Le mot de la fin


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 Je n’aurai pas fait beaucoup de moto, mais j’aurai découvert  le Trikol , l’hélicoptère et même l’hydroglisseur,  à l’occasion de la traversée de la baie d’Anadyr dans l’autre sens avec cet engin qui glisse sur les fractures de glace et les zones de fonte avec une étonnante facilité. C’est peut-être un hydroglisseur finalement, qu’il faudrait pour traverser la mer des Tchouktches et rejoindre l’Alaska.

Il  est peut-être temps que je corrige ; on arrive à la fin de ce récit… Il y a un K kaché quelque part dans le mot Tchoutchke, comme dans Kafé, mais comme je n’ai jamais vraiment su où, je l’ai laissé en suspens… comme ce projet sans cesse reporté mais qui avance sûrement , à petits pas dans la neige …

A Anadyr, j’ai bien noté les adresses de quelques agences qui préparent des expéditions polaires, je leur ai soumis mon projet, je leur demanderai devis et possibilités…Peut-être qu’ un jour, dans les hautes sphères de tout ceux qui dirigent le monde,  on arrivera à trouver un accord et les choses redeviendront tant bien que mal comme avant….Ce jour-là j’y retournerai pour franchir le dernier pas .

 Alors que j’aurais pu imaginer que j’avais tout le temps avec mon visa de trois mois, il s’est très vite avéré que, en fait, pas tant que ça.  Quand le printemps arrive subitement, les routes gelées se transforment en bourbiers, en rivières ou en bras de mer charriant des blocs de glaces. On m’avait déjà raconté tout ça sur le Baïkal ; quand l’hiver s’arrête, s’installe un mois de transition avant qu’on puisse mettre en place les routes d’été et les lignes de bateau. Il faut que ça fonde, il faut que ça sèche…et pendant ce temps-là, toute les errances et les itinérances s’arrêtent…

Il n’y a pas beaucoup de décalage météorologique entre Magadan et Egvekinot, une quinzaine de jours, tout au plus et ce voyage, alors que je croyais avoir tout le temps, est vite devenu une course contre la montre,

contre le temps,

contre le temps qu’il fait,

 et pour moi, toujours, contre celui qui passe…

La porte de sortie


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La sortie de Russie n’est pas simple, mais il y a toujours des interstices dans les mailles du filet conjoncturel.

Je serai rentré par l’Arménie, une autre ambiance, un autre climat, juste une journée de douceur aux pieds du Mont Ararat. Me rappeler que le monde est vaste et que c’est peut-être une drôle d’idée de vouloir à tout prix sortir par sa porte la plus lointaine…

Anya avait demandé conseil à un copain arménien pour me trouver un petit hôtel sympa dans la ville… quelle ne fut donc pas ma surprise en y arrivant de découvrir un dortoir de huit lits superposés sans fenêtre…

Erevan est une ville aux allées ombragées, pas bien grande mais pleine d’animation, même peut-être un peu trop. Quand on revient du Chukotka, on n’a plus l’habitude des embouteillages klaxogènes et des terrasses bondées de hipsters et de jeunes filles branchées.

Mais après avoir découvert que ce quartier était un des plus animés de la ville avec toutes ces terrasses qui se tirent la bourre pour savoir quel est celui qui envoie le plus de mégawatts, après cette découverte donc et après ces deux mois de nuit sans obscurité, peut-être que finalement, cette petite piaule blockhaus n’est un plan pas si mauvais que ça…

Dernière journée en Russie


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Pour ma dernière journée, je suis allé chez Lérouamerlinn avec monsieur et madame Vitali acheter un aspirateur de garage qui était encore à l’ancien prix d’avant les putain de sanctions. Je peux comme ça mener ma petite enquête au sujet de tout ça… donc LeroyMerlin est toujours ouvert, Décathlon et Auchan aussi quant à Macdo des fois oui, des fois non. C’était une enquête assez peu professionnelle parce que je n’ai pas poussé la déontologie à aller vérifier dans chaque Macdo ce qui se passait à l’intérieur. Il faut être un sacré vrai professionnel pour aller vérifier ce qu’on sert dans les Macdo dans un pays qui semblait avoir la chance d’être débarrassé de ce poison-là.

Le docteur d’Omolon me demande des nouvelles, il s’excuse de ne pas m’avoir donné du Samogon pour la route, puis il me dit qu’il aurait voulu partir en Thaïlande pour les vacances mais qu’avec les putains de sanctions, il n’y a plus moyen… pas besoin d’enquêter plus, les sanctions ne vont pas du tout avoir l’effet escompté, mais ça , on pouvait s’en douter…

Quand on me demande ce que je pense de tout ça, , je ne donne jamais un avis direct, de toute façon, je ne suis ni historien, ni diplomate, ni général, ni politologue ni tout à la fois comme certains spécialistes, ou Bernard Henri Levy, l’homme qui a fait toutes les guerres.

J’explique toujours que je suis né dans un tout petit pays divisé en deux depuis sa création, avec deux communautés qui n’ont jamais réussi à vraiment s’apprécier, mais que, malgré quelques tensions parfois, il n y a jamais eu aucun mort.

Je leur rappelle aussi que quand Vaclav Havel était président de la Tchécoslovaquie et que les Slovaques ont voulu faire bande à part, il leur a dit okay les gars, vous signez là et c’est plié… il n’y a pas eu un seul mort, même pas une entorse du gros orteil. Bernard Henri, il devrait parfois aller boire un verre, avec le petit Emmanuel, sur la tombe deVaclav…

Il en faudrait plus des présidents poètes, ça ferait moins de dégâts…

L’après midi, je suis allé rendre visite à Anya, qui avait organisé il y a dix ans ce festival de BD qui m’avait permis de venir en Russie pour la première fois. On s’est baladé dans son quartier et puis j’ai repris bus et taxi sous la pluie pour rentrer chez Vitali. Demain je dois me lever tôt pour le prochain saut qui va me ramener un peu en arrière.

Juste un peu…

Réflexion moscovite


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Dans les magasins, même au Chukotka, il y a toujours du Coca, des Kellog’s des Mars et des Snickers. Peut-être est-ce des copies, ou des stocks immenses qui auraient été constitués en prévision des temps difficiles. Dans beaucoup de contrées perdues de ce pays, les temps on toujours été difficiles et ne plus pouvoir aller au Macdo est un traumatisme assez restreint quand on a l’habitude de ne manger que du renne et des champignons de la toundra.

Les mesures emmerdent un peu, mais on est plus à ça près. Dans un pays où la débrouille et la mélancolie ont toujours étrangement fait bon ménage, on soupire juste un peu.

On fera comme la génération soviétique, on se démerdera.

Mais tout ceci ravive aussi ce nationalisme qui a toujours été le défaut des gens d’ici, malgré leur sens de l’accueil démesuré. Chez les Français, on appelle juste ça, être chauvin… De mon côté, quand on critique Macron, ça ne me dérange pas du tout, je ne vais pas quand même prendre la défense de ce petit banquier qui a fait carrière. Je ne vais pas non plus la prendre pour la fille du borgne hargneux. C’est plus compliqué, avec ces nationalistes vigoureux que sont presque toujours les motards ou les camionneurs, d’expliquer pourquoi voter Le Pen c’est tout pourri aussi. Alors je m’applique et puis on trinque.

Je repense à Andrey, ce chauffeur de Kamaz qui ramassait les ordures des autres dans la toundra, qui conchiait ses cinglés de collègues qui ne respectent rien et qui, finalement, par désespoir, comme par bravade pour les autres, finissait ivre mort, ivre triste, effondré sur la couche de son camion ou sur la table de sa cuisine…

Deuxième saut: Moscou par Irkutsk


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Etrange de s’arrêter à Irkutsk sans aller saluer personne… mais c’est une escale rapide et imprévue, juste le temps de changer d’avion. De survoler le Baïkal, de se souvenir des gens d’ici, Tatiana, Viktor, la famille d’Alexeï, les essais sur le lac gelé…

A Moscou, entre deux vols, je vais prendre le temps d’aller visiter Vitali… on s’était loupé à l’aller ; là on s’est pris un solide rendez-vous…

Vitali habite une vraie maison en périphérie campagnarde, remarquable occasion de pouvoir m’offrir une première dose de récupération de décalage. Il y a au moins ce petit avantage avec ces sauts de puce ; à chaque fois, je gagne deux ou trois heures, ça évite les récupérations interminables causées par les survols trop longs.

Chez Vitali, on sort de la ville soviétique. Finies les barres d’immeubles avec ce chauffage collectif qui oblige toujours à ouvrir les fenêtres, même quand il fait moins trente dehors. Le monde est mal foutu, quand on a commencé à construire ces immondes immeubles qui tapissent l’ancienne Union Soviétique, c’était un progrès social immense. Tout le monde allait pouvoir accéder au confort moderne : des salles de bains avec baignoire, de l’eau chaude et du chauffage pour tous. Finies les corvées pour aller chercher de l’eau et du bois pour alimenter le poêle central qui finissait immanquablement par foutre le feu à tout le quartier.

Rien n’a changé dans ces immeubles. On a souvent repeint l’extérieur mais dès qu’on y rentre, une fois passé le double sas surchauffé, ce n’est que béton suintant, boîte aux lettres défoncées, tuyauteries rafistolées mais par contre, qu’est-ce qui y fait chaud.

Le chauffage urbain n’apporte pas vraiment de touche pittoresque aux bourgades de la grande Russie, mais son efficacité est redoutable.

Après la période soviétique, presque rien n’a changé ; on paye un abonnement en fonction de la taille de son logement, mais les radiateurs peuvent chauffer jusqu’au rouge, c’est le même prix… de toute façon, les robinets en disparu depuis longtemps des gros radiateurs en fonte et le thermostat est un concept décadent . Ici on montre ses muscles, et si on a trop chaud, on ouvre la fenêtre. Quant au bilan carbone, au réchauffement à toutes ces préoccupations d’occidental dégénéré, on en a cure. Quand le niveau de la mer sera monté de quelques mètres et que le pourtour méditerranéen ne sera plus qu’un désert de dunes, un grand erg à perte de vue, la toundra sera devenue le grenier à blé de la planète. C’est un point de vue.. encore faudra-il voir quelles surprises nous réservera la fonte du permafrost…

Dernier jour à Anadyr


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Une fois que j’avais réussi à avoir le billet d’hélicoptère, il fallait que les choses s’enchaînent. Dès que suis arrivé à Anadyr, Ivan, un collègue de Marat, m’a assisté pour que je prenne un vol pour Moscou. On en a trouvé un par Irkoutsk, les vols directs étaient complets pour plus d’une semaine. Mais où est donc passée cette délicieuse liberté dont on jouit en voyageant à moto ?

Ensuite, c’est la fête de la Victoire. Après le défilé du souvenir, où l’on descend l’avenue principale avec le portrait d’un parent mort à la guerre, sous les drapeaux rouges et les ballons tricolores suivi d’ une modeste parade militaire, vont se succéder pendant deux heures, des chansons soviétiques en uniformes d’époque, ou folkloriques en costumes. Kristina, la fille de Raysa, participe à trois chorégraphies Tchoutches.

Je déambule au milieu de tout ça. Le soir, Pasha regarde le défilé à la télé et Raysa tente de m’initier aux chiffres tchoutches . Quand je pense qu’en chiffre russes, je n’ai pas dépassé le quatre et que en tchoutche, six, ça prend au moins trois lignes, je capitule bien vite, mais je ne lui dis pas, à Raysa, elle est trop contente d’initier une espèce de touriste égaré à la langue de ses ancêtres…

J’attends le lendemain…Je compte jusqu’à six…

Khnnèn, n’yrék, nkhrok, n’khrak, mkhtlkhn’èn…khnnanmkhtlkhn’èn

…et avant de songer aux tables de multiplication, je m’endors…

Ma piaule


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Je suis tout seul dans un deux-pièces… Mais deux grandes pièces avec du parquet vernis. Cet endroit est étrange, je prends souvent des petites décharges électriques dès que je touche une poignée de porte ou que je branche mon ordinateur. Sans doute que la mise à la terre de l’immeuble n’a pas été faite dans les règles, ou alors c’est une histoire surnaturelle en terre chamanique.

C’est sans doute parce que Raysa a gardé un peu de cette science-là, héritée de ses ancêtres. D’ailleurs dans leur appartement, il y a des plantes partout, à tel point que parfois, ces insupportables goélands qui pullulent en ville viennent frapper à la fenêtre en espérant grappiller cette verdure inaccessible.

J’ai rencontré Alexander qui organise des plans touriste pour qu’il me trouve des combines pour passer un jour en Alaska. Je savais qu’il parlais anglais, ça pouvait simplifier les discussions ; mais en réalité, il parle américain avec un fort accent tchoutche… Ça ne simplifie rien du tout mais, à force, avec beaucoup de patience, on va peut-être arriver à dresser les prémices de cette expédition future…C’est qu’il ne faut pas oublier que si j’ai extirpé ma moto de Omolon pour l’amener sur la côte, ce n’est pas juste pour des selfies et des tours de quartier dans chaque ville où les camions me la déposent. C’est que le but lointain, le Graal ultime, ce n’est pas de finir à Anadyr, c’est bien de franchir le pas, ce fameux détroit qui fait rêver tant de voyageurs quand leur regard s’égare aux deux extrémités de la carte du monde, ce seul lieu qui est présent des deux côtés de la planisphère, au Méridien où change la date ; étrange illusion de pouvoir remonter le temps. C’est là où l’Amérique et l’Asie s’effleurent. Quand on est à Egvekinot, on longe la côte pendant trois cent kilomètres et on arrive à Providenya… Dernière bourgade perdue avant le détroit… cent kilomètres plus loin , on recule d’un jour et on arrive en Amérique… N’est-ce pas complètement surréaliste tout ça ? Voilà qui fera , à n’en pas douter, bien des histoires à raconter quand je viendrai rechercher ma moto…

Anadyr


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J’ai longtemps rêvé d’Anadyr, fantasmé sur cette ville que j’avais imaginée presque pittoresque. Après avoir vu quelques images, mon imaginaire s’était-il donc fourvoyé ?Je ne sais plus, je ne sais pas…Anadyr, en réalité, ça ne fait pas rêver… Après toutes ces semaines sous un soleil éclatant, je me retrouve un climat frais et humide… Paris en décembre, Bruxelles en janvier…

Raysa, une amie d’Anastasia, m’a trouvé un appartement dans l’immeuble où elle vit avec Pacha et leurs deux gamines, Anastasia et Kristina. Sacha travaille au chantier naval, mais il dessine aussi et il sculpte, il aurait voulu faire l’artiste mais sa maman n’a pas voulu… Je connais bien ce refrain; il y en a parfois qui ont la chance de passer entre les mailles du filet.Je partage souvent les repas avec eux, on discute par téléphones interposés, mais comme on prend le temps, on y arrive très bien. Raysa est tchoutche. Sa grand-mère vivait dans la toundra au milieu d’un élevage de rennes dans la région d’Angouema. Elle a toujours vécu sous la tente traditionnelle, la yaranga, mais sa fille s’est laissée séduire par un bel ukrainien de passage et c’est comme ça qu’est née Raysa… Ça me rappelle étrangement l’histoire d’Aïnana… Les jeunes filles Tchoutche se laisseraient-elles toujours séduire par deux beaux étrangers de passage ?

Premier saut.


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J’avais donc tout fait comme si… Les bagages, le ménage, trié ce que j’emmenais et ce que je laissais au garage ou chez Marat . J’ai ensuite pris le taxi pour l’aéroport et je me suis assis dans la salle vide à côté du guichet fermé. Quand quelques personnes ont commencé à arriver, je me suis accoudé tout près du lieu stratégique avec mon bouquin , pour tuer ce temps qui risquait d’être long.J’ai fini par l’avoir ce billet, ce n’était pas l’émeute non plus, mais mieux vaut toujours être prudent quand on veut quitter un pays isolé du reste du monde, il faut y aller par étapes réfléchies…

L’hélicoptère, c’est assez rudimentaire comme transport aérien. De longues banquettes métalliques se font face pour accueillir une quinzaine de passagers et les bagages sont en tas au milieu. Pas d’isolation ni de ceinture de sécurité, juste des cables en ferraille qui pendouillent du plafond en cas de turbulences. Pas d’hôtesse de l’air ni de consignes de sécurité, on décolle bruyamment et pendant une heure bien tassée, comme les passagers, on survole la toundra de bord de mer à basse altitude .

Anadyr n’est plus une bourgade perdue dans la neige. L’aéroport, d’abord, c’est un vrai ; pas une cabane en bout de piste comme celui d’Omolon ou celui d’Egvekinot qui , bien que en béton, est vraiment d’une autre époque lui aussi. À l’étage , où on a le droit d’accéder si on est en proie à un besoin urgent, il y a quelques bureaux, un salon télé et une salle de billard, quelques bouteilles qui traînent et une ambiance tout à fait désinvolte. Mais nous sommes arrivés à Anadyr.Des hélicos, quelques Mig et des infrastructures tout autour, ce n’est plus un aéroport de Rigolo. Pourtant, Anadyr est une toute petite ville, mais elle tente de se donner de l’allure ; c’est quand même la capitale du Chukotka. De la circulation, quelques feux et un centre commercial moderne mais bien modeste . Le centre commercial est comme la ville, il tente de se la jouer avec ses boutiques et son fast-food à l’étage. Quelques bâtiments un peu prétentieux, et puis une statue de Lénine ; je n’en avais pas encore vu une seule dans cette région lointaine. Il y a même des gens qui portent des masques. Alors là ; si il y a bien une chose que j’avais oubliée, ce sont bien les masques. Quand on se la joue capitale régionale, il faut se doter des quelques détails visuels qui font la bigtown touch ; et quoi de mieux qu’une pointe de psychose masquée pour faire métropole.

Anadyr est au bord d’une baie étroite et profonde et l’aéroport est de l’autre côté, tout près d’une autre petite ville. Pour traverser, il y a des taxis l’hiver et des bateaux l’été et quand on est en intersaison, comme en ce printemps bouillasseux, les taxis déposent les clients au bord où des Trikols prennent le relais, car le bras de mer de fin de saison c’est un peu chaotique. Il y a aussi quelques hydroglisseur qui remplaceront sans doute les Trikols quand ils commenceront à sombrer au fond de la baie avec la débâcle … C’est un bon business; la traversée du bras de mer coûte presque aussi cher que l’hélico d’Egvekinot.C’est ici que va se terminer mon périple au Chukotka… Je ne suis pas encore arrivé chez moi pour autant…

Ultime révision de la moto


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Je me suis donc pointé à huit heures pétantes, puis à neuf, puis à dix… Heureusement le garage n’est qu’ à cinq minutes de chez moi. Ces camionneurs, quand même, ils ne sont pas bien ponctuels . Je le savais déjà; sur la route, ils gèrent leur vie comme bon leur semble, le concept d’horaire leur est complètement inconnu … Mais comment vouloir se compliquer la vie avec l’heure qu’il est dans un pays où les nuits ont disparu. Les camionneurs sont peut-être les derniers hommes libres. Rustiques certes mais libres…

Juste avant de retourner au collège, j’y repasse et c’est ouvert. Kostya est bien installé dans ce qu’on pourrait appeler le coin salon. tchaï, kofie, vodka ; c’est toujours table ouverte dès qu’on arrive. Mais je suis attendu à l’école, là où la ponctualité est de rigueur… Après une rapide prise de rendez-vous pour l’après-midi, je suis de retour au collège et puis, surtout, je repasse à la bibliothèque pour commencer à chercher par où je vais bien pouvoir quitter la Russie… Dans ma tête je commence à être de retour… C’est un peu compliqué car il est inutile de prendre les derniers vols si je ne sais pas quand je quitte Egvekinot. Pour rejoindre Anadyr il y a un vol par jour, un petit avion ou un hélicoptère… Ça dépend, me dit-on, de la météo. Inutile de prendre les derniers vols de chercher en ville ou sur la toile ou acheter des billets… Il faut se pointer tôt à l’aéroport et rester planté devant le guichet jusqu’à l’ouverture. Et si c’est rapé, il faut remettre la tentative au lendemain… Et ainsi de suite. Évidemment il n’y a rien de plus simple dans l’idée, mais comment concilier ça avec les autres vols qui se réservent en ligne et longtemps à l’avance… Surtout les vols permettant de relier Moscou à Paris en slalomant entre les sanctions…

La loi du camion


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Et puis voilà, en fin de journée, hier, l’impensable s’est produit et Daria m’a appelé ; il fallait que je la rejoigne au magasin pour faire quelques achats pour les camionneurs.
Quelques bouteilles de vodka et un stock de cochonaille, ce sera le tribut à payer pour le convoyage de la moto. Je m’en sors plutôt bien, allez, rajoutons donc une bouteille et un jambonneau !
Je retrouve enfin la monture, à deux cents mètres de mon auberge, dans le garage de Kostya, le chef de la bande, celui dans la cabine duquel étaient organisés les apéros.
On commence à vérifier l’état de ma pauvre monture. Il y a un peu de casse mais rien de bien grave : deux clignotants et une fixation de ski.
On va donc commencer par mettre la batterie une heure ou deux en charge. Pendant ce temps là, Deniys, que je ne connais pas encore et qui semble subjugué par ma triste monture héroïque, m’invite à le suivre. Il habite à l’autre bout de la ville et il m’amène au repas d’anniversaire de sa gamine. Il y a aussi son frère qui s’éclipsera très vite et un copain replet qui a l’air gêné d’être là ; il faut dire que Deniys a une sacrée descente et même ses proches ne suivent pas la cadence. Alors il parle beaucoup de « warm » is not good, et de Rousssya arashoy, best country in the Word et puis il remplit les verres… Davaï, pendant que de l’autre côté de la table entourée de la maman et deux de ses amies, la gamine habillée en princesse, souffle ses bougies et ouvre ses cadeaux. On me sert quelques assiettes copieuses et je sauve la face en dessinant tout le monde… Je finirai par retourner au garage et par abandonner Deniys qui voulait m’emmener dans des plans que je n’imagine même pas ; il me serre dans ses bras vigoureux , je l’abandonne à la nuit…


C’était une bien étrange fête d’anniversaire…
Retour au garage. La moto démarre, elle pisse l’essence, les robinets sont morts et les carbus ont besoin d’un ajustement. Kostya me donne rendez-vous à huit heures du matin, on dirait que cette fois, la fin de la route est proche…

Congé prolongé


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Est-ce un pont, trois jours fériés ? Je ne sais pas trop.En tout cas, tout est au ralenti ; il n’y a même plus de pain dans les magasins. C’est mon dernier jour, lui aussi au ralenti, car depuis hier, je le sais, la moto est arrivée .J’ai bizarrement appris la nouvelle par Anastasia, depuis Montpellier. Il faut dire qu’avec ses innombrables connexions dans cet extrême nord-est de la Russie, elle arrive à tout savoir. Taras, son contact à Egvekinot est, en plus, conducteur de camion ; je ne l’ai toujours pas rencontré, mais il est au courant de tout.

