Polar : chapitres sanglants sur le chapitre boulonnais


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On a dégoté ce polar, intitulé Boulogne K et publié en 2012, qui ravira les amateurs de chapitres sanglants sur un étonnant chapter de bikers, le chapitre boulonnais en l’occurrence.

Truands dessoudés, prostituées équarries, flics ripoux, hommes de main psychopathes, came mortelle… Boulogne-sur-mer n’en a sans doute jamais autant vu ni entendu que depuis qu’un club —un chapitre— de motards vient de s’y installer…

À côté de la violente avalanche qui s’abat sur le lecteur dans Boulogne K, Sons of Anarchy relève du roman photo pour dames patronnesses. Ce polar le prendra au collet et ne le lâchera plus jusqu’à une fin apocalyptique dont nul ne sort indemne. Aucun cliché ne lui est épargné. Prenons les styles des grands auteurs du genre et… touillons !

Le récit fonctionne malgré tout très bien, mais il est usé et abusé d’un argot avec lequel contrastent des descriptions, trop pédagogiques, des motos.

L’auteur, Michel Vigneron, est en poste au commissariat de Boulogne-sur-Mer depuis 2005, où il est chargé des équipes de nuit. Il connaît bien le milieu qu’il décrit et s’inspire du quotidien vécu par ses collègues pour écrire des polars hyper réalistes. « Après Marilyne de Boulogne paru en 2008, voici le roman le plus violent de la collection polars en nord », prévient l’éditeur en 4e de couverture.

Roman noir : « Boulogne K, la sanglante histoire du chapitre boulonnais », par Michel Vigneron, éditions Ravet-Anceau, collection Polars en Nord ; 256 pages, 10 €.

Polar : dans « L’âme du chasseur » la moto est un personnage


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Avis à celui qui, durant sa villégiature estivale, cherchera à se délecter d’un vrai polar motard, dans le sens où la moto tient le rôle d’un personnage à part entière. Le second rôle, en l’occurrence. « L’âme du chasseur » est pour lui !

Ce roman policier est sorti en 2005 en France, et fut l’occasion de découvrir l’écriture précise de Deon Meyer, écrivain attachant, qui pratique par ailleurs à tours de bras la moto off comme on-road, sur les routes comme sur les pistes caillouteuses de l’hémisphère sud.

Voici ce que nous écrivions sur l’ouvrage, dans Moto Magazine lors de sa sortie, en 2005 :

Autrefois tueur d’élite au service de la cause anti-apartheid, « P’tit » Mpayipheli coule désormais des jours paisibles comme homme à tout faire dans une concession BMW de Johannesburg, jusqu’au jour où son sens de l’amitié l’invite à une mission express à l’autre bout du pays.

Seule solution : « emprunter » une R 1150 GS à son patron, pour mieux échapper aux services secrets sud-af’ qui ont donné ordre de le ramener mort ou vif. La course-poursuite plein gaz qui s’en suit est parfaitement orchestrée par l’auteur, comme ce jeu de piste où se croisent services de renseignements de tous bords, groupuscules extrémistes et même motoclubs locaux.

Bonus pour le lecteur parvenu au bout de la route : la découverte d’un personnage hors norme et attachant comme le pays qu’il traverse. Et cerise sur le gâteau : le second rôle tenu par la moto est sans fausse note. L’auteur est motard, cela transpire à toutes les pages.

Qui sonnent juste : de la prise en main de la « grosse moto » par un homme ne conduisant au quotidien qu’une légère Honda Benly 200 cc, jusqu’aux descriptions d’une très longue traversée des pistes traçant vers la Zambie fatigue au guidon inclue, Deon Meyer raconte une belle rencontre entre l’homme et la moto. Aussi sensible qu’une rencontre amoureuse, dans laquelle le partenaire, forcément, n’est pas aussi docile qu’on le souhaiterait.

Cette interaction homme-machine, qui attendrira tous les motards, s’ajoute à la narration sauce polar, si bien préparée par un auteur maîtrisant ses moyens littéraires, son style, et qui sait donc happer le lecteur pour l’emmener vers une voie dont l’issue reste incertaine jusqu’à l’ultime page.

