Il y a peu, pour préparer une rencontre entre écrivains motards organisée par le musée d’art contemporain de Lyon dans le cadre du festival Quais du Polar, on s’est relu et délecté du court mais intense, et farfelu roman écrit par Patrick Raynal, « La Poignée dans le Coin », sorti en 2001 aux éditions La Baleine, oui celles qui publiaient la collec’ du Poulpe au début de ce siècle (et aussi à la fin du dernier).
Mais tout d’abord, et gaz en grand, le scénar’: à plus de 70 ans, James Durham ne connaissait rien à la vieillesse. Il chevauchait son Heritage Softail 1300 sur les routes du midi avec une seule idée en tête : rejoindre sa ville natale, Oakland, Californie, USA. L’ennui c’est que le redoutable dieu des bikers n’est pas différent des autres. Il adore jouer avec ses sujets, et le destin de James croisa celui de Carlotta dans un hôpital où seule la mort lance les dés…
James contre Carlotta, ou 70 ans de vie infernale dévouée aux anges du même nom contre 87 de dissimulation bourgeoise. La partie semble inégale : un vieux biker ricain contre une encore plus antique rassie antiboise, voilà un combat perdu d’avance ! Mais le destin ne bascule pas du côté que l’on croit…
À la lecture du titre, après inspection de la couverture, on s’attendait à un récit sombre, et peut-être même à la description de rides (et non de rides…) tendus sur les corniches des Alpes-Maritimes. Il n’en est rien. Le Niçois Raynal délaisse machine, routes et paysages pour se concentrer sur le motard, James, ricain perdu dans un hosto français.
« Impavide, James accueillit le pronostic sans tiquer. Il le savait. Il avait roulé la poignée dans le coin toute sa vie et ne s’était jamais vu dans la peau d’un centenaire ».
« Je venais d’avoir un accident avec ma moto préférée », une Norton Commando, explique Patrick Raynal, qui fut le directeur de la Série Noire Gallimard (rien que ça !). Et a signé un des meilleurs romans policiers de la collec’ Lecouvreur, « Arrêtez le Carrelage » (Baleine, 1998), dans lequel la Norton a son mot à dire, d’ailleurs…
« A l’hôpital, ils m’ont soigné et mis dans une chambre. Et là, j’ai vu débouler un tas de blessés qui attendaient le petit nouveau pour tuer le temps en discutant accidents, meules et routes. C’est ce qui m’a inspiré cette histoire ». Avant de se planter devant la machine à écrire, Raynal avait aussi rencontré, sur la Côte d’Azur, des bikers américains en villégiature. Il s’était demandé ce qu’il pourrait leur arriver s’ils restaient coincés de ce côté-ci de l’Atlantique.
Amusante et peu ordinaire, cette fiction courte (120 pages écrites en caractères gros mais jamais gras), bien plus colorée que la couleur grise de la collection dans laquelle l’éditeur l’a rangée, se lit d’un trait, la plume de Raynal, trempée dans une encre fleurie, ne se montrant jamais plombée.
On sent que l’auteur, harleyiste revendiqué (même si ex-maoiste, si si c’est possible !) qui s’est mis à la BMW contraint par l’âge, a pris malin plaisir et jubilation à décrire les aventures hôpitalistiques d’un motard qui, faute de guidon, ne peut s’accrocher qu’à des béquilles et déambuler dans d’immaculés corridors n’ayant rien à voir avec un quelconque accès au paradis.
Ce livre, on l’a lu la poignée dans le coin, sans jamais le poser sur la table de nuit, et on s’est bien amusé. Allez, si, juste une fois, qu’on l’a posé, pour remplir le réservoir, minuscule comme celui d’une Harley… et une autre, pour aller vidanger.
Roman : « La Poignée dans le Coin » de Patrick Raynal aux éditions La Baleine, 120 pages format poche. Quelques exemplaires sont encore en vente, via la guerrière américaine, au prix de 9 euros.