J’ai donc sillonné à nouveau les périphéries de parking à containers et tout au bout de la ville, près de l’entrée du pont, garé en haut d’un chemin défoncé, il y avait, couvert de boue, mon camion…

Mais dessus, pas de moto. Elle avait carrément été remplacée par un autre camion. Un camion sur un camion, ça promet dans les congères ; mais ce n’est plus mon histoire.

Me voilà avec une nouvelle énigme à résoudre… Je cherche tout autour, je flaire partout, il n y’a personne…

Je pars expliquer l’affaire à Marat, en congé lui aussi, et j’envoie un message à Anastasia.
La moto est bien rangée quelque part, mais je dois attendre la fin du pont de trois jours pour vérifier dans quel état et discuter du prix du transport, si jamais il y a de la casse.
En attendant ce fameux lendemain de réactivation, je me refais une journée studieuse, je commence à ranger un peu, me prépare à sortir de ma léthargie, comme ces ours dont on me parle tout le temps et que je ne vois jamais.
J’essaye d’appâter les grands corbeaux noirs dont j’observe les conversations par la fenêtre. C’est toujours assez déstabilisant, les changements de mode inopinée. Mais pour une fois que j’ai une journée de préparation mentale, je devrais être au comble de l’extase…

La fête sur la glace


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Aujourd’hui, il y a de l’animation sur la mer gelée, c’est la fête.Un peu comme à Pevek ou à Magadan, la fête au Chukotka offre vaguement les mêmes attractions ; musiques et danses traditionnelles revisitées, campement, igloo et plats typiques, sono à fond, stand de bibelots et un peu plus loin au milieu de la baie, le grand concours de pêche…

Au coude à coude devant leur petit trou, les participants guettent l’éperlan. Certains sont déguisés, d’autres ont amené les mômes et la musique, mais la plupart se la jouent sérieux, comme si ils étaient tout seuls dans la baie, tout en kaki et l’air concentré. Il souffle une redoutable petite bise.

Le vent du nord, quand on est sur le cercle polaire, c’est vraiment du Nord et il est plutôt judicieux de protéger ses oreilles. À cause de ce foutu mistral septentrional, il y avait moins de monde que prévu à la fête, mais j’y croise quand même quelques élèves du collège, Ludmila du musée et Olga de la bibliothèque, on fait des selfies et puis on se dit que quand même, putain, ça caille.

Je n’ai pas croisé Daria et Marat… Mais le soir il m’a proposé une soirée banya. Ils se tiennent mieux que la bande d’Hassan , les flics au sauna, mais tout nus et en sueur, il a quand même fallu porter quelques toasts en grignotant des têtes de poisson fumé. En rentrant deux heures plus tard, dans la nuit glacée , bras dessus, bras dessous et légèrement titubants, avec la maréchaussée en goguette, je me disais que quand même, c’était une bien étrange semaine…

Anastasia de Montpellier m’a laissé un message cette nuit en me disant qu’un ami à elle l’avait prévenue que ma moto était arrivée. Je vais aller jeter un coup d’œil dans les parkings

La vie scolaire


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Je suis allé au collège toute la journée. Je raconte mon travail, mes voyages, je dessine au tableau et puis je taille des portraits ; des petites caricatures vite torchées, c’est un bon exercice pour moi et ça a beaucoup de succès. Je les croque , je les fixe, j’esquisse les yeux de jais et les bleus métalliques, les tignasses sombres et drues et les cheveux blonds filasses, il y a ceux qu’on imagine déjà vieux et ceux qui sont encore des enfants.

À dix heures c’est le goûter, un gâteau de riz à la confiture et du thé brûlant ; à midi repas complet, soupe et pain de poisson avec du riz ; on mange bien à la cantoche, mieux qu’au kafé. J’ai donc exploré cinq classes, assisté parfois de Daria, parfois de son meilleur élève dont le rêve le plus fou est d’être professeur d’anglais.
Je rentre bien rincé par ces innombrables portraits esquissés avec concentration. Je travaille un peu sur mes planches récupérées avec les bagages , je vais à la bibliothèque…

J’y apprends que demain, il y aura la grande fête traditionnelle…

Les bagages arrivent


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Au kafé, le midi, je m’installe toujours à la même table avec mon bouquin ou mon carnet de croquis. Les clients s’installent rarement, ils viennent surtout s’acheter un petit plat à emporter. L’autre kafé est plus chic, il fait plutôt resto, et quand on se la pète resto, il n’y a pas de vitrine où l’on peut choisir son plat, il y a un menu auquel je ne comprends rien. Alors pour ne pas prendre de risques, j’ai pris mes quartiers à l’autre troquet. Il y a deux jeunes filles qui se relayent à la caisse . Une des deux est plutôt jolie, du genre blonde boudeuse. Quand c’est elle qui est au service, il y a toujours son mec, attablé pas loin qui surveille d’un regard sombre , quand il n’est pas absorbé par son téléphone…

Alors que je faisais ma routinière petite balade d’après-midi en explorant un autre quartier, j’ai croisé Marat qui me cherchait avec sa djipe Uaz de service. Mes bagages étaient arrivés… Dans le trio de conducteurs de Trikols, il y avait celui qui m’avait embarqué quelques jours plus tôt. Il s’est bien foutu de ma gueule en me demandant comment j’imaginais pouvoir rouler au Chukotka avec des pneus aussi petits… Évidemment, sur sa bagnole, ils font un mètre de large. J’ai bien tenté de lui demander si on ne pouvait pas monter une opération de secours avec sa super machine… Mais il m’a fait comprendre que , de toute façon, il fallait attendre le bulldozer, alors que ça ne changerait rien… Il doit être bien vautré, le camion. J’espère que ma pauvre bécane a tenu le choc. Je vais encore passer quelques jours ici à Egvekinot, où il va falloir commencer à chercher une petite cabane confortable pour la moto… Après deux ans confinée à l’entrée du Chukotka, elle va rempiler à la sortie…

Des nouvelles de l’arrière


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Ce matin, je suis allé visiter le musée. Ludmila me fait le circuit ; c’est un peu comme d’habitude : les minéraux, la faune, la flore et les peuples autochtones puis, la salle inévitable sur l’époque soviétique. Ludmila se souvient avec émotion de Francis ; celui qui ne rêve que de traverser le détroit de Béring en transformant sa moto en bateau et qui avait fini ici , il y a une dizaine d’années, après l’échec de sa première tentative. Ils ont peut-être vécu une merveilleuse histoire, qu’en sais-je… en tout cas, grâce aux nouvelles technologies numériques du XXIe siècle, aux connexions parfois bien aléatoires, je les ai remis en contact. Quand Francis reviendra avec son canoë gonflable et sa Mobylette, il sait qu’il est toujours attendu… Quant à moi j’espère que je serai reparti.

En sortant du musée, je reçois un message de Marat, l’amoureux Tatar de Daria, qui est aussi celui qui m’avait réceptionné à mon arrivée… Selon la formule consacrée et lapidaire ; il y a une bonne et une mauvaise nouvelle. La bonne d’abord. C’est toujours comme ça qu’on aborde le concept de la double nouvelle : on a retrouvé les camions. Ensuite la mauvaise… Ils sont tous les deux en carafe à une centaine de bornes. La neige qui ramollit ce n’est pas qu’à Egvekinot ; c’est aussi sur la route qui vient de Chmit. Celui qui transporte les bagages est en panne et l’autre, évidemment, une fois de plus, il est encastré dans la neige épaisse.

Finalement, , ce bourrin d’Evgeniy n’était peut-être pas un si mauvais conducteur. Au contraire, il avait anticipé et en roulant la nuit, il avait encore pu profiter d’une neige durcie par le gel. C’est carrément du travail de tacticien.
Un convoi de trois six-six Trikoll doit partir de Chmit ce matin, il est chargé de récupérer mes bagages au passage. Pour la moto, il faudra attendre qu’un bulldozer vienne l’extirper.
Attendre toujours…

Egvekinot, la vie s’organise


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Mon auberge est dans la première rue à droite quand on accède à la ville. La fenêtre de la cuisine donne sur la route qui part vers l’aéroport et la montagne, la route quoi ; il n’y en a qu’une. Comme d’une citadelle devant le désert des tartares, je scrute ; pendant les longs crépuscules, les phares se voient un quart d’heure avant l’arrivée des véhicules. À chaque fois, je me crispe; et voilà, ce sont eux, les camions arrivent.

Mais c’en est toujours d’autres, souvent des bus. Ici les bus sont juste des gros camions aménagés ; on a remplacé la benne par une cabine vitrée et c’est très bien comme ça sur les routes défoncées . Il faut juste vraiment faire attention à la marche en descendant.

J’ai promis d’aller faire une conférence au collège quand j’aurai récupéré des vêtements dignes de ce nom: mon blouson, mes pompes et un jeans… Pas cette énorme salopette polaire affublée des grosses bottes en caoutchouc doublées qui me foutent totalement la honte quand je vais consulter Internet à la bibliothèque ; le seul endroit où j’ai retrouvé une vraie connexion depuis Omolon.

À condition d’y aller en fin d’après-midi et par temps clair, mais il faut bien reconnaître qu’il y a un net progrès. Ça marche. Moi aussi je marche, toujours le même petit circuit; l’unique remontée mécanique qui surplombe la ville, le port et le bord de mer. Il fait beaucoup moins froid, ça fond partout pendant la journée et les bulldozers déplacent des gros tas de neige grise, c’est le printemps. Les gens me font souvent remarquer que je n’ai pas mis mon bonnet; peut-être le gardent-t-ils jusqu’au mois de juin. Pour moi, ça va, c’est bien le printemps et je laisse le vent caresser mes oreilles…

Je me suis déjà fabriqué ma petite routine en attendant les camions. Lecture, dessin, écriture ; c’est une routine studieuse, ça me repose les jours précédents.
J’ai mon magasin juste à côté pour les petites courses et un kafé un peu plus loin si je veux un plat cuisiné. Ce serait presque un bonheur simple… Mais en permanence je me dis : mais où sont donc passé ces foutus camions ?

Egvekinot


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Voilà une petite ville tapie au bord d’un fjord enneigé. Un port, des immeubles colorés, des entrepôts et deux rues principales. Celle qui traverse et celle qui longe la mer. Le soir j’emprunte la première et reviens par la seconde, ça me permet de passer devant les trois endroits où les camions pourraient arriver…

Quand j’ai débarqué ici avec le six-six de compète, j’ai tout de suite été réceptionné par les autorités en uniforme. On m’a gentiment amené au lycée où, Daria , jeune professeure d’anglais, va nous servir d’interprète. Je raconte mon histoire ; les bagages dans le camion avec le passeport dedans. Comme j’ai heureusement des copies dans mon téléphone, l’entretien se passe sans embrouille. Ensuite, Daria m’amène dans la petite auberge après m’avoir fait visiter les quelques magasins. Elle m’achète quelques provisions, elle a bien compris pendant l’interrogatoire que mes sous était restés dans les bagages… Il y a souvent, en Russie, des petites auberges collectives qui sont en fait des appartements avec cuisine, salle de bain et les autres pièces aménagées en dortoirs. Je partage le logement avec Danya, une discrète dame Tchoutche qui attend le bus qu’il l’amènera à Angouema… La ville fantôme… Il y a donc des gens qui se rendent là-bas ? Mais Danya était tellement discrète…elle est partie, je n’ai rien remarqué ; peut-être qu’elle était elle-même un fantôme…

Les camionneurs


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Ne pas pouvoir converser est quand même un méchant handicap. Evgeniy n’avait pas tort quand , après ses multiples vociférations postillonnantes contre Macron et Napoléon, il me reprochait de ne pas parler russe. Alors, je m’appliquais un peu, je révisais sur le téléphone et , plutôt que de lui montrer les phrases traduit en plein écran, je m’appliquais consciencieusement à les lire. Je le voyais soudain content et il me répondait de plus belle, comme si, instantanément, après la lecture appliquée d’une phrase banale , j’avais acquis la connaissance de la langue de Pouchkine…
C’est pas une lumière, Guénya, mais ça je l’avais compris dès le premier regard. Les camionneurs sont rarement des intellectuels. Il y a d’ailleurs un manque évident de raisonnement dans la gestion de groupe du convoi. On roule ensemble, cinq camions, les tâches sont réparties… Enfin les tâches… Il a celui qui a les vodkas, celui qui a les bières et celui qui a une cabine plus grande pour organiser les apéros.
Quand il y en a un qui quitte la route, on s’y met tous pour dégager les roues et tous les camions pour extirper la victime du fossé. Tout semble logique…

Alors pourquoi celui qui est devant prend toujours le large et est obligé de se taper des manœuvres de demi-tour bien complexes pour juste revenir un kilomètre en arrière en cas de message radio d’un collègue en rade ? Pourquoi dépasser celui qui précède juste parce qu’il rame un peu, sachant que le dépassement dans la neige garantit un échouage une fois sur deux ? J’aurais pu tenter d’en savoir plus en posant quelques questions, mais à quoi bon, je n’aurais rien compris et de toute façon, les réponses, je les devine déjà.
Andrey m’avait expliqué entre Bilibino et Pevek ; les chauffeurs des routes d’hiver sont des cinglés et c’est pour cette raison toute simple que lui, il préférait rouler tout seul avec le rock ‘n’ roll pour seule compagnie.
J’ai passé ma première nuit à Egvekinot, je suis dans une petite auberge collective propre et calme . J’attends toujours des nouvelles des autres camions…

La route d’Egvekinot, chapitre cinq


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Le camion d’Evgeniy, il est vraiment tout pourri. La place du passager est assez mal adaptée. Au pied, il y a un grand carton avec des provisions et dessus un ou deux vieux blousons. Il n’y a pas de dossier ; à la place, il y a un radiateur, un vrai, comme dans les maisons, en fonte et qui chauffe. Je dois donc me mettre en travers et ranger mon minimum comme je peux… Juste mon petit sac avec mon carnet de croquis, mon bouquin, mon ordi, le satellite et les chargeurs, mais il y a aussi tout ce que j’ai sur moi… Les grosses doudounes, j’en fais des dossiers protecteurs pour ne pas finir toasté, et les grosses bottes fourrées , je les range où je peux, mais il ne faut surtout pas entraver les leviers du changement de vitesse, ce qui, immanquablement, se produit à chaque nid de poule polaire … et Evgeniy, bien sûr, il n’aime pas du tout ça… Nous roulons donc toute la nuit…


Mon chauffeur n’est plus du tout le même ; il s’applique.
Le premier jour, ils ont bu toutes les vodkas, ce fut un massacre.
Le deuxième jour, ce fut le tour des bières, ma moto a fini dans une congère.
Le troisième jour ils ont commencé à rationner les bières.
Et cette nuit, c’est la métamorphose. Evgeniy concentré ne fera que deux sorties de piste, il n’écoute même plus sa musique, ces fameuses variétés russes qui sont tout aussi digeste que les grosses saucisses roses en plastique. Une boîte à rythmes, un synthé nasillard et une puissante voix virile. J’ai remarqué en tentant d’analyser les thématiques, qu’il y avait un créneau localiste. À peu près avec la même musique, on te balance une chanson sur Magadan, une autre sur Novossibirsk et même sur Egvekinot… Je suppose que pour la vedette c’est le jackpot assuré.

Le camion arrivera au matin dans une bourgade assez importante et complètement en ruine.

Tout au bout, il y a une espèce de cabanon avec un quat’quatre géant garé devant. Evgeniy va frapper à la porte.
Moi je fais la mort, je sens le plan vodka matinal, comme dans le container quatre jours plus tôt, le pire de tout comme plan picole. Et je me rendors un peu. Evgeniy me réveillera avec sa délicatesse habituelle, il y a une grande nouvelle ; lui, il va rester avec son pote se torcher dans la cabane et moi, on va m’amener à Egvekinot avec la machine de guerre, le six-six Trikol…


Je ne sais pas quelle est cette ville morte, ni ce qu’il fout ce mec dans sa cabane pourrie, ni encore moins pourquoi cet engin de guerre était garé devant ; venait il livrer un colis postal, les croissants chauds ou le Midi-Libre du jour ?
En tout cas l’engin m’a descendu de la montagne comme si c’était une autoroute. Certes, ça a un peu secoué, c’était bruyant, surtout avec cette musique que j’aime tant et après une nuit de camion… Mais en fin de matinée, j’étais à Egvekinot…
J’y suis toujours et je vais aller me coucher, car j’ai des heures à récupérer…

La pause chez Chmit


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Aujourd’hui, je vais enfin quitter le monde des hommes. Albina me fait visiter le quartier, elle me montre d’abord la chambre dans la petite auberge où je pourrai passer la seconde nuit. Elle m’emmène ensuite au magasin où je peux m’acheter un T-shirt et un slip ; mon nouveau kit de survie. On me présente à des mamans avec des poussettes sur ski; un peu comme ma moto en plus élégant.

On prend le thé. Je traîne un peu… mais la réalité me rattrape: alors que je venais de voir arriver deux des camions, un fonctionnaire en uniforme vient m’inviter à le suivre. Je ne suis jamais inquiet avec les fonctionnaires en uniforme. Je vais donc le suivre, mais après m’être inquiété des camions. Les deux petits vieux ont livré leur nitrate d’ammonium, c’est d’ailleurs sans doute pour ça qu’il y a eu scission. Ils font la pause, les autres ne sauraient donc tarder…





Je peux me rendre, rassuré, à l’interrogatoire de routine. J’ai , heureusement, des copies de tous mes documents dans le téléphone. Je retourne à l’auberge continuer la lessive… Je suis obligé de la faire par petits bouts. La veille, dans l’appartement en réfection , j’avais constaté deux anomalies… D’abord, il n’y avait pas d’eau courante dans la douche, ensuite celle de la chasse d’eau était chaude… Ça se remarque vite une chasse d’eau chaude. Olfactivement, je veux dire…


Après avoir aéré l’appartement quelques minutes, je me suis dit que la meilleure chose à faire pour rationaliser mon temps et utiliser cette opportunité insolite, c’ était de commencer la lessive dans la chasse d’eau. Pour les chaussettes et le slip, c’est jouable. À l’auberge, il y a une baignoire, je pourrai donc m’attaquer au T-shirt et à la polaire… Oui je sais, c’est super passionnant ; mais aujourd’hui je traîne…

Pour le soir, Albina m’a invité à venir prendre un petit repas avec sa copine et les mômes devant les dessins animés à la télé… Une vraie journée de repos… Et puis on sonne…
C’est le service de l’immigration, je dois venir tout de suite… Moi qui étais prêt à aller au lit.
On m’ouvre la porte arrière de la jeep Uaz et là, vision d’apocalypse, je retrouve Evgeniy vociférant, la réalité des camions m’a rattrapé…

Je dois en catastrophe ranger toutes mes affaires, même les pas sèches… Il n’y a aucune nouvelle des camions qui m’intéressent, mais ceux qui sont là, eux, ils reprennent la route… Il est huit heures du soir, on va rouler toute la nuit.

La route d’ Egvekinot : troisième tronçon


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Pour la nuit, mon intello de chauffeur a eu la bonne idée de m’installer dans le camion d’un collègue, un petit vieux presque aussi jeune que moi et qui a le mérite de ne pas se torcher comme les autres. La nuit fut aussi courte que la veille mais au moins j’ai pu m’allonger et dormir. Dans son camion, il y a une couchette. Au fur et à mesure que nous progressions, un semblant d’organisation se mettait en place dans la gestion du Francouski, c’est ce que je m’étais dit alors, mais peut-être que j’avais rêvé ; car il faut toujours prévoir les pulsions incontrôlées d’Evgeniy…

Quand le camion qui transporte la moto s’est vautré une fois de plus, il semble que mon chauffeur ait abandonné le sens de la solidarité que je croyais indispensable dans l’univers des camions. Il a marmonné un brouet verbal, sans doute du genre « il commence à faire chier celui-là, il a qu’à se démerder », et il a repris la route…

le convoi s’est scindé.