Ce n’était pas le premier roman policier publié par le Sud-Africain en France, mais sans doute celui qui l’a fait connaître, et classer au rang de référence du genre. Celui qui fut directeur de la Série Noire Gallimard, Patrick Raynal, lui a d’ailleurs rendu hommage, en 2014 au festival Quais du polar de Lyon :

« J’ai adoré ce livre. Ce qui est formidable, c’est son intelligence. Il prend un personnage fort, un ancien tueur, un type qui n’a peur de rien. Brusquement, il vole une moto, et là il est sur le point de se faire submerger par cette machine. Il n’a pas évalué que l’engin, une BMW R 1150 GS, pouvait l’envoyer au tapis.

Donc, en même temps qu’on avance dans le voyage, on vit le domptage de la moto par son conducteur. « L’âme du chasseur » est vraiment le premier polar depuis longtemps, qui mette la moto en scène de manière extraordinaire. La moto est le second personnage. »

Couverture, version poche :

Extrait :

« Mpayipheli faillit tomber avant même de s’être vraiment mis en route. La puissance de l’énorme machine le prit totalement par surprise lorsqu’il accéléra pour tourner dans Oswald Pirow. L’engin répondait si différemment de sa petite Honda Benly qu’il manqua lui échapper. Et la taille – la GS était massive, lourde, haute et difficile à manier. Il eut un choc, l’adrénaline lui fit trembler les mains et la visière de son casque se couvrit de buée. Il lutta pour redresser la moto, remit les gaz avec précaution et parvint jusqu’au carrefour de la N1. Quand il freina, l’ABS avant se déclencha brutalement et il fut à deux doigts de basculer à nouveau. Il s’arrêta, le souffle court, les genoux flageolants. Il ne voulait pas finir sa vie sur cette machine allemande. » Deon Meyer, « L’Ame du Chasseur », 2005.

 

Polar : « L’âme du chasseur » (2005) par Deon Meyer, éditions Seuil Policier, 428 pages ; en vente en format poche à 7,51 euros ; au format original, neuf, à 7,99 euros.

Retrouvez l’interview « moto » de Deon Meyer dans le n°309 de Moto Magazine (juillet-août 2014)

Retrouvez tous les livres et romans « moto » disponibles dans la Boutique Motomag.com

Retrouvez tous les romans publiés en France par Deon Meyer aux éditions du Seuil

Roman de poche : les tribulations d’un motard coincé à l’hôpital


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Il y a peu, pour préparer une rencontre entre écrivains motards organisée par le musée d’art contemporain de Lyon dans le cadre du festival Quais du Polar, on s’est relu et délecté du court mais intense, et farfelu roman écrit par Patrick Raynal, « La Poignée dans le Coin », sorti en 2001 aux éditions La Baleine, oui celles qui publiaient la collec’ du Poulpe au début de ce siècle (et aussi à la fin du dernier).

Mais tout d’abord, et gaz en grand, le scénar’: à plus de 70 ans, James Durham ne connaissait rien à la vieillesse. Il chevauchait son Heritage Softail 1300 sur les routes du midi avec une seule idée en tête : rejoindre sa ville natale, Oakland, Californie, USA. L’ennui c’est que le redoutable dieu des bikers n’est pas différent des autres. Il adore jouer avec ses sujets, et le destin de James croisa celui de Carlotta dans un hôpital où seule la mort lance les dés…

James contre Carlotta, ou 70 ans de vie infernale dévouée aux anges du même nom contre 87 de dissimulation bourgeoise. La partie semble inégale : un vieux biker ricain contre une encore plus antique rassie antiboise, voilà un combat perdu d’avance ! Mais le destin ne bascule pas du côté que l’on croit…

À la lecture du titre, après inspection de la couverture, on s’attendait à un récit sombre, et peut-être même à la description de rides (et non de rides…) tendus sur les corniches des Alpes-Maritimes. Il n’en est rien. Le Niçois Raynal délaisse machine, routes et paysages pour se concentrer sur le motard, James, ricain perdu dans un hosto français.

« Impavide, James accueillit le pronostic sans tiquer. Il le savait. Il avait roulé la poignée dans le coin toute sa vie et ne s’était jamais vu dans la peau d’un centenaire ».


