, comme son nom l’indique, des gants et puis la Mutuelle des Motards, comme son nom ne l’indique pas, le billet d’avion qui m’a ramené ici .

Tecnoglobe m’a complété la panoplie de fixation pour filmer dans tous les sens la route de Magadan, mais comme pour connecter mon nouveau modem satellite, j’ai dû rentrer une version plus récente du logiciel de mon téléphone et que pour ça, j’ai dû aussi réactualiser tout ce qu’il y avait dans mon ordinateur, j’ai découvert à peine arrivé que j’aurais aussi dû réactualiser mon logiciel de montage, que pour réactualiser cette chose, il fallait passer par mon téléphone, mais que pour passer par le téléphone, il fallait que je puisse y recevoir un message et c’est là que ça coince. En arrivant, j’ai glissé une carte « sim » russe à l’intérieur, allez donc savoir pourquoi ma bonne dame, ce message-là ne peut arriver que sur un numéro bien français, ma bonne dame, un qui sent la baguette, le calandos et le gros rouge, le pastaga et les cigales… ah bon, ça sent pas les cigales ?

Est-ce que c’était mieux avant, ou avang (pour le pastis) , du temps où on avait besoin que d’un carnet Moleskine pour faire un récit de voyage… qu’en sais-je seulement… si je n’arrive pas à filmer, je continuerai à dessiner…

Quand hier, j’ai compris qu’il fallait réactualiser le logiciel et que pour ce faire, une très bonne connexion était nécessaire, Maxim m’a emmené chez un pote à lui et de là, j’ai contacté un pote à moi, spécialiste des ordis et qui a toujours des solutions pour tout… il a donc décidé de prendre possession mon ordinateur depuis chez lui, comme un pilote de drone. Je me suis donc retrouvé chez des motards russes qui ne parlaient ni français , ni anglais, dans un grand canapé avec la souris de mon ordi qui se baladait toute seule, pilotée depuis Palavas les flots… et pourtant je n’avais encore rien bu…

A la recherche du wifi…


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A côté du « bike post », du « Klub », il y a tout ce dont on a besoin pour survivre, un petit resto Ousbek et un supermarché ; Kyriul m’avait déjà montré ça l’année dernière mais comme tout était verglacé et moi en béquilles , je n’avais pas pu visiter. Cette année, la route verglacée est une rue sableuse et après quelques minutes à pieds, je peux faire mes courses tranquillement, on y propose le même choix que dans tous les petits supermarkets du pays …des soupes aux nouilles chinoises, des saucisses de toutes les couleurs, des poissons séchés, du fromage, du lait et du kéfir, le lait fermenté, et des snickers. Il y a souvent un rayon de plats préparés, genre escalopes panées, mais pas ici, c’est pas de chance, c’est bien pratique ; le Kloub a tout ce qu’il faut pour se fristouiller des petits repas de célibataire.

La seule chose qui manque, dans le quartier, c’est le wifi… pour en trouver un qui ne rame pas trop, j’ai dû enquêter, arpenter les rues, bras tendu avec le téléphone brandi comme un compteur Geiger en quête de signal. En remontant la route goudronnée, deux cent mètres plus loin, je suis arrivé au  « Chaplin », un bar qui sert des bières d’un demi litre accompagnées de poisson séché tellement salé qu’on a vite fait d’en recommander une autre…

Certes, pour l’instant, mon récit quotidien est sauvé, mais si je traîne trop à Yakutsk, je ne vais pas tarder à prendre du bide…

Trois jours après mon arrivée, la moto tourne comme une horloge. Je progresse en timing de remise en ordre. Je suis très impressionné par la batterie chinoise achetée à Barnaul il y a deux ans ; il va falloir encore une fois, comme pour l’ indécrottable image soviétique de la Russie vue d’occident, partir en croisade contre les préjugés. Le produit chinois, c’est pas que tout pourri. Par contre, je me souviens d’une batterie allemande très chère qui n’avait pas résisté à quelques mois d’immobilisation… mais bon…

Il faut encore rectifier la béquille et monter les pneus qui m’attendent déjà à l’aéroport. Peut-être essayer de bricoler le feu arrière que j’ai explosé l’année dernière et tout devrait être calé pour un départ imminent.