Les deux plus vieux qui étaient déjà devant, et Evgeniy, ont continué jusqu’à une friche industrielle ou, après une pause, mon camion est reparti en solitaire. Complètement à l’arrière, celui qui transporte mes bagages et, bloqué dans une congère, celui qui transporte ma moto.

Il y a une règle élémentaire quand on voyage ; il ne faut pas avoir tout son pactole au même endroit et toujours garder sur soi une somme suffisamment crédible pour ne pas inciter à l’envie de chercher ailleurs. C’est donc cette somme là que j’ai sur moi et pas le moindre slip de secours.
Le camion a roulé longtemps dans un paysage qui ne m’ euphorisait plus comme au premier jour. Est-ce parce que la lumière était moins belle, parce que mon chauffeur faisait toujours la gueule ou parce que plus personne ne chantait alléluia sous un soleil rasant des ondulations floconneuses?
Nous roulons sur une vaste plaine. À droite des petites collines, à gauche, au loin, on devine la mer…


Quand nous sommes arrivés à une heure avancée à Schmit, une sorte de Omolon-sur-mer (gelée) , Evgeniy s’est arrêté dans le garage à camion. Tout au fond , dans un bureau obscur aux murs graisseux, nous avons bu un thé et on m’a offert des crêpes pour accompagner. J’ai bien compris qu’on parlait de mon cas. Les mots passeport et Visa ressortaient nettement ; ils parlaient de toutes ces choses laissées loin derrière, bien réparties, comme le pognon, entre les deux camions.


Alors je suis resté là …et, heureusement, j’ai eu la bonne idée de prendre mon petit nécessaire minimum laissé dans la cabine avec moi, parce que pendant que le gars du garage m’emmenait visiter l’appartement en réfection où j’allais être logé, le camion lui, il est reparti.
On m’invite à dîner, il y a du réseau et, étrangement, même si je suis dans une situation un peu complexe, je me sens, dans cette pause forcée, merveilleusement détendu…

La route d’Egvekinot, deuxième étape


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Cette euphorie fut de courte durée… Après deux petites heures pendant lesquelles j’avais sombré dans un délicieux sommeil profond, voilà que rapplique Evgeniy un peu bourré ; il m’a réveillé en sursaut pour reprendre la route… Il faisait jour mais il faisait nuit, ce sont les paradoxes Arctiques…

Après deux kilomètres , il se range sur le côté et s’effondre sur son volant. Me voilà prisonnier, dans ces vieux camions , il n’y a qu’une porte côté conducteur et la voilà totalement obstruée par la masse du chauffeur. Une obligation urinaire m’a obligé à escalader l’obstacle qui n’a même pas remué d’un millimètre, je sens que la journée va être terriblement longue… Je n’ai même pas vu passer la nuit ; c’est normal en cette saison, elle dure à peine deux heures

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C’est vrai qu’elle fut longue…quand Evgeniy s’est enfin réveillé c’est pour repartir aux deux kilomètres précédents où le chauffeur du camion qui transporte la moto s’était complètement vautré dans un fossé. L’opération de sauvetage nous a pris une bonne partie de la journée. Il a d’abord fallu dégager les trains de roues à la pelle en attendant que le chauffeur ne se réveille de son coma éthylique. Ensuite, on a tracté avec cinq camions attachés les uns aux autres. Une heure plus tard, il y avait un second échouage, moins complexe, mais ça remplit vite la journée tout ça… Elle n’est pas simple la route d’Egvekinot, mais mon zèle à préférer pelleter plutôt que boire l’apéro m’a fait gagner du galon auprès des plus âgés de l’équipe et je sens que je suis nettement plus intégré que quand la journée a commencé.


Mais quand a-t-elle vraiment commencé ? Quand la nuit n’existe plus, qu’elle est remplacée par une aube interminable, un crépuscule infini, on perd bien vite quelques repères élémentaires…

La route d’Egvekinot


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Lever du jour, je me bricole un petit déjeuner, ma babouchka dort encore devant sa télé dans la pièce d’à côté. De quelle attente cette journée sera-t-elle donc faite ?

Je monte jeter un coup d’œil deux étages plus haut et je constate immédiatement que le mot que j’avais laissé sur la porte d’Andrey n’y est plus. Je frappe. Il ouvre, visiblement pas dans son meilleur jour. Il baragouine quelque chose, donne quelques coups de fil. Vu comme ça, on dirait que ça bouge. Il me parle de containers ; je me dis qu’il va me proposer d’expédier la moto par transporteur.

Je vais récupérer mon sac chez ma nouvelle copine d’un soir qui est bien triste de me voir partir si vite …quand je reviens chez Andrey et que je lui demande si je laisse mon sac dans la chambre, il me fait signe que non et me demande si je peux démarrer la moto, je sens la confirmation qu’il se passe vraiment quelque chose.

On retrouve les camions sur un parking à containers, sur la route de l’aéroport. Tout se renégocie très vite… Il faut trouver de quoi lever la moto pour la mettre sur le premier camion, les bagages seront dans le second et moi je voyagerai dans le troisième. Andrey emmène tout le monde faire quelques courses, nous redépose au parking, me salue, plus chiffonné que d’habitude et puis me dit qu’il retourne au lit, non sans m’avoir bien dit de prévenir les autorités.

Serait-ce ça qui aurait accéléré les choses ? Le faite que je tienne au courant mon petit fonctionnaire polyglotte a peut-être contribué à ce rebondissement, l’air contrarié d’Andrey pourrait confirmer cette hypothèse… Ici on n’aime pas les autorités, comme partout ; mais moi, je n’en suis pas bien fier, mais je me dois de protéger mes arrières.

Je vais quitter Pevek, je ne suis pas arrivé à Egvekinot pour autant.

Mon chauffeur n’est pas le plus réveillé de l’équipe. Il porte même une bonne vieille tronche de mec qui cuve depuis un bout de temps… Mais bon, on prend la route. Ce nouveau partenaire s’appelle Evgeniy. En picole, c’est un professionnel. En conduite de camion, j’en suis moins sûr. Il a un peu tendance à lâcher le volant pour exprimer vigoureusement son intense patriotisme et à rattraper le cap à l’arrache. Heureusement que ce n’est pas une route de montagne.

Après une demi-heure, nous virons vers l’Est, en quittant la route principale. Mon camion s’arrête devant un container monté sur luge stationné à côté d’un bulldozer et d’un groupe électrogène, y séjourne un petit gars bien sympathique chargé tout seul de l’entretien des routes… Et ça redébouche une bouteille de vodka, je vais me réfugier dans le camion. Une heure plus tard, mon conducteur ressortira titubant, remontera péniblement dans sa cabine après un premier vautrage dans la neige. Le petit gars me dit de ne pas m’inquiéter, que tout est normal… Je n’en suis pas totalement certain…

Ou alors, je vais devoir affronter cette normalité là et ça risque de ne pas être simple.On roulera comme ça une heure ou deux ou trois, jusqu’à ce qu’Egeniy me dise que je peux dormir sur toute la banquette. Il a un apéro chez le voisin.Il est vrai que je me demandais depuis le début du trajet où et comment j’allais dormir. Dans ces vieux camions Ural, il n’y a pas de couchette… Maintenant je suis rassuré, je risque même de passer une excellente nuit… Dans un camion, ça ne s’est jamais produit et dans celui-ci, c’est une sacrément bonne surprise.

Pause sans nom


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Cette escale à l’hôtel a régularisé ma situation mais a brisé la chaîne amorcée depuis mon arrivée à Pevek… Je m’étais levé tôt pour me rendre au garage, mais il fallait attendre 10 heures pour avoir le fameux papier. Le programme semblait simple: je passais déposer mes bagages chez Andrey et puis je filais au garage pour charger la moto.

Arrivé chez Andrey, j’ai trouvé porte close et au garage pas l’ombre d’un camion. Après deux ou trois heures d’attente à dessiner à la cantine, un ancien autobus désaffecté , je suis reparti chez Andrey; il y a un bon kilomètre entre chez lui et le garage, ça me fera toujours marcher un peu …

Toujours rien… Supputant un coma éthylique, je tambourine ; ce qui inquiète la voisine. Elle me propose d’attendre un peu chez elle, m’offre du thé et des côtelettes panées, je fais des dessins à la gamine, je tue l’ attente. Après un aller retour au garage tout aussi infructueux, je reviens à la case départ… Toujours rien… Comme la voisine doit s’absenter, elle me confie à un autre appartement deux étages plus bas, chez une grand-mère édentée et son petit-fils déjà pochetron et tout aussi édenté…

Suivra une longue traversée du néant… Le jeune Pochtron s’en est allé quelques heures plus tard et la petite mémé avait l’air toute désœuvrée devant sa télé.Je finirais par proposer à cette babouchka de louer la chambre du fond ; prolonger cette journée inoubliable, rester dans son jus, ce sera certainement plus mémorable que de retourner dans cet hôtel triste et cher… Avec ses deux taulières gaulées comme des clones de Margaret Thatcher… Mais il y a quand même comme un sale air de cul-de-sac dans cette journée…

Seconde journée à Pevek


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Quel étrange deuxième jour. Andrey, la nuit dernière, est sorti de son côté et visiblement pas chez des évangélistes ; à deux heures du matin, je le retrouve comme la veille, prostré devant une bouteille vide dans sa cuisine. Je retourne me coucher, je sais que je ne peux rien faire… Le matin, il va un peu mieux et il m’explique que la recette idéale après une cuite, c’est de boire un petit verre à jeun au lever . Je connais bien cette théorie, ce n’est pas une spécialité russe, mais lui, c’est une bouteille d’un demi litre qu’il m’a vidé. Évidemment, il y a toujours un moment où il devient incohérent et comme on ne parle pas la même langue, très vite ça vire au complètement chiant. Il n’arrête pas de me dire qu’il y a un big problem parce que je n’ai pas dormi à l’hôtel, mais je ne comprends rien aux explications. Un ami à lui passe, un qui devrait tout arranger, mais ça n’arrange rien. J’ai même l’impression qu’ils s’engueulent… On finira par aller à l’hôtel où tout se passera sans problème, enregistrement tampon et c’est réglé. Retour ensuite au garage où une sorte de fête arrosée se tient à la cantine. Il y a là ceux qu’on m’avait présentés la veille et les épouses qui trinquent avec la même vigueur.


Elle n’en finit pas cette journée.
Vient le moment où le frère d’Andrey, un immense gaillard à la bonne gueule qui est quand même un peu le boss, me dit de le suivre… On part à l’autre bout de la ville ou, dans un appartement un peu pourri, au cinquième étage d’un immeuble, on retrouve trois gaillards tout à fait patibulaires avec lesquels le frangin parlemente vigoureusement ; ça passe des invectives aux réconciliations arrosées mais je ne sais pas vraiment de quoi ça parle. Après une bonne demi-heure, les frangins se lèvent et on se salue virilement après avoir trinqué deux ou trois fois. En sortant, ils me disent que c’est bon, qu’on a trouvé le chauffeur. Moi je suis dans un état totalement second, toutes ces conversations donc je suis l’enjeu et auxquelles je ne comprends rien, c’est comme nager en eaux troubles. Et ce n’est pas fini… On retourne au garage pour continuer la journée festive. À la fin d’après-midi, j’arrive à trouver quelqu’un qui me ramène, je suis complètement cuit mais je dors à l’hôtel… Je n’aurai pas à finir la soirée avec Andrey…

Une journée à Pevek


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La journée a commencé avec le déchargement de la moto ; routine encore. On me présente tout ceux qui bossent au garage et puis Andrey m’emmène à la recherche du bureau de l’Immigration. J’ai une adresse ; on s’y rend.


Ce bâtiment n’a pas bien l’air officiel. J’essaye quand même ; appartement 25, je frappe à la porte.
Un impressionnant binoclard ventripotent et Bodybuldé m’ouvre la porte en caleçon débardeur. Non, il n’est pas le service de l’immigration, mais il ne m’envoie pas chier pour autant, il m’invite à boire un café avec des petits gâteaux entre son écran plat et son banc de muscu.

Andrey attend en bas… Je m’ébouillante discrètement pour ne pas le laisser en plan trop longtemps. On trouvera la bonne adresse quelques immeubles plus bas… On m’y pose quelques questions, on vérifie les papiers et puis on me donne rendez-vous pour plus tard à une autre adresse. Retour au garage pour un apéro dînatoire, là j’enjolive… Vodka, salade, saucisses et poisson séché. On range mon bordel itinérant et on retourne à l’interrogatoire. Un jeune fonctionnaire me pose un tas de questions sur ma vie, ma famille, mes études, j’attends toujours les questions qui fâchent, elles n’arriveront jamais. Il me signale néanmoins que pendant mon séjour à durée indéterminée, il faut que je passe au moins une nuit à l’hôtel afin de parfaire mon enregistrement… Andrey m’y emmène donc, je m’y enregistre et on repart au garage. Je prends ensuite contact avec Ygor, celui dont Anastasia, à Montpellier, m’avait filé les coordonnées et que j’avais déjà croisé au premier enregistrement.
Oui je sais il faut suivre…

Ygor m’emmène faire un petit tour dans la toundra ; il me parle de chiens et de rennes et me dit que pour moi ce sera gratuit.
Il vient donc me récupérer à l’angle de la rue et m’amène ensuite dans un garage où il y a bien un jeune renne et deux très élégants chiens blancs dans un enclos. On est loin de l’expédition en traîneau à chien dans un élevage de rennes que j’avais imaginée dans le genre plan touristique. Nous embarquons donc la ménagerie , avec Madame, dans un vieux pick-up jaune et nous voilà partis juste quelques kilomètres plus loin, sur la route boueuse qui mène à l’aéroport, pour faire gambader les animaux et gratter la neige, pendant une bonne heure, pour ramasser du lichen pour le renne. Quand il sera revenu dans son enclos, ce sera son fourrage pour la semaine. Je suis très touché de l’attention que m’a apporté Ygor en m’offrant cette prestation ; en même temps je suis allé l’aider à gratter et récolter la nourriture de son bestiau, c’est peut-être plutôt lui qui aurait dû me payer…
À peine revenu en ville, je reçois un message de Nadia. Ygor lui a donné mon numéro pour si j’avais besoin d’une interprète. Je ne sais pas qui elle est ; elle me convie à un petit repas avec quelques amis. C’est juste à côté, après tout, pourquoi pas… À peine arrivé je suis accueilli chaleureusement par toute une petite bande en train d’écouter une Joan Baez blonde en plein récital de chants religieux.
Je suis tombé chez des évangélistes.

La situation est pour le moins étrange, je suis totalement largué au milieu de cette assemblée. Je peux échapper au prosélytisme du prêcheur car j’ai la chance de ne connaître qu’une vingtaine de mots en russe, ce qui est bien insuffisant pour comprendre quelque chose au message du Christ. Quand on commence à s’intéresser à moi, je marque des points à une vitesse prodigieuse. Un artiste qui voyage tout seul, avec une moto, au Chukotka, rien de plus romantique pour faire vibrer les jeunes nonnettes… Évidemment, pas moyen d’y échapper, on me demande mon avis… Pas sur la conjoncture, non, sur le message du Christ. Là, je profite de mon avantage et du fait que je ne suis que de passage pour y aller de mon message universel sur les dégâts des religions et que si il y a un dieu quelque part ce n’est pas dans les messages du Christ qu’il faut aller le chercher, le prêcheur s’éclipse , j’ai gagné la partie… En même temps il vaut mieux éviter de se faire des ennemis, même si on part le lendemain, il faut parfois rester discret, or d’après Andrey, tout Pevek serait déjà au courant de ma présence. Je me retire donc à mon tour, non content de cette petite victoire contre les intégristes. Ma piaule chez Andrey et deux barres d’ immeubles plus bas… Quelques minutes plus tard, je suis au plumard…

Andrey II


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Ce chauffeur là n’est pas comme les autres, avec lui je peux discuter. Et puis il ne balance pas ses poubelles par la fenêtre, il ramasse même les ordures des collègues qu’il trouve bien souvent complètement cinglés.

Il me raconte les choses de la vie en fumant clope sur clope entre deux quintes de toux. Il me parle aussi de camions, parce qu’il aime ça, les camions. À Moscou, à la saison d’été, il a une vie normale, il voit sa famille et il conduit un magnifique camion américain dont il est très fier ; pas un putain de Kamaz Ural tout pourri, comme ici. Mais, je le savais déjà, quand on vient bosser au Chukotka, on gagne trois fois plus qu’ailleurs. Et lui, contrairement au docteur Sergey, il est né à Pevek, sa famille est ici, son putain de frère qui n’a pas les mêmes opinions que lui. Son rêve était d’aller bosser au Canada, il avait fait toutes les démarches et ce Fucking Covid est arrivé… Alors il est resté là, il a passé la barre fatidique des 50 ans et maintenant, il le sait, c’est foutu; putain de Covid.
Alors il boit. Il reconnaît qu’il n’est pas le seul, mais au Chukotka, la vie est tellement difficile… Alors on boit.

À travers l’immensité blanche, on roule.
Plus un seul arbre, c’est la toundra…. et au soleil levant, quand nous reprenons la route, c’est quand même vraiment très beau , malgré les courbatures . J’ai terriblement mal dormi… D’habitude, car j’ai déjà des habitudes, j’utilise mes moelleux équipements pour me faire un matelas dans les cabines surchauffées. Comme Andrey ne laisse pas tourner le moteur la nuit, il ne chauffe qu’avec un petit système électrique beaucoup moins puissant. Là, je suis obligé de garder les costards d’homme des neiges sur moi, je dors donc en partie sur la planche qui sépare les fauteuils, c’est assez inconfortable. Alors, je reviens à la version matelas, je tapisse toute la planche avec mes fringues mais j’ai bien vite froid… C’est ainsi que chemine une bien courte nuit, à passer du chaud au froid et du trop dur au presque mou, tout ça accompagné des ronflements d’Andrey qui cuve son demi litre . Après avoir attendu qu’il soit huit heures du matin, je me permets de le réveiller et je fais bien ; il ne m’en voudra pas. On va se faire une petite collation et puis on va prendre la route.
Andrey aime le rock. On escalade le petit col sous un soleil rasant avec les trémolos électriques des scorpions et de l’autre côté, on plonge lentement dans l’immensité blanche, Leonard Cohen chante Hallelujah, c’est beau à pleurer.
Les cents derniers kilomètres se font sur la « Ice Road » avec AC/DC, je crois qu’ici, on est très fier de cette route « à l’américaine ». Tout est plat et infini, on roule sur la mer, le camion vogue.
Nous arriverons à Pevek en fin de journée.

Si Bilibino était une bourgade plate, entourée de collines, Pevek est sur un flanc de colline entourée du plat de la mer gelée… Quant aux immeuble colorés, ce sont un peu les mêmes . Nous laissons la moto sur le camion dans le garage familial à l’entrée de la ville, Andrey m’invite chez lui, on s’occupera des formalités plus tard…

Sur la route


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Sur la route, il me manquait un peu, Hassan, pourtant il était bien fatiguant ce garçon. Comment le décrire ? Une sorte de mix entre Jean-Pierre Bacri et Jean-Claude Van Damme, entre une bougonnerie maladroite et un virilisme exacerbé. Emma doit souvent aller se reposer chez ses copines et ça se comprend.

Les filles n’ont pas beaucoup de place dans le monde des camions et des garages, il y a parfois celle qui fait discrètement la cuisine à la cantine, mais, même elle, elle est bien souvent remplacée par un solide gaillard qui d’ailleurs prépare Lui aussi très bien la soupe à la viande, il faut bien le reconnaître. Je crois qu’en Russie, souvent, les filles ressemblent aux filles d’avant. J’avais appris un jour que le kiné qui m’avait rééduqué la cheville il y a quelques années était marié à une femme russe. Évidemment ça m’avait intrigué et je lui avais posé quelques questions. Il faut bien avouer que sa réponse m’avait surpris… Ce qu’il avait cherché, ce garnement, c’est une fille comme avant, une qui reste à la maison et qui torche les mômes sans faire la gueule. Cette sidérante réponse m’avez cloué le bec. Elles ont encore du chemin à faire les femmes de Russie. Et qu’elles le fassent donc, je suis de tout cœur avec elles ; mais si possible en s’arrêtant un tout petit peu avant la case où on va balancer ses porcs à tout-va. Mais je suis sans doute moi aussi d’une autre époque…

Je chemine, je cogite et je découvre que mon chauffeur s’appelle encore Andrey, qu’il parle un peu anglais et qu’il n’écoute pas de variétoche russe. En conduite de nuit, il s’applique, on parle un peu, c’est bruyant le camion et puis ça secoue. Ça remue d’autant plus que je m’étais préparé à une nuit de plus dans le grand lit fleuri…
Après deux ou trois heures de route dans un lit de rivière gelé vers 2h du matin, c’est le moment de la pause. Au bord de la piste blanche, pour une lune légèrement voilée, Andrey devient plus volubile, il se vide à lui tout seul une petite bouteille de vodka puis s’effondre en ronflant dans sa couche.