« Je venais d’avoir un accident avec ma moto préférée », une Norton Commando, explique Patrick Raynal, qui fut le directeur de la Série Noire Gallimard (rien que ça !). Et a signé un des meilleurs romans policiers de la collec’ Lecouvreur, « Arrêtez le Carrelage » (Baleine, 1998), dans lequel la Norton a son mot à dire, d’ailleurs…

« A l’hôpital, ils m’ont soigné et mis dans une chambre. Et là, j’ai vu débouler un tas de blessés qui attendaient le petit nouveau pour tuer le temps en discutant accidents, meules et routes. C’est ce qui m’a inspiré cette histoire ». Avant de se planter devant la machine à écrire, Raynal avait aussi rencontré, sur la Côte d’Azur, des bikers américains en villégiature. Il s’était demandé ce qu’il pourrait leur arriver s’ils restaient coincés de ce côté-ci de l’Atlantique.

Amusante et peu ordinaire, cette fiction courte (120 pages écrites en caractères gros mais jamais gras), bien plus colorée que la couleur grise de la collection dans laquelle l’éditeur l’a rangée, se lit d’un trait, la plume de Raynal, trempée dans une encre fleurie, ne se montrant jamais plombée.

On sent que l’auteur, harleyiste revendiqué (même si ex-maoiste, si si c’est possible !) qui s’est mis à la BMW contraint par l’âge, a pris malin plaisir et jubilation à décrire les aventures hôpitalistiques d’un motard qui, faute de guidon, ne peut s’accrocher qu’à des béquilles et déambuler dans d’immaculés corridors n’ayant rien à voir avec un quelconque accès au paradis.

Ce livre, on l’a lu la poignée dans le coin, sans jamais le poser sur la table de nuit, et on s’est bien amusé. Allez, si, juste une fois, qu’on l’a posé, pour remplir le réservoir, minuscule comme celui d’une Harley… et une autre, pour aller vidanger. 

Roman : « La Poignée dans le Coin » de Patrick Raynal aux éditions La Baleine, 120 pages format poche. Quelques exemplaires sont encore en vente, via la guerrière américaine, au prix de 9 euros. 

Deux romans sur des serial killers qui sont aussi motards


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Peut-on être à la fois serial killer (tueur en série) et motard ? Eh bien oui, si l’on en croit ces deux romans qui ont en commun de traiter de ce sujet grave, et d’intégrer la moto comme mode de transport des loups solitaires que sont leurs personnages principaux.

Le thriller est un genre à la mode, prisé des éditeurs parce que ces histoires menées tambour battant et spectaculaires se vendent bien. Dans « Ta mort sera la mienne », le « héros » est un serial killer qui se déplace à moto jusqu’à l’endroit où il a décidé de commettre un massacre…

Voilà un roman redoutablement efficace pour se détendre en vacances. Un motard se rend dans un centre de vacances (justement) sur la rive du Colorado dans l’Utah (aux States). Arrivé à l’accueil, sans retirer son casque, il sort de son sac de golf sa sulfateuse et dézingue tout ce qui se présente de vivant sur son passage.

Le reste des pages permet à l’auteur français Fabrice Colin d’expliquer pourquoi Troy en est arrivé là, à travers le point de vue de trois personnages clés. Évidemment, c’est pas joli joli…

Écriture efficace quoique ayant une légère tendance à l’embonpoint (l’abus de hamburgers…), dramaturgie liée à l’actualité (les serial killers, les armes en vente libre)… bienvenue aux Amériques comme ils disent. Certains y verront amalgames et clichés, d’autres un récit d’une redoutable efficacité.

La moto du tueur est une Harley Davidson, s’il était utile de le préciser. Mais ce pourrait être une Indian ou un trois-roues Can-Am Spyder, peu importe à l’auteur qui ne s’attarde pas sur la description des machines. Il utilise le motard pour ce qu’il représente, un personnage solitaire, casqué, effrayant. Troy porte son heaume pendant qu’il dessoude à toute berzingue.

A ce récit, efficace mais superficiel, nous en préférons un autre, beaucoup plus profond, paru en 2012, qui traite lui aussi de la thématique du tueur en série, qui fait lui aussi appel à la moto pour « les besoins du tournage », et dont l’intrigue se déroule elle aussi aux Etats-Unis alors qu’elle a été écrite par un Français  : « Avenue des Géants » de Marc Dugain.

