Deuxième jour à Bilibino


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Et voilà, ça y est, une routine s’installe. Le matin, pas franchement tôt, je pars au boulot avec Hassan. On y va à pied en prenant des raccourcis au milieu des friches industrielles enneigées qui entourent la ville aux immeubles colorés. Arrivé sur place, comme je n’ai plus rien à tchéquer , je sors la bécane qui démarre presque au quart de tour et je la range devant le hangar. Ensuite, je rechausse les skis et je m’entraîne un peu dans le quartier, il faut bien s’habituer à nouveau à cette conduite particulière. À l’heure de la pause, je fais comme tous les autres, je vais slurper ma soupe à la viande. Juste après, quand, comme les autres encore, je m’assoupissais sur mon téléphone, Hassan, aussi vociférant que d’habitude, est venu m’extirper pour je ne sais quelle surprise. En fait, il m’amène quelques containers plus loin rendre visite à Sergey, pas le docteur, un autre. Celui-ci occupe plusieurs containers, un pour élever des poulets, un pour se détendre avec une télé géante et un banya et un autre encore où il range sa puissante motoneige. Il a trois enfants de moins de dix ans, c’est fatigant, alors c’est ici dans ce lieu à la poésie infinie, qu’il vient se reposer.

C’était ça la surprise: la motoneige ; Sergey m’emmène en virée dans les collines environnantes et même, il me laisse piloter un bon bout de temps. On traverse des friches industrielles de plus en plus anciennes et minimalistes… la dernière, avec sa petite mine, ses miradors et ses barbelés, semble évoquer un passé carcéral lointain.

Sergey ne sait rien de tout ça, il me dit juste que c’est ancien et que c’est le trajet pour monter en haut de la colline d’où la vue est imprenable. C’est très insolite ce jeune homme aux joues bien roses qui fait des prouesses en rattrapage de gamelles sur son gros engin et ce décor où plus personne ne pense à ces destins qui, sans doute ici, furent happés par le néant. Et tout est resté en place… Comme les mines abandonnées ou les usines en ruine. C’est finalement bien plus troublant ; pas de musée ni de mausolée, juste les lieux à l’état brut, comme si tout le monde était parti d’un coup et que la neige avait tout recouvert.

Quand j’ai voulu lui montrer que ma bécane à skis c’était de la balle pour la glisse, elle n’a pas voulu repartir… Cette batterie n’aime vraiment pas qu’on l’abandonne dans le froid… Il m’a ramené tout déconfit chez Hassan où, bien sûr, Un repas chaud m’attendait …

Ce soir, Hassan était sobre… Le problème c’est les visites surprises. Le visiteur amène toujours de quoi manger et une bouteille qu’on se doit de vider dans la foulée. Avant-hier, c’était Artium et un chauffeur qui était prêt à m’emmener tout de suite. Le lendemain, un petit gars du Daghestan. À chaque fois, l’invité surprise amène du lard ou du poisson et Emma bien sûr se remet à cuisiner. Ce soir Emma est partie avec les enfants, c’est plus calme… quant à l’invité du jour, c’est mon petit flic d’Omolon. Je le retrouve partout celui-là. Je l’avais déjà croisé en ville et là, je vais lui tirer le portrait et trinquer avec lui. On étudie consciencieusement les cinq cents bornes de toundra qui me séparent de Pevek, la prochaine ville. Il faut prendre en compte l’état de la route et de ma batterie, les endroits où il y a moyen de faire étape et je ne parle même pas du taux de résistance de mes chaînes à neige et de mes skis en ferraille sur les inévitables tronçons déneigés … Tout ça est bien compliqué et demande réflexion… Comme on pourrait dire à chaque fois ; on verra bien demain…