Route de nuit


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J’aurais pu croire hier que dans la lancée du sauvetage, on allait enchaîner avec un camion pour Pevek, mais non, aucune animation dans le garage, je commençais à craindre le pire… Même plus moyen d’aller faire des petits tours de quartier avec la motoski. Alors, comme ça faisait plus d’une semaine que j ´étais la, je suis revenu me signaler à l’immigration. L’accorte officière n’a pas l’air très contente, mais c’est son style d’avoir l’air pas contente, c’est pour être bien dans son rôle… J’ai cru comprendre qu’elle voudrait que Hassan vienne lui expliquer…
Alors j’ai traversé une fois de plus les friches enneigées pour aller l’extirper de son boulot et nous sommes revenus ensemble au service de l’immigration.
Hassan discutait avec elle avec l’entrain qui le caractérise. Une fois sorti, il m’a tout expliqué. Comme j’avais dépassé la semaine prévue , il fallait que j’aille à l’hôpital faire une prise de sang pour prouver que je n’avais pas le sida et que je n’étais pas drogué. Après ça, je pourrais rester un mois. Hassan exulte. Niet Fransous, finish, For one month you Rousky now, comme Gérardepardiou.
Un mois… Je lui fit un peu part de mon désarroi et partit faire quelques emplettes en prévision du petit déjeuner Fransouss; ce qui pouvait signifier que, si je devais encore rester ici, je pourrais échapper au foie de renne avec le café au réveil.
Vaguement fataliste, je me préparais donc à moins me focaliser sur l’attente. J’allais essayer de regarder si j’avais des messages et puis écrire un peu… Et voilà qu’Hassan fait des bons; now, Kamaz, Pievek, Davaï….
Un camion, là, comme ça, sans prévenir… Je fis mes bagages en catastrophe , Hassan emmena tout ça dans le coffre de Sylioga qui attendait déjà en bas et Emma m’avait préparé une montagne de tartines.


Tout s’est accéléré, on retourna au garage où le pont suspendu était déjà préparé. On a chargé, on s’est congratulés, on s’est accoladés et me voilà parti dans la nuit. J’avais encore dans la tête un peu de la soirée que je pensais passer, mais c’était une réalité qui n’a pas eu lieu.
La réalité, c’est moi dans un camion qui part à la nuit tombante en direction de Pevek.

Tentative d’évasion


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On ne s’évade pas comme ça de Bilibino et j’ai sans doute eu de la chance. Mais cette tentative a-t-elle fait prendre conscience à mes hôtes qu’il fallait bien que les choses bougent parfois ? Dès le lendemain, Hassan et Sylioga m’ont mis sur pied une expédition de récupération de la moto. Nous sommes partis, Hassan moi et un chauffeur, dans un vieux Land Cruiser avec une remorque. En me retrouvant sur cette piste , juste en spectateur avachi sur un tas de vieux blousons molletonnés, j’étais finalement, en mon fort intérieur, plutôt fier d’avoir réussi à franchir ces presque quatre vingts kilomètres. Inutile de regretter de n’avoir pas pu continuer, mon matériel n’est pas à la hauteur et quand je sens l’état de mes épaules au lendemain de l’épreuve, je me dis que peut-être moi non plus.


Pendant les quelques heures de trajet, Hassan n’a pas arrêté de parler haut et fort au chauffeur qui, visiblement, avait l’air d’apprécier. Je ne sais pas ce qui pouvait alimenter son débit, comme ça, sans interruption ? J’ai essayé d’attraper quelques mots au vol et même de l’enregistrer avec le téléphone depuis ma litière arrière, mais rien à faire ; je ne saurai jamais avec quel sujet passionnant il a pu tenir six heures de prestations.

Aller retour intense à la case départ


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Ce matin là, le ciel était parfaitement bleu, il n’y avait pas de vent et je débordais d’énergie. Je me suis dit, c’est maintenant qu’il faut y aller.
Dès 10 heures, je me suis rendu au garage, j’ai rassemblé les bagages et je suis parti chercher de l’essence. C’est déjà tout un programme en soi. En me glissant entre les immeubles colorés, histoire de m’entraîner un peu, je suis tombé sur mon petit flic, toujours en séjour à Bilibino. Il promenait son chien. Il m’a donc dit de patienter quelques instants, qu’il ramenait le clébard et qu’il allait m’emmener au dépôt de carburant. J’ai donc attendu et là-dessus, je me suis chopé une patrouille. Heureusement, mon petit flic qui a une notion du temps d’attente plus en accord avec la norme occidentale, est revenu… Il leur a expliqué qui j’étais, montré des photos sur son téléphone et ils m’ont tous escorté à la pompe. Il faut bien le reconnaître, je n’aurais jamais trouvé tout seul, le dépôt est bien caché dans une de ces zones à containers que je connais maintenant si bien. Retour ensuite au garage pour quelques inévitables salutations d’adieu et une dernière soupe à la viande.


Et me voilà parti par la route qu’on m’avait indiquée. Un léger doute m’assaille, je me renseigne et, de fait, ce n’est pas du tout la bonne direction. Alors je fais demi-tour et je me plante dans un tas de neige ; les skis sur Moto, ça ne s’enseigne pas aux épreuves du permis, je manque un peu de pratique pour les demi-tour. Alors des gens vont chercher des gens et on finit par l’extirper… Je remercie tout le monde et je retourne au garage.

Inutile d’essayer de me faire expliquer pourquoi on m’a envoyé dans n’importe quelle direction. Il y a toujours dans les villes, des gens qui ne la quittent jamais. Les directions lointaines sont pour eux une abstraction, alors on se dit que tous les chemins y mènent … C’est comme ça; alors plutôt que de tergiverser, j’appelle mon taxi habituel et je lui demande de me mettre sur la bonne route. Les taxis ça connaît les routes. Une fois arrivé sur la bonne voie parfaitement déneigée, je me rends bien compte que, sur les cailloux, avec les skis, ça risque de poser quelques problèmes. Alors je démonte et je vire la chaîne neige de la roue avant pendant que le taxi disparaît dans un nuage de poussière. Il revient quelques minutes plus tard pour m’assister dans mes démontages et puis, il me dit bravo, bonne chance et ne me demande rien pour la course… C’est pas un taxi parisien qui ferait ça… Mais ici, on est pas à Parich.

Suivent alors une trentaine de bornes de bonne piste gravillonneuse, ou de mauvaise route, on choisit la définition selon son humeur. Le taxi m’avait expliqué qu’au kilomètre 26, il fallait tourner à gauche et, après le passage du fleuve gelé, encore à gauche. Je suis rassuré, même si j’ai pris sérieusement du retard. Comme je croise de la circulation, même des petites bagnoles, j’en déduis que la route est excellente et que je ne risquerai pas de rester tout seul en rade. En remontant les skis à la bifurcation, je discute avec plein de gens, on fait des photos… Et puis je passe la rivière gelée, il y a beaucoup moins de circulation et plus une seule voiture de ville. C’est là que j’aurais peut-être dû commencer à me poser des questions…

Plus j’avance, moins je m’en pose, d’ailleurs. Je m’applique à piloter ma motoski comme je peux ; ce n’est pas simple. Il y a des ornières ou des bosses. Il y a aussi souvent des dévers . Je dois laisser la moto glisser et rebondir sur le bord pour revenir au milieu. Et si le bord est trop enneigé, il faut contrebraquer en donnant un coup de gaz et ça rétablit la trajectoire. C’est assez fatiguant, mais ça fonctionne. Et puis je suis assez content de l’efficacité de mon système. Je ne me suis pas rendu compte tout de suite de cette étrange tendance à toujours plonger vers la droite. C’est après un passage sans neige que j’ai inspecté l’état du matériel. Les tronçons sans neige sont les pires, souvent à la sortie des rivières gelées, là où ça grimpe un peu. Là, je dois virer tous les bagages et pousser. Les skis sur la terre, ça ne glisse plus, ça freine… Alors il faut pousser et faire travailler l’embrayage, ça prend un peu moins de temps qu’un démontage-remontage. Je n’avance pas vite, le temps file, je ne me pose pas de question. Je profite de l’immensité enneigée et de mes progrès en pilotage. Et puis on verra bien ; même si j’arrive en pleine nuit à Ilyerney . De toute façon, je n’ai plus le choix. Inch’Allah, comme on dit dans le Kavkaz.

Mon amortisseur de droite a rendu l’âme . C’est pour ça que je tire à droite. Pas l’amortisseur de la moto, celui qui tient le ski. Alors la moto s’affaisse et je dévie inévitablement vers la droite. C’est logique. Je suis obligé de piloter en Amazone, ou en appui sur le ski de gauche pour tenter de rouler à peu près droit, parfois j’ai l’impression de barrer un voilier en trapèze; mais manier les gaz et l’embrayage dans cette position , ce n’est pas très relaxant… Il est sept heures moins le quart… Au loin, je vois un camion qui vient dans ma direction. Je ne sais pas encore ce qu’on va se dire, mais je sais qu’il est la providence du jour. C’est le seul camion que je croise depuis que je suis sur cette piste.
Aliocha m’ a ramené à Bilibino, j’ai laissé la moto au bord de la piste. Ce fut une belle tentative très instructive, autant pour le pilotage sur piste gelée que pour avoir une preuve de plus de la solidarité russe. Aliocha a donné quelques coups de fil. En arrivant à Bilibino, sous le ciel rougeoyant de la fin du jour, Hassan et Sylyoga m’attendaient . J’ai retrouvé ma chambre… Ce fut une journée bien remplie.

Histoires de communication


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Nous communiquons par Google translate. Le traducteur intégré au téléphone est, pour le voyageur, une invention bien plus essentielle que le GPS… Encore faut-il faire des phrases courtes et soigner sa diction. Quand Hassan s’emballe en agitant les mains , comme si c’est mon téléphone qu’il devait convaincre, je doute que sa diction ne fusse compatible avec la technologie moderne ; le résultat est en tout cas souvent fort improbable.

En même temps, les sujets abordés sont loin de changer la face du monde géopolitique. Comment boivent les Français ? Portent-t-il des toasts ? Est-ce qu’on trouve du cognac à Paris ou Marseille ? Comme Ramin, pour rien au monde Hassan ne voudrait vivre ailleurs. Bilibino et Omolon sont des paradis, on peut y vivre au rythme qu’on veut, partir avec sa moto neige chasser dans la toundra et se ramener un renne qui nourrira la famille pendant quelques semaines. Pour rien au monde, ces deux là ne retourneraient au Daghestan. C’est comme pour Evgeniy à Magadan. Pourquoi avoir envie de venir en France, un pays où il n’y a rien à pêcher et où en plus, pour pêcher ce rien-là, on a besoin d’un permis ? Les chasseurs-cueilleurs n’ont pas disparu, ils se sont un peu modernisés et ils vivent ici, au Tchoukotka . Et moi, avec ou sans permis, il serait temps que j’aille à la pêche au camion… Ou que simplement je reprenne la route… Sauf qu’ici rien est simple…

Temps de pause à rebondissements


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Ce matin j’ai fait mon sac. On ne sait jamais, tout peut basculer très vite avec le passage d’un camion au garage. N’oublions pas que Hassan m’a trouvé deux pistes… Celle de Maxim qui connaît un transitaire et celle de Silyoga, un camion qui doit livrer du ciment et repartir à vide. J’ai mis du temps à comprendre que c’était Sergei, celui des poulets et de la motoneige. Je cherchais partout dans le dictionnaire ce que signifier Silyoga, mais en vain, et pour cause, c’est juste un diminutif. Pour ça, ils sont un peu compliqué les Russes ; chaque prénom a un, voire plusieurs, diminutifs… ça ne va pas accélérer mon apprentissage tout ça.

Je suis allé au garage par des chemins détournés. Je commence à bien connaître les variations d’itinéraire entre les friches industrielles et les anciens quartiers plus ou moins abandonnés. Ce sont de vieux immeubles comme à Omolon, essentiellement, d’après ce que m’a expliqué Hassan, habités par des Tchoutches toujours bourrés. Connaissant maintenant la sérieuse descente de mon bon musulman, je n’ose imaginer l’animation dans les vieux immeubles. Mais Hassan vient du Daghestan et un pur nationaliste de Krasnoïarsk ou de Novossibirsk parlera toujours de ceux d’Asie centrale avec un certain mépris. Alors, heureusement pour mon pote, il y a les Tchoutches . Ainsi va l’humanité et on sait, plus que jamais en ces temps troublés, où tout cela nous mène.

Ce matin, sixième jour à Bilibino, le temps est gris et légèrement neigeux. Ce matin j’ai pété la fermeture éclair de ma super-veste -professionnelle-grand-froid achetée à Magadan il y a trois ans et j’ai perdu les lunettes de soleil achetées il n’y a même pas une journée. Bon, faut pas tergiverser. Tout ça c’est un cygne, comme aurait dit Google translate qui sait toujours trouver le mot juste. Je vais peut-être encore rester au chaud un jour de plus…

Un dimanche à Bilibino


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Il y a comme deux futurs potentiels qui se dessinent en parallèle. Deux réalités prévisionnelles. La première : j’arrive à trouver le matériel qui me permettra de continuer la route tout seul sans prendre trop de risque. La deuxième : je charge la moto sur un camion jusqu’à Pevek où je me remettrai en quête du matériel élémentaire et d’une éventuelle assistance. Ces deux options suivent leur cours ; de mon côté je continue de tenter de remettre tant bien que mal la moto en route, de l’autre, avec la même cadence quotidienne, Hassan s’applique à donner des coups de fil pour trouver un camion. Ce n’est pas moi qui décide tout seul, c’est le respect élémentaire que je me dois d’avoir pour les efforts de mes hôtes, car pour eux, c’est sûr, je suis arrivé sur un camion et je dois repartir de la même façon. Me laisser redémarrer tout seul sur mon épave serait un manquement aux engagements qu’ils ont pris envers ceux qui s’occupaient de moi à Omolon ; c’est une question d’honneur ; il ne faut pas déconner avec ça.

En attendant, c’est dimanche, je vais rester au chaud toute la journée, ça ne me fera pas de tort d’éviter pour une fois le passage au garage…

Samedi


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Il y a juste deux petits magasins de fournitures automobiles. Le premier n’a ni pinces, ni chargeur, le deuxième est fermé. La journée commence bien. Comme j’ai mis ma batterie en charge la veille au soir, je refais l’expérience et elle n’est pas brillante ; même avec l’assistance du booster, impossible de démarrer. Il a fait très froid cette nuit. Il faudra donc qu’aux étapes éventuelles, la moto ne passe pas la nuit dehors. C’est pas gagné cette affaire. Relancer un moteur réfrigéré version polaire, ça ne peut pas se faire comme ça, d’un coup de pousse sur le démarreur. L’huile dans les carter doit être tellement froide qu’elle se gélifie. Je ne suis pas très compétent dans la science des huiles moteur. Mais si en Sibérie, on vend de l’huile 0–30, ça doit signifier quelque chose… Zéro , ça doit être la viscosité d’une huile à salade.

Il y a deux petits jeunes que je croise souvent depuis que je passe ma vie au garage. Le plus âgé, Waza, a compris le problème et il va me chercher deux câbles au milieu d’un tas de ferraille, pendant que son petit collègue ramène une grosse batterie de camion…

Et on y arrive; c’est donc ça la solution, il faut que je trouve des câbles.

Nous allons fêter ça en slurpant des soupes à la viande, tous ensemble à la cantoche et l’après-midi, c’est Sergey, celui de la motoneige, qui me trouvera des pinces dans un de ses conteneurs. Elles sont un peu délabrées, mais c’est mieux que rien… Je peux avancer mon pion d’une case avant de rentrer au chaud tenter de maîtriser cette crève sournoise qui n’est pas du tout la bienvenue…

Pas grand-chose à faire pour le troisième jour


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Encore une fois, je vérifie devant le grand hangar que la batterie de la moto n’a toujours plus la force de la ressusciter le matin. Même assistée de ce petit appareil moderne qu’on appelle un booster, ça tousse à peine. Rien d’autre à faire aujourd’hui, à part un peu de marche à pied. Je déambule dans les amas métalliques des friches enneigées, ou entre les blocs d’immeubles colorés. J’ai fait la liste de ce que je dois absolument me procurer si, faute de camion, je décide de prendre la route. Il faut que je trouve un chargeur pour pouvoir avoir l’illusion que j’ai une batterie neuve chaque matin. Une bonne paire de pinces à batterie sera bien utile aussi pour si je n’ai d’autres choix que d’arrêter un camion au bord de la route pour pouvoir redémarrer. La batterie est trop faible…c’était ma principale crainte mécanique en revenant à Omolon. Mais que faire ? On peut presque tout emmener avec soi dans les avions : des pneus, des pièces mécaniques, mais une batterie, pas question. C’est comme ça , il faut se débrouiller sur place et sur place, parfois, l’offre est terriblement limitée. Il y a quand même quelques petits modèles, sans doute pour les motoneiges et puis des énormes, pour les quatquatres ou les camions… Mais dans la tranche du milieu, il n’y a rien.

Chez Hassan, il n’y a plus ni femme , ni enfants, ils sont allés s’installer ailleurs. L’appartement est donc plus calme et je peux m’accorder quelques pauses studieuses pour lire, écrire et dessiner un peu. Quand le maître des lieux rentre du boulot, il faut vite oublier les pauses studieuses, la téloche et les conversations téléphoniques tonitruantes envahissent à nouveau l’espace sonore. Il est gentil Hassan, mais je ne sais pas pourquoi il ne parle qu’en hurlant, comme j’ai un petit mal de crâne récurrent, sans doute dû à un excès de politesse, je me suis mis à l’aspirine.

Le soir, avec quelques potes, nous allons au banya municipal ; le banya, le sauna russe, le lieu idéal pour se détendre et évacuer ses toxines. Quand je vois le gigantesque pack de bière qu’Hassan emporte, je m’inquiète un peu pour le projet de détente. Un pack, que dis-je, une petite palette plutôt ; je crois qu’Hassan ne fait jamais dans la demi-mesure. Heureusement, comme la petite bande commence par vider des canettes en mangeant du poisson séché dans le petit salon d’à côté, je peux profiter un peu de la chaleur suffocante en solitaire. Mais cette quiétude n’aura qu’un temps et quand ils débarquent tous, plus chauffés que le lieu où nous Transpirons à grosses gouttes, je me dis qu’il va être temps de prétexter un repli. Quand le plus agité commence à vider des bières sur les pierres chaudes, l’odeur qui monte avec la chaleur me submerge… C’est le bon moment pour m’éclipser afin, comme le veut le rituel, d’aller me tremper dans l’eau froide de la petite piscine d’à côté. Je resterai encore un peu en préparant mon repli, l’âge est parfois bien utile quand on cherche une bonne excuse . Il faut que je m’enfuie avant que l’idée ne leur vienne de pisser sur les pierres chaudes. Dehors le calme est total; Ils ont allumé des guirlandes dans les arbres qui longent le trajet du retour. Le voilà enfin le moment de détente…

Deuxième jour à Bilibino


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Et voilà, ça y est, une routine s’installe. Le matin, pas franchement tôt, je pars au boulot avec Hassan. On y va à pied en prenant des raccourcis au milieu des friches industrielles enneigées qui entourent la ville aux immeubles colorés. Arrivé sur place, comme je n’ai plus rien à tchéquer , je sors la bécane qui démarre presque au quart de tour et je la range devant le hangar. Ensuite, je rechausse les skis et je m’entraîne un peu dans le quartier, il faut bien s’habituer à nouveau à cette conduite particulière. À l’heure de la pause, je fais comme tous les autres, je vais slurper ma soupe à la viande. Juste après, quand, comme les autres encore, je m’assoupissais sur mon téléphone, Hassan, aussi vociférant que d’habitude, est venu m’extirper pour je ne sais quelle surprise. En fait, il m’amène quelques containers plus loin rendre visite à Sergey, pas le docteur, un autre. Celui-ci occupe plusieurs containers, un pour élever des poulets, un pour se détendre avec une télé géante et un banya et un autre encore où il range sa puissante motoneige. Il a trois enfants de moins de dix ans, c’est fatigant, alors c’est ici dans ce lieu à la poésie infinie, qu’il vient se reposer.

C’était ça la surprise: la motoneige ; Sergey m’emmène en virée dans les collines environnantes et même, il me laisse piloter un bon bout de temps. On traverse des friches industrielles de plus en plus anciennes et minimalistes… la dernière, avec sa petite mine, ses miradors et ses barbelés, semble évoquer un passé carcéral lointain.

Sergey ne sait rien de tout ça, il me dit juste que c’est ancien et que c’est le trajet pour monter en haut de la colline d’où la vue est imprenable. C’est très insolite ce jeune homme aux joues bien roses qui fait des prouesses en rattrapage de gamelles sur son gros engin et ce décor où plus personne ne pense à ces destins qui, sans doute ici, furent happés par le néant. Et tout est resté en place… Comme les mines abandonnées ou les usines en ruine. C’est finalement bien plus troublant ; pas de musée ni de mausolée, juste les lieux à l’état brut, comme si tout le monde était parti d’un coup et que la neige avait tout recouvert.