Ce livre romance la vie d’Edmund Kemper, serial killer américain d’un gabarit particulier – il mesure 2,20 m et a le QI d’Einstein – qui défraya la chronique dans les années 60-70 aux Etats-Unis. En écrivant à la première personne, l’auteur se met à la place du tueur, en prison pour longtemps, et fait défiler sa vie de dingue. Dugain en profite pour dépeindre l’Amérique des années 60, entre l’assassinat de Kennedy et l’émergence du mouvement hippie.

La moto n’y fait que de très brèves apparitions. Mais celles-ci sont justes et bien renseignées (à propos d’une Indian modèle 53 : « Elle faisait passer une grosse Harley pour un vélo d’appartement »). Un grave accident de moto contribuera à forger le destin macabre du jeune homme.

Cette plongée dans l’Amérique des sixties, ses hippies, ses Hell’s, la route à laquelle Dugain avoue vouer une fascination, est à ce point formidable qu’on n’a pas résisté à l’envie de vous inviter à sa lecture. Et en dire plus ne ferait que gâcher votre plaisir…

Thriller : « Ta mort sera la mienne », par Fabrice Colin, éditions Sonatine ; 350 pages, 14×22 cm, 22 euros.

Roman : « Avenue des géants », par Marc Dugain, éditions Gallimard, 364 pages, 22×15,5 cm, 21,50 euros.

Polar : plongée dans les courses de moto des années 20


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Voilà un roman policier qui nous intéresse : il est imprégné de l’univers des courses de moto des années 20 en Allemagne. « Des Hommes de Tête » se veut autant historique que passionnant par son intrigue.

Hanovre, avril 1926. C’est la première course pour le championnat motocycliste d’Allemagne. Deux des pilotes, Falk von Dronte et Arno Lamprecht, veulent profiter de l’enthousiasme des masses pour le nouvel âge de la technique. Ils sont rivaux depuis quelques années. Chacun a ses raisons d’effacer son passé munichois…

L’Allemagne en crise des années 20, des cadavres à tête coupée, des complots politiques, constituent la colonne vertébrale de ce polar. Le casting – le prolo, le noble, le (futur) nazi, la femme fatale, le tueur en série, le commissaire implacable – est certes un peu stéréotypé mais le récit bien huilé tourne comme un flat allemand.

Et le décor socio historique, l’Allemagne exsangue post-grande guerre alors que pointe le nazisme, est particulièrement renseigné. Comme l’univers motocycliste de l’époque, qui voit s’affronter dans un championnat d’Allemagne à couteaux tirés les grandes marques et leur pilotes (Kornmann sur Euperia, Henne sur BMW, Gregor Greyer sur Horex, Petzold sur Brough Superior…) et jette sur le scénario une belle odeur d’huile brûlée.

Les deux auteurs savent y faire, eux qui avaient déjà signé à quatre mains l’ouvrage précédent, « Deux dans Berlin ». Richard Birkefeld (né en 1951) et Göran Hachmeister (né en 1959) sont deux historiens. Leur domaine de recherche couvre l’histoire culturelle et sociale de la première moitié du 20e siècle. Ils ont publié de nombreux livres et essais d’histoire. Leurs connaissances procurent à ce roman une dimension presque documentaire.

Les empoignades sont à l’image des hommes, sauvages, et nous, lecteurs, on passe les chapitres à la volée pour gagner au plus vite la ligne d’arrivée ! Parfait pour vacances paresseuses…

Polar : «Des hommes de tête», par Birkefeld et Hachmeister, Editions du Masque, 400 pages, 15 x 23 cm, 22 €.

Le périphérique a 40 ans, le Prince Noir a 25 ans


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Le boulevard périphérique parisien a 40 ans, et c’est l’occasion de se remémorer un fait-divers célèbre dans le monde de la moto, le record du tour du Prince Noir, qui lui a 25 ans. Ca tombe bien, un romancier, Frédéric Ciriez, en parle dans « Mélo » (éditions Verticales).