Dans le hangar où j’avais laissé mes affaires l’année dernière, mes gants d’hiver et mon casque de Vladivostok ont disparu. Pour le casque, même si ça sent la malédiction, ce n’est pas trop grave puisque Nolan m’en a donné un tout neuf… pour les gants, tant que les températures  choisissent de se la couler douce encore quelques semaines, ce n’est pas très grave non plus, puisque Furygan m’en file aussi de temps en temps… Rien n’est grave, finalement, tant qu’on a la santé et de la soupe chinoise…

l’atelier de rêve


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Ces zones d’urbanisation anarchique se ressemblent partout dans le monde… en Russie, ça pourrait paraitre un peu plus déglingué, mais s’y entremêlent ,comme partout, vieilles maisons en sursis, entrepôts et ateliers divers, immeubles neufs, petits supermarchés et terrains vagues… ici, il y a peut-être, sous les énormes canalisations de chauffage urbain, un peu plus de gravats, de câbles électriques, de containers, de flaques de boues, de carcasses de camions… finalement, je repense à l’autre-là, et ses poulets et j’ai l’impression que je ne suis pas très objectif…

Quand je quitte le bikepost pour aller au travail, je prends un chemin parsemé de flaques qui m’amène, juste après une ruine de maison en bois mangée par les gravats, au petit entrepôt où est garée la moto… A l’entrée de la zone, trois clébards hargneux… j’ai déjà commencé à amadouer le plus teigneux. C’est que j’ai du boulot, moi, pas questions qu’ils me barrent la route.

C’est toujours un peu sinistre de commencer un voyage par quelques heures, ou quelques jours de cambouis…mais c’est un rituel obligatoire, la révision avant de rouler, et cette année, il n’y a rien de bien compliqué.

Dans cette cour à clébard, il y a plusieurs entrepôts-garages et ça traficote là dedans. J’y suis passé saluer en voisin et demander un chargeur de batterie… On dirait que le mécano habite au fond de son garage graisseux. Il y a un salon, un tapis, une table de cuisine et des théières , il y reçoit du monde, c’est la vie des garages informels. Peut-être que si, comme certaines années, je restais des jours dans mon garage en face du sien, je serais invité dans son salon, j’ai quand même déjà presque pactisé avec les chiens, c’est un bon début…

Mais la route m’attend ; la piste de Magadan. J’ai récupéré mes skis pour moto qui étaient restés au Baïkal depuis trois ans. Avec mes chaines reconstruites, si les pneus finissent par arriver, je semble paré pour affronter la piste.

Quand Maxim m’a amené, un petit camion partait dans l’autre sens avec, dans la benne, une grosse Béhème moderne toute cabossée. Max m’explique que c’est un motard de Saint Petersbourg qui s’est offert le même accident que moi. Ah bon ? répliquai-je curieux : il a lui aussi dérapé sur le verglas ? Mais non, évidemment pas ; lui c’est dans le sable… Putain le sable ; j’avais oublié que ça pouvait se trouver ailleurs qu’au Sahel… et le soir, pour meubler mon insomnie de jetlagué, je commence à angoisser sur le sable…je revois les gamelles, les pneus dégonflés, les embrayages en surchauffe… je m’attendais à la boue et je devrais retrouver le sable ? Je vais en faire quoi de mes skis, maintenant ? Les questions me submergent… alors, pour trouver la paix, je les retranscris minutieusement… et je prends mon temps ; comme ça, les moustiques viennent se poser un par un sur mon écran lumineux, et je suis sans pitié…ça calme…Demain sera, de toute façon, un autre jour…

Rencontre du troisième vol…


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Le troisième vol n’a pas manqué de panache non plus. Sur mon petit rang de trois fauteuils étriqués, on m’a installé à côté de deux énormes dames dont les bourrelets débordent de partout entre les accoudoirs. De grosses dames à l’air sévère qu’on ose pas déranger et qu’il est très difficile d’enjamber pour aller pisser. Jamais fauteuils d’avion ne m’a paru si petit. Aeroflot ne fait pas beaucoup d’effort sur les vols intérieurs. Les sièges ressemblent beaucoup à ceux dont on dispose sur les vols intérieurs français, c’est normal, on reste à l’intérieur, c’est juste une question d’échelle et de sens du confort… mais sept heures coincé entre les tas de graisse et le hublot, ça finit pas sembler terriblement long. Pour écrire, pour lire pour manger ou dessiner, le geste doit être mesuré au millimètre et pour ce qui est de tenter de changer de position, tiens, rêve donc, même le dossier n’est pas inclinable.

J’avais croisé avant de partir, un gars qui dressait encore de la Russie le genre de portrait bétonné de clichés qui finit par agacer.

Dès qu’on parle de ce pays, les mêmes poncifs ressortent ; la vodka, les déglingues, les infrastructures pourries ; le mec me parlait même de poules et de moutons dans l’aéroport…les clichés soviétiques ont la vie dure. J’y repensais d’ailleurs dans les navettes super modernes qui relient les terminaux de l’aéroport de Moscou et qui ont bien plus fière allure que les bus de Roissy. Il avait dû les rêver ses poules…Tiens, la prochaine fois qu’un russe me demande de parler de la France, je lui dirai qu’à Roissy, il y des moutons et des poules dans l’aérogare et puis aussi des zébus ou des ornithorynques, ça le fera rigoler !