Quand j’ai voulu lui montrer que ma bécane à skis c’était de la balle pour la glisse, elle n’a pas voulu repartir… Cette batterie n’aime vraiment pas qu’on l’abandonne dans le froid… Il m’a ramené tout déconfit chez Hassan où, bien sûr, Un repas chaud m’attendait …

Ce soir, Hassan était sobre… Le problème c’est les visites surprises. Le visiteur amène toujours de quoi manger et une bouteille qu’on se doit de vider dans la foulée. Avant-hier, c’était Artium et un chauffeur qui était prêt à m’emmener tout de suite. Le lendemain, un petit gars du Daghestan. À chaque fois, l’invité surprise amène du lard ou du poisson et Emma bien sûr se remet à cuisiner. Ce soir Emma est partie avec les enfants, c’est plus calme… quant à l’invité du jour, c’est mon petit flic d’Omolon. Je le retrouve partout celui-là. Je l’avais déjà croisé en ville et là, je vais lui tirer le portrait et trinquer avec lui. On étudie consciencieusement les cinq cents bornes de toundra qui me séparent de Pevek, la prochaine ville. Il faut prendre en compte l’état de la route et de ma batterie, les endroits où il y a moyen de faire étape et je ne parle même pas du taux de résistance de mes chaînes à neige et de mes skis en ferraille sur les inévitables tronçons déneigés … Tout ça est bien compliqué et demande réflexion… Comme on pourrait dire à chaque fois ; on verra bien demain…

Journée de pause à Bilibino


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J’ai à nouveau tchéqué ma bécane…À chaque fois que je la décharge d’un camion, c’est obligatoire; elle aussi elle a été secouée. Dans un hangar de l’entrepôt, je vérifie que ma batterie chinoise , achetée à Barnaul il y a cinq ou six ans, est toujours en bonne santé. C’est une bonne nouvelle, et je ne m’y attendais pas, c’est qu’on ne trouve pas beaucoup de choses à Bilibino, même pas de réseau Internet. Je réajuste mes chaînes à neige et j’ai fabriqué une protection en moumoute pour réduire les terribles agressions nocturnes du froid sur ma pauvre batterie. À midi, je vais manger avec le personnel du garage dans la cantine container . On y croise ceux qui sont avides de communication et majoritairement, je l’avoue, ceux qui ne pensent qu’à slurper bruyamment leur soupe en regardant leur téléphone.

Hassan qui m’héberge n’est pas un très bon musulman. En rentrant du boulot, il se vide une bouteille de rouge d’ Abkhazie en attendant ses potes pour quelques toasts au cognac, il parle très fort et s’agite beaucoup, pendant ce temps là, Emma, prépare toujours des repas… Quand on rentre du boulot à 5h, une assiette de pâtes au poulet nous attend, on est pas obligé de les manger, c’est pour attendre le poisson qui continue à cuire dans le four ; Hassan, bien vautré avec sa clope , attend qu’on le serve. Finalement, tout bien réfléchi, Hassan est bien un bon musulman…

Arrivée à Bilibino


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Partis le dimanche en fin de journée, après un copieux apéro-saucisse, nous sommes arrivés le mardi en fin de matinée…

Andrey m’a déposé sur un grand parking verglacé à l’entrée de Bilibino. Il y a toujours un instant d’inquiétude quand on passe au chapitre suivant. Les entrées de ville, ce n’est jamais très attrayant, en Sibérie orientale comme en France profonde. Cette petite pause, c’était juste pour recentrer mes bagages dont une partie était sur la remorque de l’autre camion-citerne.

Maxim se présente, il m’attendait dans sa bagnole pour m’emmener dans une de ces zones comme on en trouve que dans les villes isolées. Une bagnole ! J’avais oublié que ça existait. Depuis Magadan, il n’y avait plus que 10 camions et quelques motoneiges.

Et puis surtout, ne l’oublions pas, la magnifique ambulance d’Omolon…Qu’est-ce que j’aurais aimé avoir la même en Dinkytoys quand j’étais petit !

Je me retrouve donc au milieu de vestiges d’usines, de carcasses hétéroclites, d’entrepôts sombres et immenses, tout ça entouré de tas de bidons et de containers glissés dans tous les interstices. C’est dans un de ceux-là, aménagé en cantine, qu’on me propose de me restaurer, puis dans un autre, aménagé en dortoir, de me reposer. Ensuite, je range un peu mes affaires dans un des hangars immenses et, après avoir mis la batterie en charge, je retourne dans le premier container pour attendre la suite… C’est ce qu’on me dit de faire ; attendre … je suis arrivé à Bilibino, pourquoi me presser ? Après deux ou trois heures, je commence à m’inquiéter. Ce n’est peut-être pas de l’inquiétude ; juste l’impression d’avoir des choses à faire… Trouver du réseau, m’enregistrer à l’immigration. Je vais donc me réactiver, un nouvel Evgeniy m’a filé des tuyaux. Il y a un cybercafé à Bilibino : le Chill Out. Il mérite bien de s’appeler cybercafé parce que, et c’est bien rare en Russie, le café y est excellent… Mais au niveau du cyber, comme aurait dit José Artur, il y a comme un truc qui tiendrait presque de la supercherie. Un autre taxi me dépose à l’hôtel… Le seul de la ville. Il est complet. En plus, il est moche : un immeuble comme tous les autres et surtout pas d’Internet… Alors un troisième Taxi m’amène à l’immigration, c’est pas cher les taxis… Ça tombe bien, celui-ci parle un peu anglais, il me servira d’interprète. Une dame imposante dans son bel uniforme photocopie tous mes documents puis me libère, on m’a toujours dit de bien m’enregistrer partout où c’était possible dans cette région. On m’a filé le propusk, c’est pas pour que je fasse n’importe quoi. Bien que j’imagine que pour eux, d’être ici tout seul, à moto , à mon âge et en cette saison, c’est quand même un peu n’importe quoi.

Ensuite, je retourne à l’entrepôt.

La connexion avec la filière daghestane s’est remise en place. Artium m’a trouvé une piaule dans l’appartement d’un compatriote. Un grand plumard tout fleuri, le rêve. On mange entre hommes, on porte quelques toasts, c’est obligé, politesse élémentaire, à la santé de l’amitié et de la paix, c’est la moindre des choses. Après trois ou quatre toasts, je décline poliment et me retire dans la chambre , eux continuent allègrement sans moi. Je vais bien dormir. Je les entends trinquer encore et encore dans la cuisine au fond du couloir, mais sombre bien vite dans un sommeil réparateur. Après le petit lit à ressort de l’office et le fauteuil du camion, c’est un peu comme le paradis

Deuxième jour de camion, deuxième jour sans connexion


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Mes bagages ont été répartis sous les citernes des deux camions. Difficile donc de respecter mon engagement sacré de poster un article par jour, mon émetteur satellite est quelque part dans le convoi de citernes et puis, je pensais qu’on arriverait le deuxième jour. Mais on avance quand même, consciencieusement, inexorablement, professionnellement ; sans picole. Je suis mauvaise langue. La veille , il y avait sans doute quelque chose à fêter. La fin de la livraison ou le retour vers Bilibino sans doute. On a traîné un peu avant de repartir , nous sommes allés boire un thé chaud chez Tatiana qui, avec son amoureux qui fait la grasse mat, habite la seule maison sur les 600 bornes de trajet.

Vu comme ça, de l’extérieur, elle ne ressemble à rien, la maison. On peut même se demander, en voyant l’état des fenêtres, si c’est encore habité, s’il ne fait pas -30 là-dedans. Et pourtant dès qu’on rentre, comme d’habitude en Sibérie, on se retrouve en T-shirt. L’énorme poêle et les couches de lino font admirablement leur travail.

Je caricature, je montre mes croquis… Ça lance des discussions auxquelles bien sûr je ne comprends qu’un mot sur cent… Ça me suffit en général pour savoir quel est le sujet abordé. Météo, état de la route, camion ou conjoncture internationale.

Dans le monde des camionneurs, la conjoncture intéresse peu, le carburant n’a pas encore augmenté, c’est normal il n’est pas importés. Andreï ne fais que ça comme travail: la navette omolon-Bilibino, fenêtre ouverte car c’est le printemps… Mais bon il s’est quand même chopé un torticolis, le printemps à moins dix , ça pique un peu , alors, le matin du deuxième jour, comme il fait moins vingt sept, il se fait une piquouze, car on est pas rendu encore…

Il reste une centaine de bornes , ça paraît pas comme ça mais les ornières verglacées , ça fait chuter la moyenne; c’était la deuxième nuit dans le camion.

Premier jour de camion


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Le matin du départ, j’étais allé, comme d’habitude, au garage finir de bien faire les bagages. Ensuite on m’avait amené dans un entrepôt de carburant près du pont de l’accident. Le camion citerne était là. Dans une petite maison surchauffé, on me présenta alors une grosse dame assise devant ce qui semblait être des livres de Compte des bons de commande et à Monsieur, tout aussi ventripotent, avachi sur un petit lit au pied duquel roupillait un petit chien d’un modèle totalement en inadéquation avec le milieu. Le poêle central chauffait tellement qu’en rentrant j’ai cru qu’on m’avez amené au banya. Ici il n’y a pas de télé… Ça fait du bien, ça change l’ambiance. Mon vieux couple était à fond dans une séance de motq fléchés. Célèbre pont de Francia ; Avinyon. American tzsigarettes : Marlboro… On est chez des intellos, d’ailleurs ici , il y a même une bibliothèque. Je crois que c’est là que s’est négocié mon transport… Encore une fois c’est le docteur qui s’est occupé de tout.

J’ai donc fini par retrouver l’univers rustique des camionneurs. Je connais déjà, je sais à quoi m’attendre. Variétoche improbable à fond la sono rudimentaire, conversation tout aussi improbable au sujet de la moto ou du camion, on ne fait pas de politique, c’est parfait…ça tangue beaucoup, ce n’est pas une piste si facile ; à Moto, c’est sûr, je n’aurais pas été bien loin. Les trois camions traversent la taïga en ne négligeant pas les pauses, la vodka c’est le carburant du camionneur. Plus inventif, il y a trois ans, Yura fonctionnait à la bière en roulant et à la vodka à la pause. Cette fois c’est du lourd, mais tant qu’il n’y a pas de pont, aucune inquiétude.

Voyage en camion


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La veille du départ, je suis allé pour un dernier pot chez le docteur. Dans ma piaule, on était venu me demander des caricatures, Marceil, son pote, puis la famille d’après photo, ensuite je suis allé pour un dernier pot chez le docteur. Marceil aussi du Daghestan. Ruslan a dû faire venir toute la famille quand il est devenu « deputate ». Marceil , ça se dit Marseille Et inversement, c’est une histoire de prononciation. Marceil Était donc très content que j’habite Marseille, je dis toujours ça, un écart de 150 bornes, à l’échelle de ici, ça compte pour que dalle. Et puis Marseille tout le monde connaît… La France c’est Parich et Marceil , Tout le monde sait ça…

Mais revenons-en au docteur. On a parlé comme on a pu de l’état du monde. Au-dessus de son lit, il y a un somptueux portrait de Staline en grand uniforme, quand ce fut à son tour d’être caricaturer, je l’ai revêtu de cette prestigieuse panoplie médaillée. Il en fut ravi et nous avons trinqué à la grandeur de son pays, ça fait toujours plaisir.

Etape suivante


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Chargement de la moto et adieux à tout le petit monde d’Omolon, avant le démarrage du convoi de trois camions pour la longue route…C’est presque une routine mais une routine qui pince un peu le cœur.

Quand on voyage à vingt ans, ou à quarante, on se dit toujours qu’on pourra revenir un jour… ça m’est arrivé parfois, des retrouvailles vingt ans après.

Mais là, avec l’âge qui avance, le monde qui part en couille, comment imaginer revenir un jour à Omolon.

Je leur dis, à ces amis éphémères, que si un jour ils visitent l’Europe, ma maison leur est grande ouverte, certains sont même venus.

Mais là…

la grande lessive


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 Attendre, toujours
attendre, les voyages ne seraient-ils pas plus fait d’attente que demouvement ? Voilà qui semble bien paradoxal, mais quand on se hasarde àvenir obstinément vers la fin de la planisphère, dans les étendues blanches de
l’hiver au Tchoukotka, il ne faut pas rêver pouvoir traverser la contrée en  filant comme une gazelle dans la steppe;
souvent il faut attendre…un transport, une météo favorable…

Je suis arrivé jusqu’à Omolon, j’ai remis ma moto en service, mais  pour  les six cents kilomètres de piste enneigée qui me séparent de Bilibino , je suis obligé d’attendre un camion. Contrairement audésert de sable, dans le désert blanc, on ne passe pas la nuit dehors, alors il faut guetter le camion.

Aujourd’hui, c’est le weekend, il fait gris donc froid.

En voyage, il faut toujours amener de la lecture et de quoi  s’occuper… dans mon cas, dessiner… en prévision des weekends gris et froids. Le docteur a passé la nuit au dispensaire, juste au dessus de ma chambre, pour veiller un malade qui doit être emmené en hélicoptère à Bilibino où il y a un hôpital équipé pour les pneumonies.

A  l’aube, j’ai rendu visite à l’étage, on m’a offert le thé et pris la tension, on m’a même donné une petit pilule… l’attente incertaine, ça doit être incompatible avec la décontraction.

Entre lecture et visite médicale, on peut toujours faire unepetite lessive ; c’est ça : une petite lessive, c’est une bonneoccupation pour les longues journées d’hiver…

 

 

Une petite virée au garage à changé la donne. Il faut toujours passer par le garage ; c’est là que ça se passe.

Ramin est, semble-t-il, le frère  de Ruslan, le député-patron du garage, en virée à Omolon. Je comprends comme je peux mais on arrive à se raconter des bouts de vie dans la cabane du garage. Il me montre ses sculptures sur bois, ses manches de couteaux en corne, il me dit qu’il a appris ça en prison, où il est allé quelques années parce qu’il aimait bien la bagarre. Ramin vient du Daghestan; c’est très testostéroné ces coins duKavkaz.

Ce qu’on appelle aussi le Caucase.

Et puis trois camions passent…
Ramin bondit sur sa pétaradante motoneige et voilà qu’il revient quelques minutes plus tard.

C’est parfait; demain je pars pour Bilibino…

Demain je quitte Omolon…

Une journée particulière


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Le docteur n’en manque pas une pour me trouver des occupations sympathiques. Il y en a qui emmènent leurs invités voir les lieux touristiques, les élevages de rennes ou de bisounours.

Lui il m’a proposé de l’accompagner dans son boulot. J’ai découvert grâce à lui ce qu’est la vie d’un urgentiste. Il y avait là toute une équipe de pompiers, d’agents municipaux avec deux bulldozers, des cisailles, des disqueuses et même mon petit policier préféré. ils ont redressé le Kamaz tout écrabouillé, je n’avais pas compris tout de suite que le chauffeur était encore dedans. Grâce à mon pote le docteur, j’ai aussi découvert la vie de médecin légiste.

C’est une sensation bien troublante d’assister à tout ça, mais sur le chemin du retour, je pensais surtout à la vie de tous ces camionneurs dont j’avais partagé un peu l’existence il y a trois ans.

Je suis rentré casser la croûte avec la petite famille d’à côté. Le petit Vania est curieux de tout, ça change les idées, c’est mon nouveau pote à Omolon…

Ensuite, je suis repassé au garage et là, incroyable coïncidence , j’ai retrouvé Yura, mon chauffeur de la dernière fois, bien vivant lui . J’ai ,en plus ,pu profiter de sa vitalité hors norme pour m’aider à démonter le pneu de la moto, dernier bricolage du programme.

C’est dingue ce que c’est dur, un pneu, quand il gèle.

Yura est ensuite reparti pour Magadan, dans un Kamaz orange, lui aussi…

Dans le murmure du silence


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Entre la mairie-dispensaire-poste-commissariat, temple du wifi, et le garage sans outils, il y a un petit kilomètre à pied dans le silence feutré de la neige. Parfois le passage d’un véhicule ou l’aboiement des chiens vient rompre cette ambiance ouatée. Seules les motoneiges et leurs puissants moteurs à deux temps viennent gâcher tout ça.

Le bruits des motos; ce débat éminemment motard et d’un autre âge, viendrait-il troubler aussi la quiétude d’ici ?

Si en France, quand j’étais petit, le débat du déplacement motorisé c’était de savoir qui préférait le hurlement enfumé des moteurs deux temps au rugissement des quatre temps débridés, ici, on devait causer traineaux à chien. Réduire les aboiements, accorder les grelots. C’était vraiment une autre époque dans les rue d’Omolon…

J’y vais donc d’un bon pas crissant, la fraicheur m’envahit les narines avec cette sensation étrange d’odeur de rien qui remplit puissamment les sinus. Peut-être que c’est ça, l’effet covid, mais je dois dire qu’ici, cette épidémie est loin d’être une préoccupation.

C’est d’ailleurs étrange, tout ça.

Depuis le départ, j’ai l’impression, même dans les avions, que plus on va vers l’Est, plus tout le monde s’en fout. Dans l’avion Air France, celui qui me vit partir, la psychose était à son comble, les hôtesses sans visages surveillaient plus l’ajustement des élastiques que celui des ceintures de sécurité. Passé sur Air Serbia, il n’y avait plus que les hôtesses à se voiler la face et sur Aéroflot, enfin, le retour temps d’avant et ça fait du bien.

Encore une fois, je commence la journée sans savoir de quoi elle sera faite ; c’est sans doute le lot de tout le monde, mais dans mon cas précis, ça semble plus prégnant. Il va falloir trouver un camion et en attendant, peut-être un endroit plus abrité où pouvoir minutieusement démonter mes robinets. Dans le garage de Ruslan, ce n’est pas la minutie qui est à l’honneur.

Hier soir, mon pote le docteur a tenu à me convier à nouveau à sa soirée Samogon. Impossible de décliner une seconde fois…Coincé entre une sorte de BFM TV martial et un docteur de plus en plus remonté, je me suis dit que je ne survivrait pas à cette soirée. Heureusement, une alerte médicale m’a sauvé pour cette fois; le docteur a dû partir en urgence, un camion qui avait loupé un pont, ça c’est de l’urgence. La petite ambulance m’a déposé chez moi avant de partir dans la nuit glacée.

J’aurai survécu à cette soirée… le chauffeur du camion, non…

De la maison au garage…


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Au dessus de la mairie, il y a donc cet appartement dont j’ignore la fonction initiale.

Le matin, Vania vient me chercher pour boire le thé en famille. Il y a juste sa mère et lui, le papa est reparti bosser à l’élevage de rennes ; j’aurais bien été y faire un tour, mais c’est à deux cents bornes et il n’y a pas de route. On y va, si j’ai bien compris les échanges rudimentaires que j’ai toujours ici, qu’avec un « tank »… Je suppose qu’il s’agit de ces chenillards que j’ai parfois vus au bord des routes.La mairie, c’est aussi la poste et le commissariat, où j’avais mes habitudes la dernière fois. C’est donc le seul endroit, avec le collège juste en face, où on peut avoir du réseau pour communiquer. C’est toujours un peu mon obsession le réseau.

Mon autre obsession du jour, c’est tenter de redémarrer la moto après son séjour dans le permafrost…

J’ai d’abord retrouvé ma tenue de randonneur des grands froids en parfait état, voilà qui me permet d’envisager, en extérieur, une remise en état approximative de la moto sans attraper une pneumonie. Mais du côté des doigts, ça reste LA problématique. Impossible de manipuler les cosses électriques ou les vis de carbus avec des moufles…alors, je fais régulièrement des va et vient entre moto et cabane pour réchauffer mes bouts de doigt. Et comme ça, petit à petit, j’arrive à reconstruire le puzzle. Gonfler les pneus, remettre la batterie , nettoyer les carbus… vers cinq heures, le soleil commence à frôler la cime des mélèzes et il est vite temps de remballer les outils, ici, franchement, à l’ombre, on y marche pas en slip.

Le bilan est plutôt positif, on pourrait même croire que la batterie n’est pas morte. Mais pour tester il faudrait que l’essence arrive et la petite surprise de fin de journée, c’est que les robinets sont complètement bouchés. En fait, c’est pas grand chose comme panne, mais dans le garage de Ruslan, on trouve des outils à camion, des clés de trente deux, des massettes de quinze kilos ou des enclumes énormes. Mais un petit étau et du dégrippant, ça, non. Ce sera la mission de demain.

Quand je suis rentré faire une pause de midi, je suis passé au magasin et j’ai ramené à Vania des mandarines qui venaient d’être livrées. Les mandarines, avec les mômes d’ici, ça fait de l’effet. Sa maman m’a proposé de partager la soupe mais comme je m’étais fait quelques courses, j’ai promis de revenir le lendemain. Quand je suis arrivé chez moi, j’ai découvert que le docteur m’avait déposé de la soupe et du ragout de renne dans un sac isotherme posé devant la porte. Décidément, on me gâte à Omolon…

Retour à Omolon


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Finalement, le petit coucou de seize places, bondé comme un taxi brousse, n’était agité qu’au décollage et ensuite, il a tranquillement, (bien que bruyamment), traversé la Taïga pour se poser à Omolon deux bonnes heures plus tard.