En 1988, Pascal, surnommé le Prince Noir, boucle sur une Suzuki GSXR le tour du périphérique (35 km) en 11 minutes, donc à la vitesse moyenne de 192 km/h. Cet « exploit » est filmé par une caméra installée derrière la bulle de sa Gex. Un reportage sensationnaliste est diffusé dans l’émission « Reporters » sur la 5, qui se veut alarmiste sur les risques pris par une certaine partie de la jeunesse française, et se conclut par un petit rappel, 800 motards se sont tués sur les routes cette année-là.

A une époque où ni Internet, ni la Go-Pro n’avaient encore révolutionné la diffusion des exploits à moto, ce reportage a fait le tour de France et alimenté la controverse, confortant ceux qui pensent que les motards sont tous de dangereux abrutis. Le Prince Noir est, par la suite, devenu une sorte de légende. Il y a ceux qui l’ont connu, ceux qui savent ce qu’il est devenu et ont même son numéro de portable, et ceux qui affirment que Pascal est mort. Il y a ceux qui démentent… Et il y a ceux qui l’intègrent à un roman.

Frédéric Ciriez a publié récemment « Mélo » aux éditions Verticales. Dans la première partie de ce roman construit comme un triptyque, narrant trois drôles de vies parisiennes, il ne fait pas parler le Prince Noir mais Christian, un autre motard qui, à l’époque, s’éclatait lui aussi avec ses amis sur les voies rapides urbaines autour de la capitale.

Selon le romancier, ce fait-divers symbolise la surenchère dans la production d’images toujours plus sensationnelles, et devient une métaphore de l’accélération culturelle. Décryptage…

Dans « Mélo » tu t’intéresses à Paris et au périphérique. Pourquoi le périphérique ?

Sur un plan culturel, de grands écrivains se sont emparés de cette autoroute urbaine, à commencer par Jean-Patrick Manchette. « Le petit bleu de la côte ouest » (1976) commence et termine par l’errance d’un cadre sur le périphérique. Son personnage est satellisé, c’est une élipse de la dépression, du vide, de la misère intellectuelle et politique. En 2002, Olivier Rolin a publié « Tigre en papier ». Un conducteur en DS nostalgique roule sur le périphérique en racontant Mai 68 à sa passagère, fille d’un copain maoïste qui est décédé. Il existe un imaginaire littéraire, culturel, politique et véhiculaire du périphérique.

Le mythe du Prince Noir, tu es tombé dessus par hasard ?

Non, l’histoire du motard qui a fait le record du tour m’intéressait. Un copain m’a affirmé le connaître, il a fini par me rencarder sur un mec un peu mystérieux, Christian. Je vais le voir en banlieue. Ce n’est pas le Prince Noir mais il l’a connu… Cet ancien cascadeur me raconte avoir vécu les courses de moto sur le périph’ dans les années 80. Il a même été payé par la télé belge pour jouer le rôle d’un faux Prince Noir. Cet entretien fut d’une richesse incroyable : les courses, les reportages télé bidonnés… Tu imagines la masse de significations répercutées par le périph’ : le spectaculaire et le simulacre ! J’ai décidé de mettre en scène la parole de Christian. J’ai injecté cette vraie interview dans le roman, à travers une fausse émission de France Culture, « Récit B », qui passe dans l’autoradio d’un de mes personnages. Dans la réalité, la voix de Christian était extraordinaire et dans le contexte d’un roman, le challenge était de la retranscrire à l’écrit, tout en la plaçant dans une émission de radio !

Tu utilises l’événement « Prince Noir » comme le symbole d’une société qui tourne en rond…

Le Prince Noir et son record « stupide » allaient au-delà d’une simple perf’. Je l’interprète comme un symptôme, révélateur de l’accélération culturelle. L’Allemand Hartmut Rosa a publié, en 2010, un essai incontournable, « Accélération », qui est une critique sociale. Le mythe du Prince Noir, c’est l’accélération dans tous les sens du terme, la pulsion de mort, la centrifugeuse culturelle qui produit des images, des disques et des bouquins tous les jours en sachant qu’on ne pourra pas les lire. Le Prince Noir annonce, à sa manière, cette centrifugeuse culturelle qui nous noie. Je suis convaincu que Prince Noir n’a pas pu installer une caméra sur sa bécane seul, contrairement à ce qui est affirmé dans le reportage diffusé sur La 5. Christian, qui a fait du cinéma et connaît la technique, estime que ce récit a été bidonné par les journalistes, et je veux bien le croire. On est dans le spectacle.