Ceci dit, objectivement, dans ce Boeing 737, j’avais un peu l’impression qu’on avait recyclé les fauteuils des anciens Tupolev et je me disais que vers le nord, on retourne peut-être un poil en arrière…je suis ici pour prouver le contraire….

Maxim, le frère de Kyrul, m’attendait à l’aéroport. Je lui doit un milliard de remerciements de plus parce que, j’étais complètement dans le coltard et comme mes pneus ne sont pas arrivés, il m’a bien assisté pour remplir les paperasses…enfin, soyons franc, il s’est tapé tout le boulot.

Il m’a déposé au club où il n’y a plus de chat mais une vraie salle de bain, l’environnement est toujours aussi glamour mais j’ai déjà pu commencer à restaurer ma vieille monture…

airport blues


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Le processus continue… Trois vols doivent se succéder pour m’amener à Yakutsk… le premier a une demi heure de retard, le second sera sans doute à l’heure ; il va encore falloir courir, avec les bottes de moto aux pieds et le gros blouson sur le dos, ça ne va pas être simple, je risque d’avoir chaud. J’aurais dû demander l’assistance handicapé, ça simplifie les liaisons, mais ma cheville s’est très bien reconstruite, personne ne comprendrait ma flemme… je pourrais aussi prendre mon temps, me ménager au risque d’arriver trop tard et d’être reporté sur le vol suivant…mais comment vais-je récupérer mes bagages ?

Si le vol suivant a aussi du retard, ça simplifie le questionnement… couloirs interminables, contrôles, navettes, contrôles, le monde du transit est une humanité à part. Tous ce peuple en vacances qui devrait sourire d’insouciance, est submergé par le stress, l’angoisse de rater une correspondance, de perdre une carte d’embarquement ou ses papiers ou son pognon, ou son enfant et sa valise à roulettes. Tout ça est canalisé vers divers accès par un personnel blasé qui manipule ce flux comme une denrée anonyme, comme un bétail qu’on abat pas à la sortie… ce n’est d’ailleurs pas nécessaire, il est abattu tout seul par le décalage horaire …

Dans l’avion, on est encore loin des grands espaces. Sur quelques mètres carrés est entassé le même peuple stressé. Les genoux pas loin du menton, le passager doit s’occuper comme il peut, tenter de dormir, de lire ou de pianoter sur l’un ou l’autre gadget informatique. Il mange aussi, enfin il essaye. Si la grosse dame du siège de devant ne rabat pas brutalement son dossier en vue d’une tentative de sieste, il arrivera peut-être à manipuler quelques charcuteries élastiques, à se tartiner du fromage spongieux sans que tout le petit plateau ne se déverse sur son pauvre corps déjà bien mis à mal par la recherche de la position idéale.

Il paraît que tout ça contribue à huit pour cent des gaz à effet de serre…quand je serai tout seul sur ma moto, je me sentirai peut-être un peu plus rassuré…

La veille


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la veille, on peut se sentir légèrement oppressé…

Je pourrais être tenté de me laisser porter par l’image flatteuse du motard sillonnant en permanence les pistes chaudes ou froides de la planète, de laisser croire que rien n’arrêtera ma route infinie…mais pourtant, une fois la lassitude, la fracture ou la panne venue, je rentre à la maison… Ce choix d’alternative entre deux vies m’oblige, au moment des jonctions, de me fondre dans la masse exponentielle et mortifère du tourisme aérien.

C’est tellement l’extase de voyager seul sur des routes lointaines, d’arriver à la tombée de la nuit devant une petite douane perdue, c’est tellement plombant de se taper les queues d’aéroport, à l’embarquement, aux contrôles innombrables…

Mais juste après, le vieux canasson fidèle qui m’attend ne me réservera sans doute que des longues pistes boueuses ou poussiéreuse et puis de vraies pannes avec du métal qui fond, se tord ou casse avec fracas… je me réjouis d’avance…

par où? Vers où?


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Rien ne vaut le voyage lointain au départ de chez soi… Le baluchon sur la bécane, la clé sous le paillasson et c’est parti pour le bout du monde sans date de retour…

Mais je ne pars jamais pour l’éternité… un, deux ou quatre mois parfois, mais jamais plus… Au delà de quatre mois, cinq peut-être, on bascule dans une autre dimension qui fera basculer un voyage lointain en changement de vie. Je choisis le luxe de pouvoir traîner tout en rentrant régulièrement, osciller entre deux vies, ne jamais choisir vraiment. C’est une option intermédiaire qui ne manque pas d’attraits, elle m’offre le plaisir des retrouvailles et l’impression de m’immiscer progressivement dans l’ailleurs.