Avant le départ, Alex a tenu à rester en ma compagnie jusqu’à l’embarquement… il faut dire qu’il y avait trois petits vols similaires avec départ à la même heure. Il devait craindre que je ne m’embarque distraitement pour une destination tout aussi paumée mais de l’autre côté du Tchoukotka. Dans le genre, il y avait du choix…

A l’arrivée m’attendait mon petit flic préféré, tout content de visionner mon joli propusk et puis le docteur Sergeï et son ambulance. Il m’a emmené dans un étage de la mairie qui abrite déjà une famille Tchoutche dont la maison a brûlé. On m’y a réservé deux pièces rien que pour moi. Après m’avoir convié à manger du ragout de renne, et vérifié que j’étais bien installé, après m’avoir équipé d’un petit réchaud, d’un verrou pour la porte et d’un transistor pour écouter de la musique, le docteur m’a emmené au garage pour sortir la moto de la cabane. Elle était bien là et tous les bagages que j’avais laissés en vrac trois ans plus tôt, bien rangés dans un conteneur. Aujourd’hui, j’ai fait un grand pas dans ma mission de sauvetage de bécane abandonnée. De quoi demain sera fait reste un grand mystère, mais n’est ce pas là le piment indispensable au voyage lointain ? Ne pas connaître la suite… Je n’imagine pas un redémarrage instantané. Je n’imagine rien. On a mis la batterie en charge, c’est un premier pas. Je ne sais même pas si la route est ouverte et si il y a des camions qui doivent y passer… En tout cas, contrairement à la dernière fois, il n’y a pas un seul camion devant le garage de Ruslan…

Le docteur m’a proposé de passer boire un petit Samogon… j’ai poliment décliné en invoquant le coup de fatigue du voyage.

Je dois reconnaître que picoler alors que j’ai encore les bruits des turbines d’avion dans la tête, ce n’est pas une bonne idée… j’espère juste ne pas avoir commis une faute diplomatique impardonnable…

Aéroport encore…


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Encore, certes, mais pour enfin bientôt arriver à Omolon…

Cet après midi, dernière journée… Svetlana, qui voulait hier continuer mon initiation culturelle avait prévu de m’inviter à voir une opérette,  mais j’ai dû décliner puisque nous avions rodéo au programme. Ce matin, après un tour au marché au poisson, elle m’emmène à la bibliothèque pour me présenter, on me promet qu’on va me rappeler pour que je revienne bientôt…. Margarita, qui a de belles dents en or et un prénom bien exotique, m’affirme qu’elle préfère toujours avoir des collaborations avec des gens qui viennent de loin… l’exotisme, aussi, sans doute…et enfin, pour clôturer le séjour, un repas d’adieu chez Nina et Evgeniy, dernier coup de rouge avant  le départ. Je ne sais jamais exactement de quoi on parle, mais c’est incroyable comme on y croit. Le vin de Serbie, sans doute… La nuit tombe, il est temps d’embarquer dans la camionnette d’Alex en direction de l’aéroport. Depuis ce matin, le ciel est gris et le vent souffle un blizzard qui dégage le sable et la poudreuse des trottoirs pour n’y laisser qu’un verglas étincelant. La météo n’est plus du tout celle de ces derniers jours…

Je crois que le vol de demain matin, ça va être du Mermoz …

Technologie et partie de pêche


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Pour pouvoir alimenter mon blog au quotidien, les choses n’ont jamais été simples et déjà du temps des voyages africains, j’emmenais avec moi un téléphone satellite pour pouvoir dicter à un fidèle partenaire au pays ma chronique quotidienne quand le cybercafé se faisait rare dans la savane. Depuis quelques semaines, les communications se sont bien compliquées, c’est parce que la mode est revenue de se taper sur la gueule entre frères. La Face du bouc s’est tue et la plupart des relais informatiques aussi, puisque tout ça c’est rien que de la technologie de ce filou d’Oncle Sam. Alors, il y a le VPN…c’est un truc pas très nerveux à la mise en route mais qui permet de se connecter presque normalement sur tout ce qui était devenu inaccessible Et puis il y a Télegram , idéal pour les textos et messages divers. C’est incroyable, j’ai l’impression de m’être reconverti en vendeur de téléphonie…

Du côté de la vie quotidienne, Vadim , le fils de Nina et Evgeniy, est venu me chercher pour la séance rituelle. Rien n’a changé, la pêche reste toujours l’activité familiale principale et s’il y en a qui rechignent, il y va tout seul avec son skidoo.

Cette fois-ci, on a pris le vieux quatquat’ parce que nous étions trois et Evgeniy a voulu se la jouer cowboy en faisant du rodéo avec les blocs de glace… ça n’a pas duré longtemps, après quelques rebondissements spectaculaires on a explosé un pneu et un roulement de roue.

Nous avons donc continué à pied, car la pêche, ça ne peut pas attendre.

Nous nous sommes donc baladés sur la glace au pied d’une falaise… mais il faut bien l’avouer; mauvaise pioche, ça n’a pas mordu. Vadim est donc aller chercher le scooter pour sortir le Nissan de son encastrement glaciaire puis c’est un voisin avec une caisse encore plus grosse, pleine de cylindres et de multisoupapes qui est venu en renfort …alors voilà, dans cette quiétude de bord de mer enneigé, on a bien foutu la zone et enfumé le territoire. Ah, ça ne va pas être pour tout de suite que les anciens petits garçons arrêtent de jouer à la bagnole…

Retour à Magadan


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J’ai donc retrouvé l’hôtel Vénéra qui a changé de nom, de propriétaire et… de tarif .

Il n’est plus un hôtel collectif, ce qui ne m’arrange pas trop ; ce n’est pas une histoire de prix mais surtout d’efficacité. La petite cuisine collective a disparu. Lieu d’échanges souvent sommaires et parfois bourrus, elle me permettait, grâce aux deux petits supermarchés d’à côté, de jouir d’une autonomie plutôt pratique. Il n’y a pas de Kafé dans le coin, ces petits restaurants populaires où on trouve toujours à se restaurer facilement. Je vais devoir apprendre à me réorganiser.

J’ai commencé par refaire la petite balade pour voir la mer gelée en passant par le quartier des vieilles maisons en bois qui s’écroulent, toujours infestées de ces terribles chiens errants qu’il fait bon ne pas rencontrer la nuit.

Je sais que cette étape va passer vite, je ne suis là que pour trois jours et Evgeniy, celui qui m’avait gardé la moto il y a trois ans, m’a déjà invité pour le weekend à la datcha face à la mer. Le paysage sera sublime mais je risque bien aussi de me les peler avec une séance de pêche à l’éperlan, debout, avec mes pompes pas faites pour, devant un petit trou et un fil de pêche. J’en frémis d’avance.

Svetlana, elle, me concocte des programmes culturels… Hier soir, malgré le décalage, je me suis laissé porter par un spectacle de danse et de chants traditionnels remixés façon moderne… y’a pas à tortiller, si les amerloques coupent les robinets de leur variétoche r n’b pourrie, c’est comme pour les Mac’do, les russes y gagneront au change, parce que qu’est ce que ça balance bien la musique Tchoutche et quel look de folie !

Romance Tchoutche


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Récupérer du décalage horaire par petites étapes, finalement, ce n’est pas un si mauvais système, même si un hôtel standardisé d’aéroport, ce n’est pas ce qu’il y a de plus glamour pour une immersion progressive.

J’ai presque une journée à perdre mais c’est un peu court pour rendre quelques visites… Alors, je passe la matinée à recharger mes batteries passablement ramollies par la journée de la veille. Les escales aéroportuaires sont une drôle de façon de traverser un pays sans rien voir sinon de tristes périphéries.

Hier soir, j’ai déposé mon premier petit colis, c’était la mission du jour… Et le lendemain, celle qui l’avait attendu quelques heures de l’autre côté des barrières administratives m’a envoyé un taxi pour que je change un peu d’air ; celui aseptisé des aéroports, si on peut le fuir quelques heures, il ne faut pas hésiter.

Par la fenêtre, je redécouvre cette périphérie typiquement russe où les forêts de bouleaux et les datchas de bois sont petit à petit mangées par les immeubles modernes et les zones d’acticités, les entrepôts et les centres commerciaux.

J’ai donc retrouvé Aïnana dans le marché couvert d’une petite ville à quelques kilomètres de l’aéroport.

Son histoire est terriblement romanesque. Son papa était venu au Tchoukotka du temps de l’Union Soviétique pour une mission scientifique, il tomba sous le charme de Zoïa et ainsi , quelques mois plus tard, naquit Aïnana. Mais à la fin de sa mission, il retourna vers les pays Baltes et après la fin de l’Union Soviétique, avec ces pays-là redevenus indépendants, il n’a jamais pu revenir chez les Tchoutches.

Quelques années plus tard, Charles, professeur de Russe à Perpignan, décida après avoir pris sa retraite, d’aller découvrir les peuples autochtones des provinces polaires. A son tour, il tomba sous le charme irrésistible de Zoïa et devint le beau père d’Aïnana.

Ensemble ils partirent en croisade pour la reconnaissance de la langue Tchoutche, ce qui ne plu pas à tout le monde… alors, Charles, lui aussi, rentra chez lui quant à Aïnana, elle continua avec fougue ce combat qui l’amena jusque dans les hautes sphères du pouvoir, au niveau du premier cercle où sa fougue tempétueuse séduit d’abord puis gêna ensuite.

C’est avec cette fougue-là qu’elle me raconte tout ça …elle n’en manque pas; ce n’est pas un gringalette, Aïnana, plutôt du genre que si elle te fout une beigne, tu retrouves ta tête dans les pastèques. Puis elle me raconte des légendes de là-bas, de jolies histoires de baleines et de pêcheurs, mais le temps passe, l’heure tourne et celle de mon vol suivant approche. Alors, je saute à nouveau dans un taxi pour l’étape suivante, un vol de nuit de presque huit heures, un de ces vols vers le soleil levant qui font que quand tu arrives, la nuit a disparu.

Avec ce genre de vol, il faut trois jours pour récupérer…ça tombe bien, il y a trois jours avant mon prochain vol…

Deuxième étape d’aéroport


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Cédric est un habitué des contrées nordiques, il y a été voyageur, écrivain, diplomate ; une sorte de Romain Gary moderne… il connaît toutes les ficelles.

Quand je lui avais demandé comment il avait fait pour décrocher le propusk, il m’a répondu de contacter Anastasia, une citoyenne Russe du Tchoukotka, mariée avec un français et installée… à vingt bornes de chez moi.

Anastasia m’a mis en contact avec Evgeniy qui a une agence de voyage à Anadyr, capitale du Tchoukotka, puis avec Yves, un mystérieux retraité qui ne cesse de faire des va et vient entre Magadan et Montpellier. Ces va et vient, c’est toute sa vie… lui il connaît l’agence qui me fera le visa qu’il faut bien comme il faut. Serge connaît Svetlana à Magadan, Anastasia a des relais partout au Tchoukotka…C’est la grande chaine de solidarité russe, elle est plus forte que tout ; même à deux pas de chez moi, elle était déjà bien là.

Inversement, de mon côté, j’ai quelques missions à accomplir. Des enveloppes à ramener au gré des escales. J’ai même failli devoir déposer une exposition de peinture à Moscou, mais les russophiles Languedociens rêvent encore un peu trop au monde d’avant. La mairie de Montpellier, elle, suit la ligne, imaginer continuer des jumelages culturels en ces temps agités relève de l’utopie forcenée. La culture, c’est un truc estival, quand les cieux s’assombrissent, ce qui devrait caractériser l’être humain n’existe plus. Il ne reste que la bête qui sommeille toujours en ses tréfonds…

La bête, d’ailleurs, s’est réveillée pas très loin de mon escale moscovite, et à l’arrivée à l’aéroport de Sheremetevo, avec huit heures de retard, le fonctionnaire en uniforme est un peu plus tatillon que d’habitude; je ne suis plus à une heure près.

Nous sommes un petit groupe à devoir patienter, chacun a droit à un entretien. Je dois expliquer ce que je suis venu faire, ce que je pense de la conjoncture. Dans mon anglais approximatif, je parle de toutes mes virées, de mes innombrables amis à travers tous le pays, des clubs de motards. Le motard ne fait pas de politique, il roule, il est born to be ride et ça, ça plait toujours aux fonctionnaires en uniformes.

A une heure du matin, heure locale, je posais enfin mon sac dans une piaule aseptisée de l’Holiday Inn de Sheremetevo.

13 heures


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L’avion pour Moscou aurait dû décoller il y a quatre heures déjà… Je me suis levé à 5h30 pour prendre la navette, j’aurais pu rester au plumard, le monde est mal fait. Après que tous les passagers eussent été embarqués, l’avion s’est immobilisé une heure en bout de piste, puis on a fait descendre tout le monde sur le tarmac. Il y avait des flics tout noirs et tout cagoulés positionnés tout le long de la piste. Personne ne sait vraiment où est le problème. On fouille à nouveau tous les bagages et tous les passagers avant de ramener tout le monde dans une salle de l’aéroport… Personne n’a vraiment l’air de savoir ce qui se passe, je crois que c’est une alerte à la bombe… Il paraît qu’ici, c’est comme un sport national. Loin de la toundra et des virées à moto, l’aventure continue à sa façon… Je maîtrise plutôt bien ce sens de la relativité et de la distance qui permet toujours de laisser couler le temps sans vraiment s’inquiéter… Les voyages sans correspondance ça aide un peu aussi

Le premier pas


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Le chemin détourné peut passer par Belgrade. C’est par là que je me glisse.

Arrivé à l’aéroport, je récupère mon bagage et je sors avec le gros caddy, persuadé que l’Airport Hôtel déniché la veille sur le Net, ne peut, vu son nom, qu’être en face de la sortie « arrival ». Je commence à traverser les zones de bus et de taxi, puis les parkings et les zones de fret. A chaque fois que je me renseigne, on me dit que c’est la bonne direction mais que je ferais mieux de prendre le bus. Moi je fais le fier, j’ai tout l’après midi, il fait doux et un peu de marche me fera du bien.

Une demi heure plus loin, tout seul sur une longue ligne droite au milieu de rien, je le fais beaucoup moins, le fier. Tout autour, ce sont des champs tout plats, petits à petits grignotés par les friches et les parkings, de plus en plus informels au fur et à mesure qu’on s’éloigne.

Il y pousse nettement plus de la cannette et du plastique que du maïs et du blé.

J’ai fini par trouver l’hôtel en retrouvant l’agglomération. Cette périphérie est comme toutes ces agglomérations informelles ; mélange de zone commerciale, de constructions neuves et bâtardes, de restos néorustiques et parfois de vestiges de la campagne qui occupait tout l’espace il n’y a pas si longtemps. L’ensemble ne se prête pas à la balade, plutôt au coup de déprime…

Alors, pour éviter de me foutre au plumard à quinze heures, dans un élan de bonne conscience vaguement grotesque, je décide de ramener le caddy à l’aéroport et puis bien sûr, de rentrer une fois de plus à pied, mais en coupant par les champs histoire de m’égarer un peu, de traquer l’aventure entre les tas d’ordures, les labours et les hangars… Le but fut parfaitement atteint, j’ai rallongé plus que raccourci, mais je sais que je vais bien dormir, car il va falloir une fois de plus se lever avant l’ aube…ce retour au Chukotka démarre de façon bizarre… mais bon… je suis reparti, n’est-ce pas là le plus important?

Demain, je passe la douane; je verrai si les petits Fransouss ont toujours autant la cote…

La moto dans la cabane


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Depuis combien de temps est-elle dans sa cabane, ma pauvre monture?

Quand je l’y ai laissée, il y a trois ans déjà, je n’imaginais pas que ce serait pour si longtemps; mais est arrivé le petit virus qui a tout bloqué… En mars d’il y a trois ans, j’étais complètement prêt; visa, bagages, billet d’avion… il manquait juste le fameux Propusk, le permis de circuler au Tchoukotka… et bien sûr , pour une raison pandémique qui a chamboulé toute la planète, j’ai rangé mon sac et j’ai regardé le monde changer.

Très vite , on a tout fait pour que ça redevienne comme avant. Mais c’était du bricolage et on pourrait plutôt croire que revenir en arrière, ça n’allait pas être si simple…

C’est qu’ il s’en passe des choses… surtout dans ce pays immense où je voudrais récupérer la bécane. Mais pourtant, quand je me disais qu’une fois encore, j’allais chausser les pantoufles plutôt que les bottes, on m’a accordé le Propusk.

Chercher des excuses


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A t’on vraiment besoin d’une excuse, d’un prétexte ou d’un alibi pour justifier cette idée farfelue d’aller rechercher une bécane oubliée dans une cabane de l’autre côté de la planète? Faudra t’il que je m’explique longuement?

Tout là-bas, ça fait partie d’une contrée gigantesque dont les habitants commencent à me dire qu’ils ont peur qu’on les oublie si le reste du monde les contraint au repli sur soi. Moi, je ne les oublie pas et avec mon alibi de motard, même si, de plus en plus, les grands voyages semblent condamnés à devenir une facétie d’un autre siècle, je vais retourner trinquer avec eux, aux retrouvailles, aux amitiés qui se foutent de la conjoncture.

Il ne reste plus qu’à chercher les chemins détournés…

Introduction à la neige par l'Espagne…

les pays qui s’ouvrent et se ferment


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L’Histoire avec un grand H ne s’est jamais beaucoup souciée de l’avis des gens normaux, ou alors à l’occasion d’une élection ou l’autre, mais c’est pour faire semblant, après le gens normal retourne à sa routine avec le gasoil à deux euros cinquante. Moi j’ai toujours une moto dans une cabane sur le cercle polaire et j’aimerais bien aller la récupérer, même si ça ne changera pas le cours de l’Histoire…

Présent conclusif plus qu’imparfait


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Le confinement est terminé, il est temps d’arrêter cette chronique quotidienne.

Quand je rentre d’un pays lointain, j’attends toujours quelques articles pour trouver la conclusion du récit , en décrivant, durant quelques jours, le retour à la vie normale. Avec cette fin de confinement, on n’y est pas encore vraiment, dans la vie normale. Le temps, sans repère précis, continue de s’étirer…

Je roule à nouveau, j’ai sorti la grosse Italienne du garage pour aller sillonner quelques routes d’arrière-pays. Après avoir instantanément retrouvé cette  incomparable sensation du vent fouettant mon visage, j’ai senti comme un léger sentiment de gène m’envahir peu à peu…J’étais comme tous les autres, tout ceux qui se goinfraient du plaisir puéril de faire rugir leurs moteurs à travers les campagnes et brisaient la trêve accordée aux oiseaux …Quel dilemme ; ces dernières semaines, du haut des arbres, je m’émerveillais pourtant chaque jour du retour des fanfares printanières. Mais que faire ? La moto, c’est comme le dessin, si je suis ce que je suis, c’est par l’accomplissement de ces deux rêves de gosse… Alors je me dis que ce confinement ; c’était un peu comme une répétition, et que quand plus personne ne roulera, j’aurai déjà été initiés aux plaisirs simples de proximité… en attendant , j’assume ce dilemme…

Le moment venu, je demanderai un délai supplémentaire à ma conscience, un report en quelque sorte ; car j’ai toujours une moto à récupérer, là-bas…

On m’y attend toujours, au Chukotka…

Présent suspensif


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Pendant deux mois, tout fut donc suspendu… mais sans doute à des hauteurs différentes.

Quand j’appelle mon pote mécano, dont le doigt écrabouillé, confiné dans la montagne, a eu le temps de se reconstituer plus ou moins, il me dit qu’il a repris le boulot là où il l’avait   arrêté, exactement comme s’il avait appuyé sur une touche pause ; il a repris la clé de douze posée sur l’établi, huit semaines plus tôt, pour continuer la vidange de la vieille brêle pourrie, posée là pour un entretien, qui aura eu  largement le temps de laisser se vider le carter jusqu’à la dernière goutte. Dans son cas, c’est un vrai temps suspendu. Ces deux mois, vu de son atelier, c’est comme s’ils n’avaient pas existé… et si on faisait pareil pour tout ? Les charges, les loyers, les prélèvements divers et innombrables dont les échéances nous guettent sournoisement ?

On ferait comme si rien ne s’était passé. Ce serait simple, non ? L’état n’aurait pas à emprunter quelques milliards de milliards puisque cette parenthèse serait devenue une illusion.

Mais non ; il paraît qu’en réalité, ce n’est justement pas aussi simple. Qu’il y a des processus qu’on ne peut pas mettre sur pause aussi naïvement, qu’il y a une inertie de la machine sociétale…comme un immense cargo qui dérive…avant, bien sûr, de s’échouer bientôt…

 Futur Présentement actif


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Il paraît que la vie d’avant a repris ses droits ; en tout cas, elle tente; poussée par l’exécutif obsédé par la croissance. Il pleut sur toute le pays pour confirmer le retour à la norme. Le confinement était-il juste une illusion météorologique de vacance forcée et violemment printanière ? Pour bien vérifier si tout ça n’était pas un drôle de rêve, je regarde les pins élagués titiller les nuages bas. Quand reviendront les fortes chaleurs, je serai un peu plus à l’abri des feux de forêt. Personne ne sait s’il y aura un retour du virus et un nouveau confinement, mais, force est de constater qu’avec le retour des embouteillages, la parenthèse climatique se referme déjà…alors la nature en colère face à notre stupidité de bestiole fébrile va peut-être nous envoyer un second coup de semonce. On l’aura bien cherché, puisqu’on a toujours rien compris…

Futur moins un


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Aujourd’hui, il fait gris et il pleut, la terre sent bon la terre, je suis allé faire un tour à moto. Je me suis baladé en périphérie, dans ces quartiers des glorieuses fifties, édifiés quand l’insouciance et la confiance dans l’avenir berçait d’illusion une population enivrée de petits espoirs tout simples et à crédit, quand les petits pavillons avec jardin, s’appelaient « mon rêve » ou « sam suffit ». D’y rouler, comme ça, le nez au vent humide, me donnait l’impression de divaguer entre les époques dans une vague faille temporelle. Entre le temps où les rues étaient vides parce qu’il n’y avait pas trop de bagnoles et celui où elles le sont parce qu’on est assignés à résidence… D’y rouler comme ça sans attestation dérogatoire, donnait à cette microscopique virée un tout petit parfum d’aventure… Arriverais-je à m’en contenter, si les frontières lointaines restent fermées à jamais?