Prince Noir n’a rien tiré de cette aventure…

Ce témoignage, c’est aussi l’histoire populaire de gamins de banlieue qui venaient à Paris. Je ne me moque pas de ce record, j’essaie d’en comprendre le sens. Après lui, il y a eu Ghost Rider, encore plus cinglé, qui a stylisé le concept en faisant un clip avec de la techno… Ils intègrent le champ de la production culturelle, ils deviennent des effets de culture générés par la centrifugeuse. En ce sens, Prince Noir est très important. C’est comme son sobriquet stupide : il signale l’impossibilité d’avoir une transcendance par le nom.

Tu n’as pas pu le rencontrer ?

Non, il y a beaucoup de barrières autour de ce Pascal. Mais il n’est pas mort. Cela aurait été intéressant de le rencontrer, mais pour moi il est plus intéressant encore d’avoir enregistré la parole de Christian. Celle de Prince Noir aurait eu d’autres enjeux. Christian est désormais accessoiriste dans le cinéma. Sa modestie et sa prudence m’ont frappé. Il dégage une conscience aiguë du danger de mort. Comme un marin qui prend la mer.

Qu’est-ce que la moto t’inspire ?

J’ai un regard affectueux sur le monde motard. La moto est sensuelle. Le conducteur chevauche la mécanique, il a le corps à l’air libre, ça change la donne. Il fait « un » avec sa machine, il est pris dans les courbes, le relief, dans la physique de la ville.

Tu en as fait ?

Pas plus que ça. J’ai eu des Mob quand j’étais ado. J’ai un frangin plus âgé, il avait une Honda 125 XLS, on allait faire des tours avec, j’étais fou. Mon seul fait d’arme est de l’avoir gaulée et de m’être fait serrer par les flics à la sortie de Paimpol (Côtes-d’Armor)… On a habité Dunkerque (Nord), il avait un pote, Bill, c’est la première fois que je suis monté à l’arrière d’une moto. On est parti acheter le programme télé, il est entré dans le magasin et l’a volé ! Pour moi, gamin, tout allait ensemble, j’assimilais la moto à la transgression. Il y avait un côté un peu voyou.

Ton écriture décrit différents univers avec précision. Il est indispensable de se documenter avant d’écrire un roman ?

Je considère que l’imagination est reine, mais tu n’imagines pas à partir de ce que tu connais mal, et surtout tu risques de galvauder la parole d’autrui. Quand j’aborde la moto et le périphérique, domaines qui ne sont pas les miens, je considère que je n’ai pas à dire n’importe quoi. Mais, après m’être documenté, j’imagine. J’ai beaucoup surfé, j’ai eu des meules, je connais des motards… Décrire un mec qui prend une courbe en mettant le genou au sol, c’est pas non plus ce qu’il y a de plus dur, il faut être honnête. J’ai un petit baratin technique mais je ne vais pas non plus très loin. Il faut être joueur, un texte doit séduire mais aussi faire réfléchir. Mais tu sais, aujourd’hui dans le roman, être riche en vocabulaire n’est pas ce qu’il y a de plus « bankable ». Vaut mieux faire simple et parler de soi !

« MÉLO » : ILLUSION NOCTURNE

La veille du 1er mai, deux hommes et une femme circulent dans Paris. Un syndicaliste au bord du suicide, un sapeur congolais chauffeur de camion poubelle et une Chinoise vendeuse de briquets. Trois personnages qui vont glisser dans la nuit… Dans la première partie, une émission de France Culture défile dans l’autoradio. Elle a pour thème « l’accélération ». On revient sur un mythe motard, le Prince Noir et son tour du périphérique. Frédéric Ciriez n’est ni motard, ni sapeur congolais, ni éboueur. Pourtant, sa narration précise alimentée par une recherche rigoureuse sur ce fait-divers, restitue une ambiance crédible. Celle que l’on ressent quand on roule en boucle, la nuit, à la recherche des démons venus hanter le pays des rêves.

Roman : « Mélo » de Frédéric Ciriez, éditions Verticales ; 14 x 20,5 cm, 332 pages, 20 euros.