Egvekinot, la vie s’organise


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Mon auberge est dans la première rue à droite quand on accède à la ville. La fenêtre de la cuisine donne sur la route qui part vers l’aéroport et la montagne, la route quoi ; il n’y en a qu’une. Comme d’une citadelle devant le désert des tartares, je scrute ; pendant les longs crépuscules, les phares se voient un quart d’heure avant l’arrivée des véhicules. À chaque fois, je me crispe; et voilà, ce sont eux, les camions arrivent.

Mais c’en est toujours d’autres, souvent des bus. Ici les bus sont juste des gros camions aménagés ; on a remplacé la benne par une cabine vitrée et c’est très bien comme ça sur les routes défoncées . Il faut juste vraiment faire attention à la marche en descendant.

J’ai promis d’aller faire une conférence au collège quand j’aurai récupéré des vêtements dignes de ce nom: mon blouson, mes pompes et un jeans… Pas cette énorme salopette polaire affublée des grosses bottes en caoutchouc doublées qui me foutent totalement la honte quand je vais consulter Internet à la bibliothèque ; le seul endroit où j’ai retrouvé une vraie connexion depuis Omolon.

À condition d’y aller en fin d’après-midi et par temps clair, mais il faut bien reconnaître qu’il y a un net progrès. Ça marche. Moi aussi je marche, toujours le même petit circuit; l’unique remontée mécanique qui surplombe la ville, le port et le bord de mer. Il fait beaucoup moins froid, ça fond partout pendant la journée et les bulldozers déplacent des gros tas de neige grise, c’est le printemps. Les gens me font souvent remarquer que je n’ai pas mis mon bonnet; peut-être le gardent-t-ils jusqu’au mois de juin. Pour moi, ça va, c’est bien le printemps et je laisse le vent caresser mes oreilles…

Je me suis déjà fabriqué ma petite routine en attendant les camions. Lecture, dessin, écriture ; c’est une routine studieuse, ça me repose les jours précédents.
J’ai mon magasin juste à côté pour les petites courses et un kafé un peu plus loin si je veux un plat cuisiné. Ce serait presque un bonheur simple… Mais en permanence je me dis : mais où sont donc passé ces foutus camions ?