Futur toujours présent


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Ce compte à rebours que tout le monde a dans sa tête et qui doit ne déboucher que sur presque rien, sinon à peu près la même chose, a quelque-chose de déroutant ; sans doute parce qu’il est très attendu.

C’est la première fois qu’un tel nombre de gens se retrouvent en attente fébrile de rien.

Après demain sera comme hier…le temps a définitivement disparu…

Futur présent


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Il y’en qui se préparent à fond  la caisse pour dans quelques jours. Mais il ne faudrait pas oublier que l’assouplissement des règles en vigueur ne va pas nous précipiter vers un retour à la vie d’avant. Les comptes à rebours qui fleurissent un peu partout laissent à penser que beaucoup se voient déjà extatiques dans les rues enfiévrées par la fête… et pourtant…

En attendant, des chercheurs belges auraient, me dit-on dans la très sérieuse rubrique scientifique de France Culture, trouvé une molécule miracle chez le lama.  Non, pas le Dalaï, juste l’espèce de mouton à port de cheval qui caracole sur les hauts plateaux andins. Incroyable, non ?  Serait-ce la dernière blague belge à la mode ?

Pa si sûr… après tout, les belges avaient déjà envoyé leur plus célèbre reporter faire des prélèvement sur site il y a déjà une cinquantaine d’années.

Conjugaison des déclinaisons


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Cinq déclinaisons d’infos nous inondent depuis bientôt deux mois, un peu toujours les mêmes. Le style Tf1-BFM se marie volontiers aux  infos du Net ou aux flux de Facebook  mais pas vraiment à celui  de France culture.

Les cinq déclinaisons s’interchangent au gré des médias qui passent… la première nous propose l’option politique avec l’incurie du gouvernement, la mauvaise gestion, les élections reportées ou les manifs futures. L’option scientifique, la seconde, parfois en accord, mais pas systématiquement, avec la précédente, nous submerge depuis le début de statistiques alarmantes, de délais de fabrication des remèdes, des vaccins, des masques ou des respirateurs, là on commence à stresser. Vient ensuite la déclinaison économique ; qui va payer ? Comment ?  Quelle seront les répercussions sur l’emploi, sur la croissance, la décroissance, le commerce, le tourisme de masse, le monde d’avant… c’est à ce stade que se pointe l’anxiogenéité  ;  le confiné commence à boire, se droguer ou à frapper son entourage. La déclinaison écologique pourrait rassurer un peu avec son bilan si positif pour la pureté de l’air et la vie animale, mais, comme d’habitude, elle passe au second plan, y compris auprès des responsables politiques qui oublient un peu trop que c’est la base du problème. Il y a enfin, après tout ça, la déclinaison philosophique. La mutation de nos habitudes, la déliquescence de notre appréhension du temps qui passe, des rapports aux ainés, au travail à la vacance ou à la vie…

On devrait plus souvent écouter les philosophes, mais tout le monde s’en fout parce que ce n’est pas eux qui ont le pouvoir de rouvrir les bistrots…

Nature Rebelle


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Le confinage arrive à la fin de sa seconde période, mon élagage aussi.

Avec ce partenaire providentiel que m’avait amené, après la première quinzaine, la restructuration des confinements,  nous étions prêts à attaquer le grand pin du fond, le point d’orgue de ces semaines d’escalade. Après avoir glorieusement taillé les quatre premiers conifères, vaincu par les tendinites, j’avais donc passé le relais à la génération suivante et m’étais, volontairement et volontiers, rétrogradé au poste d’assistant zélé.

Youssef a donc commencé cet ultime escalade mais à peine installé sur la grosse fourche armé de sa tronçonneuse, il a dû battre en retraite après avoir, héroïquement terminé de   tomber cette belle branche morte dans laquelle nichait une redoutable colonie de fourmis à têtes rouges. Avec une totale maitrise de combattant du Hezbollah, il a consciencieusement descendu le matériel avant de se diriger vers la douche avec un flegme de guerrier.

Quand j’ai ausculté l’intérieur de ses vêtements avec mon objectif macro, j’ai découvert ce qu’il avait affronté avec un sang froid qui ne peut que forcer l’admiration…

Futur de proximité sociologique


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Donc voilà… plus on avance dans le mois de mai, trop chaud d’ailleurs, mais c’est un autre sujet…plus on avance dans le mois de mai, donc, plus on avance vers les risques de canicule… ah non, je suis encore hors sujet… en réalité, c’est vers le déconfinement qu’on s’avance ; la canicule, les incendies, la sécheresse, c’est pour après la déconfination. Il faut d’abord que les vieux ne soient plus en réanimation post Covid, ensuite on pourra sortir la canicule pour finir le projet de rajeunissement de la population ; mais les deux en même temps, ça le fait pas, le gouvernement y perdrait encore plus les pédales !

Attention,nous dit-on, les « gestes barrières » resteront plus que jamais en vigueur.

La distanciation sociale, les masques dans les transports en commun… c’est très important pour les heures de pointe. On va se marrer à 18 heures au métro « La Fourche » pour respecter les distances… Mais les autorités vont veiller ; flics de toutes sortes ou contrôleurs, ça va être une belle pagaille. Bien entendu, grâce à cet apparent début de liberté retrouvée, on va pouvoir revoir ses vieilles connaissances… mais attention, respectons la troisième consigne : ni poignée de main, ni embrassade… ça ne va pas être simple les retrouvailles : on a plus qu’à se toucher la bite…

Futurisme onirique


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Le temps passe immobile… les arbres sont élagués, les motos redémarrées… j’ai remplacé mes migrations annuelles par un immobilisme appliqué , remplacé les horizons lointains par une observation minutieuse du milieu ; passer de l’infiniment grand à l’infiniment petit, de l’horizontal des longues routes infinies au vertical de mes pins élagués… le mois de mai s’avance vers une fin de confinement où personne ne sait vraiment à quoi s’attendre ; en cela, ces deux mois ressemblent un peu à ce que je cherche à l’autre bout du monde…de ces voyages qui se caractérisent, non pas par le road book  mais plutôt par l’errance… n’oublions jamais que le vrai voyage, c’est celui dont on ne connaît pas vraiment la fin.

Si, finalement, le tourisme de masse disparait, le voyage lui aura toujours sa place d’honneur, surtout depuis que je sais qu’on peut en retrouver l’essence en restant chez soi…

Encore faut-il avoir un chez soi qui ne soit pas un placard étriqué. Il faudrait faire un calcul ; si toute l’humanité pouvait bénéficier d’un logement digne de ce nom avec un jardin permettant une contemplation minimum de l’extérieur, combien resterait-il d’espace pour une nature sauvage et préservée ? Il faudrait bien sûr récupérer des terres sur les grands espaces privés d’une aristocratie en ruine et sur ceux d’une agriculture intensive en besoin urgent de reconversion. La terre serait redistribuée. J’ai l’impression que ce n’est pas vraiment une idée nouvelle. Elle demande juste à être réinterprétée.

Futur Motocyclique


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A propos de moteur à explosion, quand se présentent des perspectives d’organisation déconfinatoire, le deux roues revient à l’honneur. Pour désengorger les transports, respecter les distances et un peu prolonger l’état de grâce décarboné, rouler en solitaire sur deux roues devient une idée fulgurante. Deux roues, oui, mais pas de moteur, il ne faut quand même pas exagérer, ce n’est pas en ressortant de nos garages des vieilles mobs ou des Kawa trois cylindres deux temps, qu’on va sauver la planète…pas de chance encore pour les motardsnostalgiques d’une époque lointaine  chargée de brouillard bleu. Pourtant grâce à la maladie de Kawasaki, nouvel avatar du coronavirus, on aurait pu croire à un coup de promo inespéré pour nos engins vrombissants.

J’étais prêt, moi ; j’avais réastiqué mes chromes.  La mienne est à quatre temps, comme une valse. Elle était prête à  se jeter à nouveau dans la danse. Finalement, je me suis emporté, ce sont les pistes cyclables qui sont à l’honneur et ma conscience environnementale ne va pas s’en plaindre. Il ne me reste qu’à  visiter le réparateur du coin pour  utiliser ma prime gouvernementale et changer le dérailleur de mon vieux biclou. J’ai dix jours pour réactiver le mollet afin d’être chaud au moment du déconfinement… à moins qu’il y ait encore des prolongations… tout peut arriver; cette parenthèse, finalement, n’arrange pas que les oiseaux…

Présent potentiel


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Combien de temps peut-on maintenir enfermée toute une population… même si c’est chez elle, on sait très bien qu’une part innombrable de citoyens n’ont un logement que pour y dormir et y brosser leurs dents en se levant le matin. Une joli monde néolibéral a fabriqué une société où le coût du mètre carré de location ne permet à la plupart des travailleurs de ne se louer que la place du plumard. Il fut un temps où les prolos avaient droit à un  petit pavillon avec un jardin. Plus maintenant. Désormais, le prolo qui ne roupille pas dans sa bagnole a droit à un placard.

Du petit déj au repas du soir, il reste à l’extérieur, au snack ou la cafète, pendant que son directeur des ressources inhumaines est au resto, juste en face… Lui, il a un appartement un peu plus grand avec balcon et peut-être une résidence secondaire où il s’est enfui il y a presque deux mois. Le Prolo, donc, comprimé dans son placard, attend le onze mai… et si c’est prolongé, le prolo confiné dans sa cocotte minute, laissera sans doute exploser le couvercle. Pauvres dirigeants qui doivent trouver un  équilibre au milieu de tout ça…il faut avouer que ce n’est  pas le débat le plus simple, mais c’est pour ça qu’on leur a filé le boulot: ils nous représentent, on compte sur eux ; c’est la démocratie représentative… entre l’explosion sociale et l’explosion virale, quel sera donc le choix qu’ils feront en notre nom ?

Futur ébulitionné circonstanciel


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Pendant ce temps-là, l’infiniment petit président se demande dans son onze mille mètres carrés avec jardin si il faut prolonger ou non le confinement. Il y a d’un côté la pression économique qui veut relancer tout le bazar et de l’autre la pression médicale qui voudrait confiner à perpette pour continuer à sauver quelques sujets à risque qui risqueraient de saturer  à nouveau morgues et hôpitaux. Mais il y a d’autres sujets à risques et puis le risque n’est pas que viral. Il y a tout ceux qui, coincés dans des logements trop petits depuis deux mois, commence à frapper femme et enfant, à fumer le papier peint et s’enivrer en sniffant l’essence de la Twingo coincée au parking, il y a ceux qui commencent à se pendre aux lustres…Il y a le petit peuple qui fut un temps celui des ronds-points, il monte lentement en ébullition et ne demandera bientôt qu’à exploser à nouveau…

Présent microcosmique


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Le confinement c’est le repli sur la contemplation du microcosme ; je n’ai jamais autant observé les insectes que ce printemps-ci. Après avoir croisé les éléphants en Afrique Centrale et craint de camper sur la route du grizzly en Sibérie, j’adapte l’observation animale au nouveau cosmos restreint.

Je suis accompagné d’une chasseuse d’image redoutable. Moi, en insecte comme en champignon, je regarde toujours à côté de la cible. Elle, elle sait poser l’oeil sur la bestiole tapie.

L’infiniment petit est redevenu à la mode grâce au virus qui défraie la chronique. La nature qu’on ne maitrisera jamais recommence à nous faire peur comme au moyen âge, on y craint partout des menaces de mort sous les feuilles mortes… Et puis après tout, merde, la vie c’est la mort, non ? C’est la seule  vraie promesse qu’on peut nous faire à la naissance, elle sera toujours tenue. Ce n’est pas sacré, la vie, quoi qu’on en pense. Regardons enfin notre réalité brute : notre destin ce n’est pas de finir alzheimerisé dans un hospice, mais bien de mourir un jour, de nourrir les charançons puis d’enfin devenir du compost sur lequel renaîtra autre chose. En attendant, je vais me coucher tôt ce soir… mais avant , je regarderai sous mon lit, comme quand j’étais petit, si ne s’y cache pas quelque créature diabolique…

Présent stationnaire


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Je me demande ce que vont penser ceux qui suivent habituellement mes blogs de voyageur motocycliste. Un périmètre de quelques ares à explorer, ça change de milliers de kilomètres à avaler en six semaines.  Cette année, il me serait bien compliqué d’évaluer la distance parcourue durant ce périple autour de chez moi, il n’y a pas de tachymètre sur mes pompes, ni d’altimètre pour y ajouter les distances verticales d’arbre en arbre.

Pas non plus de rubrique mécanique puisque pas de panne. Pourtant on essaye de remettre en service quelques vieilles pétoires au fond du garage. Quand il pleut c’est bien pratique comme activité de secours.

Je pourrais aussi transformer ma rubrique motocyclisme en rubrique motoculture, avec essais comparatifs de tronçonneuse, je commence à maîtriser le sujet. Evidemment, je pourrais aussi dévorer de la doc pour mon prochain projet d’album, dessiner frénétiquement, mais le confinement a un effet pervers sur l’énergie créatrice. Les premiers jours, on croit que ça va bouillonner dans le crâne, mais, très vite, tout tourne au ralenti, l’inspiration sommeille, elle confine, elle macère; ça manque cruellement d’air tout ça, malgré les arbres tout autour.

Futur improbable


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La terre qui se venge, le vivant qui se rebelle contre son plus mauvais sujet : quel beau scénario. On imaginerait si bien des attaques de bêtes sauvages, des escadrons de sangliers, de corbeaux de mouettes ou de rats. Des orques ou des baleines qui renverseraient les yachts de Saint Barth,  des oiseaux en colère sur l’Amérique confinée, des essaims d’abeilles furibardes sur l’Assemblée Nationale, de frelons asiatiques sur la tronche de Kim Jon Un… ah; on me signale que ce n’est peut-être  plus nécessaire…

Mais revenons au sujet;  contre cette faune en colère, l’humain sortirait ses bazookas et ses pesticides, il trouverait encore un prétexte pour se délester de ses stocks, de relancer son économie militaire et pharmaceutique. Le petit virus, c’est tellement plus malin pour nous faire comprendre que nous ne sommes vraiment pas grand chose. Tiens, il reste encore quelques arbres à élaguer. Je vais pouvoir vérifier si le pin rebelle décide de m’éjecter. La dernière fois, mon assistant providentiel s’est fait dévorer par des fourmis, tout en haut d’un vieux conifère tordu ; c’est  pas un signe, ça ?

Présent double et futur messianique


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Un agent de l’ennemi…. Bien sûr, cet agent Sarkov est envoyé pour nous nuire, nous, gentils humains qui ne faisons que des choses bien sur cette planète. Mais qui l’a envoyé, ce rascal? Les infos nauséeuses roucoulent sur le Net. Les évangélistes qui veulent prendre le pouvoir, les labos pharmaceutiques qui cherchent un nouveau filon rentable, Daesh qui veut voiler tout le monde, les gouvernements Européens qui rêvent d’une excuse incontournable pour refermer leurs frontières, les chinois et leur labos secrets, les russes parce que c’est les russes et qu’on aime bien avoir peur des russes, tout nazes que nous sommes à croire que ce sont toujours les américains nos amis alors qu’ils sont dirigés par un guignol peroxydé qui, lui, ne rêve aussi que de puissance absolue et de frontières fermées. Et si c’était les extra-terrestres, et si c’était Dieu ou Gaïa, notre terre mère ? Il y a un nombre insensé d’infos roucoulantes… le Messie va t’il revenir ? Ne reviendrait-il pas sous les traits d’un médecin biglebowskien marseillais ou sous ceux d’un petit président qui se sent investi d’une puissante mission ? Oui, mais pour faire messie comme boulot, il faut savoir faire des miracles. Et si comme planification de miracle, on a que la relance de la croissance en ligne de mire, c’est mal barré pour assurer le job !

Imparfait viral


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Au départ, le virus, il avait un nom de bière, ça lui donnait presque un côté sympathique. Cette bière sucrée a d’ailleurs la particularité de rendre les gens sympathiques ; la preuve : ce filou de Chirac n’en était-il pas un ardent consommateur ? C’est quand même, n’oublions pas, la bière et les pommes qui l’ont ramené une deuxième fois à l’Elysée…

Quand les autorités politiques et scientifiques se sont rendu compte que les citoyens continuaient à savourer collectivement les premières chaleurs printanières au parc ou à la plage, ils se sont concertés pour trouver un nom plus crédible… alors ils ont rebaptisé le virus « Covid 19 ». Voilà qui fait plus sérieux… mais pourquoi 19, qui était Covid deux, sept ou douze ? Mystère. Nous, nous avons droit à Corona-nom-de-code-Covid . Le virus c’est un peu un agent secret, on ne sait pas de qui, toutes les rumeurs circulent allègrement sur la toile. Mais tout comme James Bond007, Covid19 flaire bon l’espion polymorphe insaisissable, le type sournois voire l’agent double. Mais le français, un peu magouilleur par nature, a toujours aimé les agents doubles, alors, après un bon mois de confinement, il a recommencé à baguenauder au parc ou à la plage. Fallait-il murer les parcs et poser des mines antipersonnelles sur les plages? Il était urgent, une fois de plus, de lui trouver un nouveau patronyme plus anxiogène : on l’a retoqué en Sarskov2… là ça fait peur, on est en pleine psychose style guerre froide, on nous ressort le  bon vieux péril Soviétique ; c’est une valeur sûre. Sarkov2, l’espion venu de l’Est, péril jaune et rouge réunis en une seule bestiole terrifiante, fils  présumé de Sarskov1, Sarskov2 va nous foutre tellement les jetons qu’on va réclamer quinze jours de confinement supplémentaire pour être certain de ne jamais le croiser à la supérette.

L’agent Sarskov… ça me fait un peu penser à l’horrible colonel Karpov dans un vieux film de De Broca, avec Belmondo dans sa période magnifique… mais faut pas le dire, sinon tout le monde va encore retourner à la plage !

Futur masqué


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Reconnaissons-le, dès qu’on sortira de chez nous, ce port de masque obligatoire quand on se glissera à l’extérieur, va donner un sacré coup d’austérité à l’espace public. Quelques soient nos tentatives pour égayer ce phénomène, on aura beau porter des masques bariolés, enrichis d’un sourire factice, la réouverture de certains commerces aura quand même une drôle d’allure, dans trois semaines. A quoi donc ressemblera la quête des croissants matinaux sans le sourire de la boulangère ? On aura plus droit qu’aux formules classiques  « qu’est ce qui vous ferait plaisiiir ? », « et avec ceciiii ? » …Sans le sourire qui va avec, ces formules toutes faites, apprises dans les formations accélérées des BTS de commerce, vont nous paraître encore plus grotesques que d’habitude. Va t’on pouvoir réellement réapprendre la vie sociale sans sourire ? Ne va t’on pas se sentir encore plus confinés que quand on se réorganisait une vie sociale de voisinage ? Je me souviens d’avoir ressenti la même chose il y a quelques années, quand je m’étais échoué, avec ma moto, à Sanaa, au Yemen , du temps où c’était encore debout, avant qu’un guerre stupide commence à raser ce pays sublime, guerre qui semble t’il aurait été arrêtée par ce fameux virus, mais, tout en m’interrogeant, je m’égare dans des phrases interminables.

Dans un taxi collectif, donc, je m’étais retrouvé avec un groupe de femmes en voile intégral… pas un mot ne fusait, visiblement j’étais intrus. Je ne regardais que leurs chaussures, ne sachant quelle attitude adopter.  Et  dans trois semaines ? Nos déplacements en transports en commun se feront-ils sous la même chape de plomb ?