Mes voyages fragmentés m’offrent le temps de laisser le hasard me poser dans des endroits où personne n’aurait eu l’idée de poser quoique ce soit, pas même un regard… mais divaguer par intermittence exige des retours réguliers, des visas à tiroirs et des formalités douanières tentaculaires.

Et puis surtout, ça m’oblige à prendre l’avion …l’antithèse du voyage au long court , l’engin symbolique du tourisme de masse, le véhicule des hommes pressés…

virée apéritive énervante…


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Le but de cet échauffement était de me tester, moi, pas la moto ; de vérifier si, comme depuis toujours, la flamme de l’écriture se ravivait instantanément aux premiers virages.

J’ai donc rangé ma Thunderbird , ses légers bruits de transmission et ses cent cinquante trois mille kilomètres, aux archives au fond du garage, pour découvrir ce que j’imaginais être une moto moderne.

Il est vrai qu’elle est construite autour d’un concept à l’ancienne, un bon gros bicylindre sans radiateur, il y a des âges où ça rassure d’avoir des repères, des petites balises de nostalgie.

Les moyens de locomotion modernes c’est bardé d’informatique ; je n’ai rien contre, je ne suis pas un obsédé réactionnaire nostalgique du carburateur. Je comprends qu’il faut s’adapter, que la planète est en danger, qu’il faut polluer moins, mais malgré tout, je me pose des questions : à quoi servent-ils vraiment, tous ces capteurs  électroniques? La moto ne consomme pas moins que l’ancien modèle à carburateurs, mais quand arrivent les symptômes de ce que, jadis, j’aurais identifié comme une poussière dans le gicleur, plus moyen de démonter au bord de la route ; il ne reste plus comme option que la capitulation.

C’est l’électronique qu’on me dit partout avec un air désabusé… si l’électronique permettait des économies d’énergie, de pollution, de décibels, mais complotiste comme tous les vieillards, je me demande parfois si tout ça n’est pas une vaste arnaque capitaliste, une concession de plus lâchée au libéralisme triomphant : une obsolescence programmée pour laminer le recours au petit mécano de quartier. A la moindre pétouille, il n’y a  plus qu’une solution, l’agent exclusif et sa valise électronique.

Il y en a sûrement une de solution alternative, c’est pour ça qu’on aime la moto, c’est une secte où on trouve toujours celui qui connaît les solutions alternatives…mais je me pencherai là dessus à mon retour. Je vais laisser cette Moto Guzzi au fond du garage ; de toute façon, aucune inspiration n’est venue… l’ordinateur du tableau de bord m’envoyait tellement de messages alarmistes, qu’il fut difficile de rouler détendu .

L’inspiration m’avait lâché ; anéantie par l’informatique.

La répète…


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Un peu comme pour une répétition, je suis parti faire un tour pas loin de chez moi… le Massif Central, les Pyrénées, les routes du Sud, retrouver mes premiers émois, me replonger dans cette époque où j’imaginais la France comme un vaste territoire sauvage et hostile.

J’ai cassé la tirelire laissée en héritage par mes vieux parents partis pour leur virée définitive, leur ultime voyage, leur envol au pays des songes… ils avaient donc cassés leur pipes, tous les deux presque en même temps, solidarité ultime des couples à l’ancienne.

Ma sœur, mon frère et moi, on s’est retrouvé dans le camp des vieux et je m’étais toujours dit qu’ arrivé à cette étape de la vie, je m’offrirais mon dernier caprice, une bécane solide qui m’emmènerait jusqu’au bout de ma route…

Je me suis équipé du dernier gros trail bicylindre refroidi par air disponible sur le marché. Je trouvais ça sympathique, un bon gros moulin, de la vibration, de la moto Italienne comme on l’imagine, un truc vivant, plein de sensations.

On m’avait pourtant prévenu, une Moto Guzzi, c’est un style, il faut aimer les surprises, s’habituer aux facéties électroniques, mais en retour, on profite d’un machine généreuse en sensations… enfin, c’est ce qu’on m’avait dit ; un peu tout le monde, les journaleux, les puristes, les mécanos, tout ce qui gravite autour du petit monde de la moto…

Elle m’en a donné très vite des sensations, mais pas celles escomptées…

les questions sans réponses…


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Partir, repartir, s’enfuir, se retrouver, les fuir, les retrouver, les pays, les gens, la vie… personne n’arrivera jamais à trouver les mots juste, chacun ira de sa petite formule alambiquée et moi, éternellement, je me repose les même questions en sachant que là-bas, tout au bout, de l’autre côté, à chaque fois j’irai un peu plus loin et à chaque fois je trouverai une petite parcelle de réponse…