Songe d’un passé décomposé


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La nuit dernière, j’ai fait un rêve bizarre…dans un Paris survolté, à la sortie d’un salon de bande dessinée, il fallait que je me rende d’urgence à la gare du Nord. Elle n’était pas bien loin cette gare, mais impossible de la trouver. La Gare du Nord était en réalité un ensemble de bâtiments orientalistes plus baroques les uns que les autres, assez proches et reliés par des vieux ponts pavés. Tout ça ressemblait plus à l’exposition universelle de 1900 qu’à une station SNCF.  Il y avait une gare par destination, celle de Maubeuge, celle d’Arras et bien d’autres encore. Après avoir salué chaleureusement les innombrables amis du salon, je suis passé de la course à pieds dans la foule, au taxi collectif, au bus bondé, à tout ce qui pouvait m’emmener à cette gare que je ne trouvais jamais. J’ai demandé ma route à d’innombrables passants, tous disponibles pour m’expliquer le chemin à prendre. Je ne sais pas si j’ai réussi à avoir ce train, je ne sais même plus où il devait m’emmener… Je rêve souvent que je perds ma route, que je cherche un lieu, une destination ou un refuge mais c’est la première fois qu’il y a autant de monde, c’est mon premier rêve agoraphile, mon premier rêve de confiné…

Conjugaison plus qu’imparfaite


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Les adaptations clandestines de confinement m’ont apporté un peu de main d’œuvre. Voilà qui ne pouvait pas mieux tomber. C’est épuisant de jouer les bûcherons et puisque je suis à l’orée de la tranche d’âge critique, l’arrivée d’une main d’œuvre providentielle me permet de débiter au sol, de gérer cordes et échelles mais plus de saisir la tronçonneuse à bout de bras en retenant les grosses branches pour en gérer la chute. Le confinement m’a appris, entre autre, que certains métiers méritent bien des primes à la pénibilité et des régimes spéciaux. Quand je découvre l’état de mes poignets après un mois, je me dis qu’un bûcheron, après quarante ans de carrière, ça doit être sacrément plus fatigué qu’un dessinateur de bandes dessinées. Il faudrait que les ministres du travail, des retraites et de la santé, plutôt que de faire des ronds dans l’eau sur les médias, profitent du confinement pour aller faire un stage d’un mois ou deux à la mine, aux champs ou à l’usine. Je crois que c’était un peu l’idée de Pol Pot et que même il avait écrit une thèse à la Sorbonne à ce propos. Comme je n’ai pas l’âme d’un Khmer Rouge , ce raisonnement simpliste mérite sans doute une analyse plus profonde. Mais bon, je l’imagine bien la ministre des armées dans la poussière du Sahel ou celui du travail, à la chaine chez Renault… ou le président, confiné dans un deux pièces à la Courneuve, même pas deux mois, juste trois jours, ça le changerait de l’Elysée qui n’est pas le pire pied à terre pour un Parigot confiné…

Impératif élastique


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Après un mois, en fait, on ne s’habitue pas vraiment ; on commence à se dire que ça va durer, on nous martèle suffisamment que rien ne sera plus comme avant. Au début, on prenait vraiment ça comme des vacances forcées en prévoyant déjà les virées sur les routes, les festivals d’été et les bistrots qui n’attendaient que nous. Psychologiquement, deux mois, c’est un bon timing pour assumer une mutation. Les batteries des motos se sont déchargées et l’essence a séché dans les carbus, le printemps est redevenu pluvieux et l’été, plus que jamais ,hypothétique.

Les confinements se modifient en cachette. Ceux qui croyaient pouvoir tenir quelques semaines, commencent au deuxième mois à envisager des sorties en cachette, voire des changements de confinement. Ils ressortent les vieilles cartes pour ne pas être géolocalisés par les GPS, ils préparent les itinéraires comme des plans de bataille pour échapper aux contrôles renforcés. Les amants se retrouvent, les amis aussi et les voisins s’organisent. Maintenant que tout le monde sait que les grands rassemblements seront annulés et que les bistrots resteront fermés, des micros rassemblements solidaires se mettent en place entre voisins. Dans les immeubles, ou dans les rues, par les paliers ou les jardins, on recommence à communiquer, échanger, se resocialiser. De nouveaux tout petits horizons sociaux se sont ouverts dans le monde confiné de la proximité imposée…

Participe papier


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Pour le deuxième mois, on s’organise… Conscients que de joncher les trottoirs d’attestations dès qu’on sort juste faire pisser le chien consomme un peu trop de papier, il a été décidé en haut lieu qu’on allait passer à la technologie moderne. Être moderne ça n’a que des avantages. On économise la pâte à papier dont on va avoir bien besoin pour faire péter la planche à billet et puis on enlève un prétexte de plus à Bolsonaro pour déboiser l’Amazonie. C’est qu’il aurait été capable, cet énergumène, de prétexter une aide aux pays en demande croissante de papier monnaie pour justifier un déboisement encore plus massif du poumon vert,  provoquant sans doute, en plus, une migration massive de chauves souris dans les villes avec les conséquences tragiques que l’ont connait, dès qu’elles se mettent à chier sur des pangolins ou des lapins nains.

On peut donc, désormais, télécharger l’appli d’attestation. Quand on fait pisser le chien et qu’un flic passe par là, il suffit de lui faire biper le code barre et c’est réglé. C’est super simple, plus besoin de remplir une feuille en écrivant, en toutes lettres, qu’on sort faire pisser le chien (des fois que ça ne se verrait pas, on est jamais trop prudent)… et là où c’est incroyable le progrès, c’est que si on va faire pisser le chien un peu plus loin et qu’on dépasse la limite autorisée, grâce à la géolocalisation, on a direct le GIGN qui nous tombe sur la tronche…il est pas beau, le monde moderne ?

Futur politico-messianique


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Le p’tit président prépare ses arrières, il se voit déjà nouveau messie, sauveur de l’Humanité et aussi de la Croissance. S’il pouvait réussir ce doublé-là, avouons-le, ce serait un sacré champion. Mais bon, une telle équation, ça va encore prendre plus de temps à pondre que le vaccin qui fera la nique au Corona. Dans son grand programme messianique, il y a aussi de balancer la dette des pays d’Afrique. C’est une bonne idée, mais que vient-elle faire dans ce planning? Comment ils vont prendre ça, les banquiers qui l’ont mis à l’Elysée ?

C’est peut-être une tactique à long terme; s’ il arrive à faire passer ça, à la fin de son mandat, il demandera de faire pareil pour la France, parce que, bon, hein, les milliards de milliards qu’on débloque pour faire face aux effets pervers de l’épidémie, ce serait pas mal qu’on ait pas à les rembourser quand on sera, nous aussi, au bord du chaos…

 Conversation virale


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Quand le virus du Corona rencontre celui du Sida, ils se tapent la causette. Ils comparent leurs expériences respectives. L’ancien se marre bien quand il entend dire qu’un vaccin sera prêt dans les mois qui viennent, alors que lui, ça fait trente ans qu’il se balade et qu’aucune vaccination n’est venue lui barrer la route. Mais peut-être que c’est une question de cible. L’ancien, c’est le mauvais gars, ses victimes c’est rien que des défoncés et des pédés et il se propage par le sexe et la drogue. Ses victimes seraient restées chez elles, avec femmes et enfants, dans la droite ligne de la bonne éducation judéo-chrétienne, elles n’auraient jamais chopé la moindre maladie.

Le petit nouveau s’attaque surtout aux vieux, il décime les maisons de retraite et se propage de manière insidieuse. Il ne choisit pas ses vieux, certains sont de bons chrétiens, leur vie fut moralement exemplaire, alors ils ne comprennent pas pourquoi Dieu les punit. Les politiciens sont souvent pas tout jeunes et moyennement exemplaires alors ils votent des crédits pour que la recherche sauve leur vieille peau. Trouver un vaccin pour sauver les vieux, ça semble être un mauvais créneau, n’oublions pas que des vieux, il y en a de plus en plus et que, contrairement aux drogués qui font rarement de la politique, ils ont une bonne mutuelle.

On va peut-être mettre quelques années à trouver le vaccin… d’ici là, on vivra confinés, masqués et télésurveillés. D’ci là, j’ai le temps de devenir super vieux… ça me fatigue tout ça ; je vais boire un coup et aller m’écraser devant une série…en attendant la suite, comme des millions d’autres…demain, je trouverai bien un arbre à élaguer…

Anticipatif conditionné


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Je suis allé faire des courses ; pas grand’chose et une demi heure avant la fermeture pour éviter la file stressée et masquée. A cette heure-là, les familles sont attablées pour le repas, scotchées au journal télévisé, histoire d’entretenir le malaise à coup de statistiques mortifères.

Il n’y a toujours pas beaucoup de farine… le français stocke ; on peut le comprendre, après la queue à la supérette, il peut avoir envie d’éviter celle de la boulangerie, même si, paraît-il, une consigne officielle leur a été donnée de rester ouvertes sept jours sur sept. Il a dû y avoir un boum sur les machines à pain, c’était le moment d’acheter des actions chez Darty.

Ah bon, c’est fermé, Darty  ? Bon ben tant pis …c’est encore ces enfoirés d’Amazon qui font rafler le marché…

Il y a aussi une rupture au rayon papier cul ; là, je comprends moins… il n’y a aucune raison de passer plus de temps aux toilettes en période confinatoire, même si on se fait royalement chier. Après un mois, ce constat ne tient pas comme preuve scientifique. Et puis il serait temps de réapprendre les pratiques ancestrales, de se laver avec un peu d’eau… une main pour manger, une autre pour se torcher. J’avais appris ça il y a bien longtemps dans les dunes sahariennes, même qu’il ne faut jamais se tromper de main… et si je me replongeais dans une mise en situation en retournant sur le blog de 2005… http://blogs.motomag.com/ptiluc/index.php?post/2008/05/03/anecdote-gastrique-la-suite

Présent futur ou futur présent


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Tout le monde le sait, tout le monde le sent, tout le monde le dit ; il n’y a plus de présent ou de futur, juste un peu de passé, si proche et si lointain à la fois. Il n’y a plus qu’un sujet de conversation, qu’une nouvelle aux infos, qu’elle soit  bidon ou crédible , fakeniousée ou étayée, les infos n’ont qu’un seul sujet …mais il a remplacé tous les autres. Plus de problèmes sociaux, ou du moins ça ne se voit pas encore, plus de réforme de retraite, tout le monde l’a prise en version ultra anticipée, plus de délinquance, tout le monde est confiné, plus d’accidents de la route, les bagnoles restent au garage, plus de terrorisme, même chez Daesh, on est coroné, plus de migrations, les frontières de l’Europe sont fermées, celles des pays, celles des régions, des villes voire des hameaux. Plus de problèmes environnementaux, le bilan carbone n’a jamais été aussi bon. Plus qu’un seul mot : le virus… et un seul corollaire, l’anxiogénité… car on flippe tous un peu sur l’après sans cesse repoussé, mais c’est jamais qu’un tout petit flip, parce qu’on est tous dans un vague état second.

Présent  futurement mal influencé


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Un mois de plus c’est un sacré programme. Il paraît que c’est le temps qu’il faut pour fabriquer des tests, des gants et des masques pour tout le monde. Je ne sais pas si tout ça est fait en matériaux recyclables. Les gants abandonnés sur les parkings laissent rêveurs quant au sursaut de conscience environnementale des masses confinées. Quant aux feuilles qui, l’automne revenu, se ramassent à la pelle, en ce printemps, ce sont surtout celles des attestations qui jonchent sentiers et trottoirs ; bien entendu à moins d’un kilomètre du domicile  de leurs transcripteurs confinés à qui je devrais peut-être les ramener… c’est pratique, il y a l’adresse dessus.

confinement et futur des vieux…


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Y z’y pensaient même pas les papys réacs quand ils se sont dit que ce serait vachement bien d’élire un président tout frais sorti des études, plein de bonnes idées pour leurs comptes épargnes.  Ils ont oublié que les jeunes, ça ne pense jamais aux vieux. Ils ne savaient pas pourquoi, avant, on avait  toujours des présidents vieux. Sauf Giscard, mais lui, il y a tellement longtemps qu’on le voit vieux , qu’on oublie qu’il fut un président jeune, chauve certes, mais jeune quand même.

Présent alternatif


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Le temps confinatoire est de plus en plus suspendu… quelle heure est-il, quel jour sommes nous ? On s’y perd et si ça continue, nous ne tarderons pas à nous demander quel mois ou quelle année ; c’est qu’on commence déjà à nous parler de certaine mesure pour septembre…et puis, d’un côté on nous parle aussi d’effort de guerre et de l’autre de manifs déjà prévues dès le premier jour de déconfinement… alors on  nous fait confiner toujours un peu plus, au nom de la santé de tous, ça laisse au petit président le temps de préparer son discours hebdomadaire… c’est que ça ne doit pas être facile pour lui de parler de croissance, de relance, de ces mots d’un autre temps, quand tout nous dit qu’il est temps de chercher comment garder la pause…

…ah ça c’est sûr que ça devait être plus simple de faire un discours pour la mort de Johnny…

Conditionnel indicatif


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Où serais-je à l’instant si tout était resté comme avant ? Dans un camion sans doute, quelque part, juste au dessus du cercle polaire, ou sur ma moto, fièrement chaussée de ses skis pour sol gelé à moins que ce ne fusse coincé dans un hôtel à attendre, selon la conjoncture, un papier ou un rapatriement. Mais je suis chez moi, je taille des arbres et je plante des patates. Je bricole aussi les vieilles bécanes du garage… c’est très important de le signaler car ce blog est un blog de motocycliste qui aurait dû être suivi par des assoiffés de bicylindres et de grands espaces. Eux mêmes étant coincés en confinement, le seul grand espace que je peux leur offrir, c’est celui des garrigues environnantes contemplées depuis les cimes des pins…

Depuis l’année dernière, la Mutuelle des Motards, m’assiste dans ces rêves d’expéditions lointaines, mais cette année, l’un comme l’autre, nous devons subir des changements de paradigmes inopinés.

Après le huitième arbre élagué, je commence à me faire assister en respectant la distance réglementaire ; c’est plus facile qu’au bistrot : un qui coupe au sommet et l’autre qui débite au sol, c’est pas avec nous qu’il va se propager, le virus. Mais sans doute que le lecteur motard, assoiffé d’ornières défilantes et de carbus ruisselants, ne va pas y trouver son compte dans cette chronique immobile. Et pourtant, les triomphes de confinement ont certes moins d’allure, mais on en jouit avec  autant de délectation… signe du temps qui passe, les premiers plants de patate sont sortis de terre… … et si cette année, je ne pourrai pas planter le drapeau de la Mutuelle sur le Cercle Polaire, ce n’est pas sans une certaine fierté que je le planterai au milieu de mon potager renaissant.

Présent obsessionnel et futur alternatif


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Le printemps précoce continue à exploser de partout mais personne ne s’en inquiète, sinon à l’idée de ne pas pouvoir aller se promener au bord de l’eau. Les sources d’informations, toujours engorgées des mêmes obsessions, ignorent, pour une fois, les chiffres de ces températures records, préférant ceux des statistiques médicales et des indices économiques. Pourtant, une fois de plus, comme après chaque soubresaut de l’histoire, quelques esprits éclairés nous expliquent que tout ça est étroitement lié. Qu’importe, même si plus que jamais, tout pourrait être prêt pour un changement de cap, on ne cesse de nous parler de reprise mais qu’est ce qui va reprendre exactement ?

Futur anxiogène et présent anxiolytique


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Les infos d’internet et les annonces gouvernementales rendent cinglé et parano ou détaché et vaguement inconscient… on est aux aguets, ce qui  est déjà en soi est un signe d’anxiogénité discrète.

On guette la sortie confinatorienne mais on ne sait pas vraiment qui sort quand et de quoi puis surtout pourquoi… mais je crois que personne ne le sait vraiment… tout est toujours, comme en voyage, une question de détachement et de patience…

Présent zoologique passéiste


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On ne se méfie jamais assez des pangolins. Comment faire confiance à ce mammifère déguisé en reptile ? N’est-ce pas donc louche cette histoire ? Et les chauve souris ? Il faut en penser quoi des chauves-souris ? Des mammifères qui se prennent pour des oiseaux ; encore des agents double, ça ne fait aucun doute. Des mammifères qui trahissent leur camp, le nôtre, pour s’allier à des micro-organismes afin de nous déclarer une guerre de l’ombre, en voilà un sacré scénario. Ajoutons à ça un zeste de péril jaune avec des chinois entassés dans des villes surpeuplées et surpolluées, à côté d’usines bactériologiques mais qui continuent à perpétuer des traditions d’une autre temps en se persuadant toujours  qu’une infusion d’écaille de pangolin va leur filer la trique pire que dix boites de viagra… à moins que ce ne soit de la corne de rhinocéros, je ne sais plus trop, je crois qu’en haut des arbres,  et même en bas, je dois commencer à  avoir des hallucinations d’altitude…

présent recomposé


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Un mois de vacances… on leur aurait dit ça il y a quelques semaines encore, les mômes, il n’y auraient jamais cru. Un mois sans école, un mois à la maison, qu’est-ce que j’en aurais rêvé quand j’étais petit. Mais certaines choses, dans la précipitation des mesures confinatoriennes, avaient été mal expliquées… y’ savaient pas tout les mômes ; qu’ils seraient tout le temps avec leurs parents, sans leurs copains, sans aller faire les andouilles dehors, ni au parc, ni sur le parking ou le terrain de basket ; nulle part, en fait. A force de ressortir les vieux jeux de société de quand les parents étaient p’tits, les « Mille-Bornes », les « monopoly » et les « sept familles » tout jaunis, ils en arriveraient presque à regretter l’école, les mômes !

participe présent


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Tous masqués et gantés, on fait nos courses en style aseptisé, bien écartés les uns des autres pour ne pas se postillonner dessus, ça aide à la conversation, c’est sûr… Au supermarché, on discute autant qu’en haut des arbres. On paye avec la carte parce les biftons c’est super dégueu et puis comme ça, quand le confinement sera terminé, on aura pris l’habitude de tout payer avec un bout de plastoc, de lire et d’aller au cinoche sur Internet, de ne parler à personne dans la rue et de demander l’autorisation de sortir, même pour aller vider la poubelle au coin de la rue en ayant, bien sûr, toujours nos papiers sur nous. Quand le mode confinatoire sera terminé, certes les oiseaux auront eu quelques semaines pour chanter peinard dans un air un peu plus pur, et nous, pauvres de nous, nous serons vraiment parés à devenir les petits robots aseptisés dont tout pouvoir rêve en secret…

Futur Européen…


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Depuis que les frontières se sont refermées, on dirait que des petites frictions entre voisins reviennent comme dans l’ancien temps. Il suffit qu’un avion fasse escale quelque part avec une cargaison de masques ou de respirateurs, pour qu’il redécolle un peu plus tard avec une partie de ses soutes allégées.Si la maladie a mis tout le monde au même niveau d’un bout à l’autre de la planète, elle ne nous a pas rendus tous frères pour autant. Du respirateur au paquet de nouille, il n’y a pas de petits profits. Les voisins de pallier peuvent devenir si lointains depuis qu’on se la joue à chacun chez soi et que dire des voisins de frontières ; ils redeviennent des étrangers, des ennemis potentiels, des  ignobles voleurs de masques, des infâmes contaminés… Au début, ils faisaient bien rire ces cons de chinois, bouffeurs de pangolins dans leurs villes super polluées, puis ces ritals pas sérieux qui déconnent tout le temps, font la fête dans la rue en bouffant des  pizzas et n’ont pas leur pareil pour se refiler des virus à tout va…

Maintenant, on rigole moins, on fête les anniversaires en visioconférence , on prend l’apéro sur wattsap et on cherche de qui on pourrait bien se moquer… sinon de nous…

Présent, passé, futur…


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Première semaine de vacances, troisième semaine de confinances.

Le printemps explose de partout et, bien que les écoles soient fermées et les boulots en suspens, il est difficile, surtout en appartement, de ne pas penser que, dans la réalité d’avant, on serait tous en vacances… à la mer, la montagne ou la campagne… mais les plages sont interdites, les remontées mécaniques à l’arrêt et les chemins de randonnées sous haute surveillance. Les gares et les aéroports sont presque déserts, les agences de voyages ont tiré le rideau et les compagnies low coast  sont au bord du dépôt de bilan.

Peut-être qu’après cette étrange période, on réapprendra à s’éblouir de la vue d’un chemin creux à deux pas de chez soi. Les aéroports deviendront des lieux désertés, des témoins d’un autre temps, cathédrales du culte des vacances de masse, abandonnées aux quatre vents,  espaces vides rendus aux oiseaux de passages. Ils seront comme ces hôtels en ruines au bords des nationales déclassées par les autoroutes, ces grands projets d’autres époques, abandonnés parce que de tous temps et pour d’innombrables raisons, les temps ont changé presque sans prévenir.

Ou peut être que tous les aéroports deviendront comme celui de Notre Dame des Landes, autre projet désuet qui eut la bonne idée de basculer dans un monde parallèle avant qu’on y ait posé la première pierre…

Présent parallèle


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Pendant ce temps-là en ville…. Tout le monde n’a pas la chance d’y disposer de grands pins à escalader. On pourrait toujours, le long des avenues, se réfugier dans les platanes. Mais leur feuillage se montre encore bien discret, n’offrant à celui qui le désire  qu’un cocon végétal d’altitude encore en bourgeons trop fraichement éclos. Alors on reste chez soi. Dans notre immeuble témoin, en ce premier jour de vacance, ne pouvant choisir comme destination que la pièce d’à côté,  l’équilibre mental de chacun peut sérieusement commencer à lâcher prise. Le roi de la zapette a fini par trouver des piles au marché noir et celui du sandwich jambon-beurre par se choper cent cinquante boules d’amende après que le pandore du quartier l’eusse vu arpenter la rue trois fois de suite en quête de jambon de pays.  La surfeuse d’internet a fini par se trouver un amant virtuel quant à la musicienne, elle a rusé avec la maréchaussée pour aller se réfugier dans la campagne proche où un amant bien réel lui a ouvert sa porte. Dans le jardin, elle peut sous les pins, enfin lâcher, face à l’horizon dégagé, tous les décibels  qu’elle retenait prisonniers dans la caisse de sa guitare  depuis presque trois semaines…